
€tre le maître de toute l’Allemagne entre le
Mein 8c le Danube , après la retraite du fecours
amené par M. de Marlborough.
Cependant le mauvais deftin de la France
imprima tant de préfomption Ôc d’orgueil à nos
ceux maréchaux que:, fans réfléchir lur les rai-
fpns que je viens de dire , qui dévoient les porter
à ne rien précipiter dans cette conjonélure,
ils firent marcher les deux armées en avant,
jufqii au village de Bleinheim près du Danube.
De Ton côté l’ennemi, à qui ildevenoit touts les
jours d une néceffité abjfolue de combattre , par les
raifons de la fubfiftance , & qui fçavoit qu’il ne
pouvoir demeurer encore que fort peu de jours
auprès -du Danube , fe porta auili en avant dans le
deiTein de venir reconnoître de près fi nos mouvements
ou notre fituation pourroient lui fournir les
©ccafions de combattre notre armée.
Elle avoit le Danube à fa droite, le village de
Bleinheim à peu de diftance du Danube iur le.,
front de la droite d.e la ligne , un autre village un
peu par-d elà le centre , ôc la gauche dans la
plaine , un ruiffeau devant.tout le front., fort difficile
ôc même imppffible à palier devant une
nrmee ? fi notre ordre de bataille nous en eut approché
,à prie diflance .raifonnable. Mais_ce qu’il y
eut de plus extraordinaire dans notre campement,
c ’efl que, quoique nos deux armées fuffent campées
fur un même Iront, ôc que fuivant mes
maximes une armée ,n_e doive jamais camper que
comme eile veut marcher & combattre , nos deux
armées, fur un même fronts campoient effeéfiv.e-
ment comme .deux armées féparées , ôc le centre
du camp étoit formé des deux ailes de droite &
de gauche de cavalerie des .deux armées.
È'enuemi étoit de l’autre coté du ruifleau, ayant
le Danube à fa gauche , le front couvert, tant par
le ruifleau que par des haies qui nous cachoient
fes mouvements, ,8c un bois devant fa droite.
l e jour qui précéda la bataille, l ’ennemi, dont
les -mouvements expient cachés, comme je viens
de le dire, voyant que , par la manière dont nous
avions pris notre camp, nous ne penfions pas à
l ’empêcher de palier le ruiffeau devant Le front de
notre droite ne longea.qu’à former fon ordre de
iatailUj pour fe prévaloir de notre maùvaife dif-
poiition. Il nous cachojt aifément tout ce qu’il fai-,
doit a fa gauche & devant fon centre , parce que
-npus n y avions pas la moindre attention. 11 lui
Ctoit plus difficile de nous cacher les mouvements
de fa droite : il Tle .fit pourtant en jettant un corps
d'infanterie -dans le bois qui la cojivroit.
Nos deux ^maréchaux , q u i, comme je l’ai .dit,
ne s’étoient portés en avant que par jun efprit de
préfomption , s’applaudifent de leur mouvement,
n e regardèrent cette infanterie qui occupoit le
Bois que comme un corps :que l ’ennemi cfeffinoit
à couvrir fa marche du lendemain fur NortKn-
ghen, pour s’approcher de fes vivres , ou pour
couvrir un convoi de pain. Ils étoient fi contents
j de s4être avancés à Bleinheim qu’ils croyoïent
J que cette feule marche éloigneroit l’ennemi du
Danube. Ils ne pensèrent donc jamais que ce
corps d’infanterie avancé dans le bois fût deftiné
pour couvrir 8c protéger la droite de l’ennemi
le lendemain, jour qu’il vouloit nous combattre*
Ainfi le lendemain matin , nos généraux laifsèrent
aller une partie de la cavalerie au fourrage, avec
auffi peu d’attention fur les mouvements que l’ennemi
pouvoit avoir faits pendant la nuit que s’ils
en avoient été hors de portée.
Les premiers mouvements même qu’on vit que
l’ennemi failoit faire à la cavalerie de fa droite ,
pour venir fe former au-devant du bois, ne furent
pris d’abord que pour un corps de cavalerie deftiné
à couvrir la marche de l’armée fur Nortlinghen;
tant nos maréchaux étoient prévenus que l’ennemi
ne pouvant les attaquer, parce qu’ils étoient bien
poftés , étoit forcé de quitter le Danube, pour aller
vivre à portée de Nortlinghen. Enfin ils étoient
d’une franquilité parfaite ôc .d’une fatisfaélion infinie
d’avoiriobligé M. le Prince Eugène &M . de Marl-
borough de s’éloigner de la Bavière , lorfqu’ils
virent tout à coup fe droite de l’ennemi s’ébranler
pour .marcher à nous.
Notre armée, qui avoit pris les armes 0 plais
qui n’étoit .en bataille qu’à fe tête de fon camp
& comme elle étoit campée , reçut-à fe gauche fe
\ charge que l’ennemi venôit lui faire, «on feulement
1 avec vigueur , mais même renverfa l'aile droite de
l’ennemi , & la ramena jufqu’au bois, ou ' elle fe
reforma fous la proteélion du feu de l’infanterie
qui étoit dans le bois. Une fécondé charge de
l’ennemi ne lui fut pas plus heureufe.
Ces deux charges de la droite des ennemis contre
notre gauche -s’ét-oient faites fans -qu’il parût encore
rien à notre droite , parce -que l’ennemi étoit
occupé à paffer le ruifleau ; ce qu’il faifoit fans que
nous nous en apper-çuffions à la droite ; parce que ,
comme je l’ai' dit, notre difpofition nous éloignoit
du ruifleau.
J’ai dit ci-deffus que l’armée ; en prenant les
armes, s’étoit feulement mile en bataille à la tête
de fon camp , dans le même ordre que les deux
armées étoient campées; de manière que les corpç
d'infanterie étoient féparés parles deux ailes droite
8c gauche de cavalerie des deux armées. Ainfi'
le centre de ,ces deux armées fur un même front,
étoit de la cavalerie qui occupoit la plaine entre
le village de Bleinheim & celui de Bolftadt, 8c
depuis ce village jufqu’à l’infanterie de l’armée
éle&orale Icelle que M. le Maréchal dé Tallard
avoit amenée occupoit la droite du front.
On ajouta encore une -fe-conde faute à celle de
cette difpofition bifarre : ce fut de mettre
la plus grande partie de l’infanterie dans les deux
villages ;-de forte qu’il n’y avoit prefque que de
la cavalerie dans fe plaine , & que l’on avoit mis
l’infanterie hors d’état desfaire aucun mouvement*
L’ennemi, qui vit notre mauyaife difpofition,1
ÔC.
à qui ftoùs avions laiffé le paffage du ruifleau
libre, en profita avec diligence, ôc fit pafl’er ce
jnême ruifleau à toute fon infanterie ; laquelle , en
«’avançant, donna à la cavalerie le moyen de
.paffer auffi ce ruiffeau & de fe former derrière
l’infanterie fur plufieurs lignés.
: Cet ordre de bataille étoit bifarre auffi, mais judi-
-cieufement penfé.L’ennemi,ne voyant prefque point
d'infanterie en bataille devant lui, parce qu’elle étoit
dans les villages trop diftants les uns des autres
..pour que fon feu pût fec roifer, jugea que notre
. cavalerie, qui étoit entre les deux villages, ne
pourroit pas foutenir le feu de fon infanterie, protégée
par fes deux lignes de cavalerie ; 8c qu’ainfi,
.mettant notre première ligne de cavalerie en dé-
for cl*e, & 1a renverfant fur la féconde , il nous
féroit par cette feule charge abandonner L’infan-
• terie qui étoit dans les villages ; vu qu’il s’avanceront
entre eux avec tout fon front , 6c mettroit
auffi notre infanterie renfermée dans les villages
-derrière les lignes d’infanterie qui étoient dans
Ja plaine.
Toute cette difpofition fut prife par l’ennemi
pour marcher à notre front de cavalerie , fans
; qu’on s’y oppofât en aucune manière ; parce que
pendant tout ce. temps M. le maréchal de Tallard,
qui ne voyoit encore aucun mouvement de Ten-
. ne mi devant fa droite , étoit allé inutilement voir \
. ce qui fe paffoit à la gauche ; 6c que, pendant fon
, abfence , les officiers généraux de Ion armée n’osè-
rent prendre fur eux d’ébranler la ligne , 8c de
retirer l’infanterie des villages pour charger l’en-
xaemi qui fe formoit devant eux ; mais qui , ne
Tétant pourtant pas encore., auroit fort aiféxfvent
été renverfé dans le ruiffeau , fur la' cavalerie qui
le paffoit en défilant.
Enfin , avant que M. de Tallard fût revenu de
la gauche, l ’ennemi avoit chargé ce grand front
de cavalerie, dans fe difpofition où j’ai dit qu’il
s’etoit mis 6c le feu de fon infanterie avoit rejetté
nos deux lignes de cavalerie au-delà des villages ,
dans lefquels une partie de notre infanterie étoit
renfermée.
La cavalerie de l’armée de M. de Tallard, qui
faifoit la gauche de notre grand front de cavalerie
qui venoit d’être chargé , fe reploya fur fa droite ,
comme celle de l’armée de Téleéteur fe reploya
fur fa gauche ; de manière q u e , par ce mouve-
' ment, les deux armées fe trouvoient féparées , ôc
l ’ennemi maître du terrein qui lesTéparoit ,\8c qui
: «toit celui fur lequel notre cavalerie étoit en bataille
avant qu’elle eût été chargée. M. de Tallard ,
dont la vue étoit fort baffe, en revenant de la gauche
au bruit du feu qu’il entendit à la droite , f it pris
par la cavalerie ennemie, qui avoit paffé entre les
villages. Perfonne depuis ce temps ne donna
dordre , 6c ce ne fut plus que confufion dans fon
: armée.
M; de Marfin , qui commandoit fou$ M. l’élec-
. teur , ,6c dont fes charges contre .l’aile droite de
A it militaire. Tome /.
M. le prince Eugène , avoit eu des fuccès heureux,
craignit que cette armée ne fût chargée en flanc
par la gauche viéïorieufe de l’ennemi, en même
temps qu’elle feroit chargée en tête par la droite.
Il ne fongea qu’à faire fa retraite à Ulm ,"6c abandonna
fon champ de bataille , fans penfer à un
mouvement aifé à faire , qui étoit de le ployer fur
la droite , 8c de charger en flanc la cavalerie ennemie
qui avoit paffé en-deçà des villages.
Par cette charge il retiroit ou protégeoit l’infanterie
qui étoit dans les villages , donnoit à la cavalerie
de l’armée de M. de Tallard, qui avoit été
mife en défordre, le temps de fe remettre enfemble ,
de reprendre un ordre de bataille - derrière ou
furies ailes de l’armée de l’éleâeur, & de rétablir
ainfi la bataille ou peut être même la gagner.-
Mais M. le maréchal de Marfin n’en içavoit pas
affez pour penter à un-.tel mouvement. Il fit retirer
fon armée fur U lm , comme je viens de le dire,
6c abandonna l'armée de M. de Tallard, & l’infanterie
qui étoit dans les villages, fans y faitelat
moindre attention..
L’ennemi ne fongea pas un moment à troubler
M. de Marfin 6c M. l’élecleur .dans leur retraite : il
fentoit bien que la deflruôion entière de l’armée
de M. de Taliard lui fuffiioit pour acquérir la
fupériorité pour le refte de la campagne.'
11 y avoit, comme je l’ai d it , vingt-fept bataillons
de la meilleure infanterie du roi 6c douze
efeadrons renfermés dans le village de, Bleinheim.
Il ne failoit pas qu’ils y fiffent une bien longue
réfiftance, pour laiffer revenir M. de Marfin de
fon étourdiffement, 6c pour lui faire penfer à faire
halte à une lieue du champ de bataille , à y raffem-
bler les débris de l’armée de M. de Tallard, 6c à
revenir donner une fécondé bataille à un ennemi
fort en défordre , 6c occupé au pillage d’un
camp.
Les . généraux ennemis proposèrent donc à nos
officiers généraux renfermés dans le village de faire
mettre les armes bas aux troupes , Ôc de les recevoir
prifonniers de guerre. Ce parti fut accepté ,
ôc ils remirent ainfi à nos ennemis une armée
entière fans combattre : aélion honteufe , qui auroit
mérité une punition févère , au lieu des ré corn-
penfes 6c des avancements dont les principaux
auteurs de.cette lâchet.é ont été comblés.
Telle a été la bataille d’Hochftet, dont le blâme
ne doit pas tomber fur les troupes qui s’y font
valeureufement comportées, mais feulement fur
les deux maréchaux , par leur ignorante difpofition
, 6c fur lès officiers généraux de la droite , qui
n’ont point penfé à redreffer les premiers mauvais
fuccès,, après,fe prife de M. de Tallard, ni même
à retirer cette infanterie des villages.
Après le récit affez fimple de cette bataille ,'
qu’on peut dire avoir été le terme du bonheur du
règne du ro i, il me paroît à propos d’étendre mes
réflexions fur cette malheureufe journée, 6c de faire
voir qu’elle n’a été funefte que parce que les gén^