
liblement, malgré le maréchal de Marfin & fes
partifans. ■ / .
Un chef d’armée qui s’eft porté fur les fommets
des montagnes, pour en défendre les gorges &
les entrées , doit avant toutes chofes examiner
très attentivement le terrein & les endroits les plus
difficiles , comme les plus aifés , de même que les
polies de revers par où l’ennemi pourroit fe couler :
il doit auffi conlùlter les gens du pays avant que
de fe fixer au polie qu’il veut occuper. Enfuite
il reconnoîtra lui-même fa ligne de communication
avec les autres vallées , tâchant de mettre
derrière lui celles qui verfent dans celles qu’il
veut défendre. Son parti pris & fon camp formé ,
il fe retranchera fur les hauteurs qu’il veut garder,
& tirera une ligne qu’il fera palier fur les endroits
les plus avantageux d’une montagne à l’autre ;
paffant au travers de la vallée, il fera abattre les
arbres & couper les haies, pour ne rien lailfer
devant lui qui puiffe fervir à l’ennemi ; en un
mot il rafera toute la montagne jufques dans la
plaine. Il fera en même temps rompre les chemins
par où l’ennemi pourroit fe gliffer, & fera fermer les
vallons d’un accès facile par des abattis ou par
de bonnes redoutes. Enfin il n’oubliera rien de
tout ce que l’art peut lui fuggérer pour rendre tout
fon front impraticable.
Après s’être mis l’efprit en repos de ce côté , il
ne négligera rien pour fe bien retrancher ; profitant
de touts les avantages que le terrein pourra
lui offrir, obfervant fur toutes chofes de pratiquer
à trente ou quarante toifes de fes retranchements
, 8c d’efpace en el'pace , des redoutes ou
des flèches avancées , avec des communications
pratiquées- entre deux terres bien paliffadées de
touts côtés, 8c où il puiffe palier quatre hommes
de front entre les deux banquettes ; car il faut
néceffairement que l’ennemi attaque ces ouvrages
avant d’aborder les retranchements, ce qui n’elt
pas la chofe la plus facile à exécuter ; ces flèches
fe trouvant foutenues & flanquées de tout le feu
de la ligne. Si l’ennemi les laiffe derrière lui, il
s’expofe à une tempête de feux qui le voient de
la tête aux pieds, de flanc & à dos, pour peu
qu’il s’engage dans ces coupe-gorges. Paffons à la
difpolition.
Une règle inviolable dans toutes les aéfions &
les opérations de la guerre’, c’eft non-feulement
de mettre chaque arme en fa place & aupofte
qui lui convient, mais encore de foutenir l’une par
l’autre. C ’eft ce que je n’ai guère vu pratiquer
dans les affaires générales de toute efpèce. Rare*
ment la cavalerie fe trouve protégée 8c appuyée
par l’infanterie , 8c celle r ci par l’autre , aux
endroits où toutes les deux devroient fe foutenir
8c s’entre-fecourir réciproquement*
Dans ce qui regarde généralement l’attaque 8c
la défenfe des armées retranchées, on manque
rarement dans la maxime dont je viens de parler
plus haut ; mais je remarque qu’il n’y a aucune
différence dans l’ordre 8c la diftribution des deux
armées , 8c rien ne m’étonne davantage. Celui qui
fe défend devroit, ce me femble, l’emporter fur
l’autre, malgré la fupériorité du nombre, (car je
fuppofe ici une égalité de courage ) ; fupériorité
qui ne doit être d’aucune confidération contre le
petit nombre bien retranché, qui le réduit à combattre
fur le même front, 8c qui fupplée encore à
la foibleffe par l’avantage des'lieux. Je le répète ;
celui qui fé défend à couvert d’un bon retranchement
doit furmonter l’autre.*Cependant il eft rare que
celui-ci foit repouffé ; il fort prefque toujours victorieux
: autre fujet d’étoinement. Quelle en peut
être la raifon , diront quelques-uns ? Il eft aifé de
la trouver : elle eft dans l’opinion, qui fait tout.
Ajoutons encore l’infuffifance des chefs , qui, ne
reflechiffant point, ignorent leurs véritables avantages.
Semblables à leurs foldats, ils attribuent à
l’ennemi des avantages chimériques ; ils ne con-
fidèrent que le petit nombre qu’ils ont à lui op -
pofer, fans penfer ni réfléchir fur les avantages
réels qui fuppléent à leur foibleffe. S’ils les con-
noiffoient, ou f i , les connoiffant, ils ne laiffoient
pas leurs troupes dans une profonde ignorance à
cet égard , ces fortes d’entreprifes échoueroient
prefque toujours, 8c on réduiroit l’affaillant à n’attendre
la vi&oire que de la fageffe des mefures
prifes de loin , 8c de l’excellence de fon ordre de
bataille ; excellence qui eft une fort grande rareté.
On ne la remarque point dans une ta&ique telle
que celle dont nous nous fervons aujourd’hui.
( Obfervons que ces réflexions de Folard étoient
vraies de fon temps, 8c ne le font pas entièrement
du nôtre ).
Que peut - on efpérer d’une armée qui ignore
touts les avantages qu’elle a fur celui qui attaque ?
Les foldats ne gavent rien, finon qu’on fe retranche,
8c que leurs généraux fe précautionnent
extraordinairement. Les officiers n’en fçavent pas
davantage, 8c touts s’imaginent que leurs généraux
ont grand peur, 8c qu’ils en uferoient tout autrement
, s’ils ne fçavoient l’ennemi plus fo r t , plus
brave, plus audacieux qu’ils ne le font eux-mêmes,
Sc'mieux commandés. Tout cela leur paffe par la
tête , 8c , comme on les laiffe dans cette opinion ,
fans chercher à les en guérir, qu’on ne les instruit
pas des raifons que l’on a , vraies ou fimu-
lées , pour lès encourager, ( comme il importe de
le faire félon la méthode des anciens lorfqu’on
s’attend à être attaqué ) , 8c qu’on ne prend pas
même la peine de leur faire connoître aucun des
avantages qui peuvent les engager à une vigou-
reufe réfiftance, ils reftent dans l’ignorance de
toutes chofes. Toutes ces premières idées qu’ils fe
font mifes dans la tête, 8c dont on ne les a pas
guéris-, leur reviennent inceffamment à l’efprit, 8c
lur ce fondement ils ne font prefque aucune réfiS
tance : fâcheufe difpofition d’efprit que la défenfive
produit ordinairement, lorfqu’un mal habile général
s’en mêle,
Celui qui attaque combat fur des opinions bien j
differentes. Il croit l’ennemi d’autant plus foible,
8c le méprife d’autant plus que fes précautions font
plus grandes. Il combat avec plus de confiance , i
8c ne craint rien , finon que l’ennemi lui échappe, j
On voit de temps-en-temps 8c de loin-à-loin des j
exemples contraires à ce que je viens de dire ;
mais c’eft lorfque celui qui fe défend a un Turenne, j
un Condé , ou quelque autre guerrier de cètte ■
force pour chef. (Folard, Comment, fur Polybe). j
Toutes les fois que vous ferez en danger d’être ;
attaqué dans votre camp , vous reconnoîtrez le \
terrein avec un ingénieur en qui vous aurez con- j
fiance ; 8c , proportionnant le nombre de vos troupes \
à l’étendue de vos lignes, félon que ces lignes ;
dans certains endroits font plus ou moins fortes j
que dans quelques autres, vous deftinerez à chaque j
régiment la portion de ces lignes qu’il doit couvrir j
en cas d’une fubite alarme ; parce que, fi un trop |
grand nombre de troupes accouroient à un endroit |
où les ennemis pendant la nuit donnent une fauffe j
alarme, le pofte où peut-être les ennemis feront !
la véritable attaque demeureroit fort mal garni : j
mais, quand chacun fçait ce qu’il doit faire , on j
empêche la confufion que cauferoient les mouvements
irréguliers que les officiers généraux pour-
roient ordonner , 8c on évite le retardement qui
provient des doutes fur le parti qu’on doit prendre,
en attendant que l’on fçache la réfolution du commandant
en chef.
La négligence à donner de pareils ordres , ou
à les faire obferver, fit que le marquis de_Léganés
franchit les lignes du comte d’Harcourt, 8c le c o u ru
t Lérida. Le duc de l’Infantado ayant chargé
cette partie de la ligne où le comte d’Harcourt
étoit pofté, le marquis dé la Trouffe , qui gardoit
une autre partie du terrein, marcha à fon fecours ,
8c par cet endroit abandonné le marquis de Lé-
ganés fit entrer dans la place quinze cents hommes
d’infanterie 8c huit cents chevaux avec un fecours
de farine.
Pour la défenfe. des lignes on fe fert de l’infanterie
, dont on pofte un bon nombre aux flancs,
aux angles faillants , 8c aux faces des redans ; fur-
tout dans ceux qui ne font pas embarraffés par
des batteries ; parce que les ennemis attaquent
ordinairement ces angles faillants , pour n’être pas
entre deux feux , comme ils y feroient aux courtines
, pendant qu’il leur faut combler le foffé ,
monter fur le parapet 8c faire des brèches pour
leur cavalerie. Je propofe de mettre beaucoup d’infanterie
aux flancs ; parce que le feu , qu’on fait j
de-là eft pins utile que celui qu’on fait des cour- !
tines, comme l ’expérience fondée fur les raifons i
fuivantes nous l’apprend.
Lorfque les ennemis s’approchent, il faut que |
le foldat qui eft à la courtine fe découvre pour ;
tirer fur eux ; 8c, à mefure qu’il s’expofe davan- j
tage , fa frayeur augmente, 8c la jufteffe de fes i.
coups diminue ; au iieu que les troupes des flancs |
tirent tôujours avec" une égalé commodité fur les
affai liants de la face du redan oppofé ou de cette
moitié de courtine plus éloignée que chaque flanc
doit défendre ; 8c , tandis que ceux qui défendent
les courtines voient à peine les ennemis , lorsqu’ils
fe trouvent déjà près du foffé , les foldats
des flancs tirent toujours fur eux fans être obligé
d’abandonner les 'meurtrières que font les entre-
deux de leurs gabions ou de leurs facs de terre.
Les flancs font dans la fortification ce que les
bras font au corps. L’expérience nous fait voir
que, quoiqu’une place ait des brèches bien ouvertes
à la courtine 8c aux faces des redans , on ne
donne pas l’affaut avant que l’artillerie des a llé geants
ait ruiné les flancs d’où les brèches tirent
leur défenfe. On ne peut pourtant pas fe difpenfer
de garnir les courtines d’un nombre fuffifant d’infanterie
, pour faire feu de front fur les ennemis
qui viennent à l’affaut, 8c pour défendre avec la
baïonette le parapet contre ceux qui tâchent d’y
monter.
Je voudrois donner pour la défenfe des lignes
trois cents pieds de front à quatre cents hommes
d’infanterie formés fur quatre de hauteur ; parce
que de cette manière il y a un efpace fuffifant pour
que le rang qui a fait fa décharge fe retire fans
confufion par les intervalles des autres, 8c qu’un
de ceux qui n’ont pas tiré s’avance à la banquette.
De cette forte il refteroit dans l’intérieur du camp
affez de terrein , fuppofé qu’il fût néceffaire de
ranger l’armée en ligne, en cas que les ennemis
euflentforcé en quelque endroit les retranchements:
alors on ne peut fe difpenfer de ranger l’armée en
bataille, afin que les troupes ne foient pas toujours
pourfuivies en flanc par lés ennemis qui commencent
à paffer le retranchement.
En fuppofant que cela peut arriver, regardez
votre retranchement comme divifé en quatre parties ,
8c prévenez les généraux qui défendent chacune de
ces parties que , fi les ennemis forcent par un tel
côté , ils viennent former leurs troupes dans
l’endroit que vous aurez jugé convenable , 8c ainfi
refpeéfivement aux quatre fronts par où le camp
peut être forcé.
On pofte moins de monde à la partie de la
ligne qui eft couverte par une rivière, par des
marais , des ravins, ou des défilés , qui rendent
l’abord du camp difficile aux ennemis. On peut
même fe contenter d’y placer beaucoup de fen-
tinelles avec quelques gardes , dont le nombre
fera proportionné à l’avantage du terrein : cependant
, quelque avantageux qu’il fo it , il ne doit pas
être entièrement dégarni ; il y a peu de poftes
imprenables, lorfque les troupes n’aident pas à
foutenir ce qu’ils ont d’avantageux 8c de fort par
leur fituation : la moindre irruption qu’ün parti
ennemi fera dans votre camp intimidera extrêmement
vos foldats, qui entendront ce bruit derrière
eux ou à leurs côtés.
Outre les troupes defônées à garni le- retran