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nombre d’une qualité très inférieur^ le furent à
lage de quinze ou feize ans. Comme celui qui de-
v Dit par Ion état défendre les autres , les juger , &
les gouverner , étoit à plus forte raifon préfumé
capable de foutenir les propres droits, & de fe
gouverner lui-même , on regardoit l’émancipation
comme la fuite néceiTaire de la chevalerie. Suivant
les mêmes principes, un homme dont touts les
pas étoient dirigés par l’amour du bien public ,
& qui ne marchoit que pour affranchir les autres ,
xnéritoit d’être affranchi de toute contrainte & de
toute efpèce de fervitude ; rien ne devoit retarder
fa marche. Le chevalier , conformément à l’ancien
privilège des foldats Romains, étoit exempt de
payer les droits de vente des denrées , & des
autres marchandifes achetées pour fon ufage particulier,
& même de toute efpèce de péage. Son
armure & fort équipage le faifoient reconnoître de
loin. A fon approche toutes les barrières s’ou-
vroient pour lui laiffer un libre paffage. Par la
même raifon fi le fort des armes le failoit tomber
au pouvoir d’un ennemi, fa dignité feule l’affran-
chiffoit des fers que l’on eût donné à des pri-
fonniers d’un ordre inférieur : fa parole étoit'le
lien le plus capable de le retenir. Sur la foi de
fon ferment, on lui procuroit dans fa prifon , appelée
courtoife, quoique fermée , touts les adoucif-
lements qui pouvoient foulager la rigueur de fa
iituation.
Les hauts barons , pour inviter un plus grand .
nombre de guerriers à s’enrôler fous leurs bannières,
étaloient une magnificence royale dans les promotions
des chevaliers. Peut-être que bientôt ils virent
leurs tréfors s’épuifer par tant de profufion , ou
qu’ils ne jugèrent plus à propos d’acheter à fi haut
prix les nombreufes recrues qui s’empreffoient à les
fervir. Il paroît du moins que , dans la fuite , ceux
qui alloient recevoir la chevalerie faifoient éclater
dans ces fêtes fomptueufes une magnificence proportionnée
à celle des plus grands feigneurs. Ce
fut fans doute pour cette raifon que les poffeffeurs
des terres nobles, lorfqu’eux ou leurs fils aînés dévoient
recevoir la chevalerie, eurent1 le droit de
lever fur leurs vaffaux ou fujets de ces mêmes terres,
pour les frais de leur réception , une des quatre
efpèces de tailles ou impositions , que l’on appel-
loit 3 aides chevels , aides de chevalerie. Les trois
autres cas où le chevalier en pouvoit lever une
pareille étoit le mariage de fes filles, le payement
de fa rançon , & lé voyage d’Outre-Mer.
Le titre de chevalier, titre refpeélable pour touts
les ordres de l’état, trouvoit, particulièrement dans
les tribunaux, des Juges toujours difpofés à défendre
fes droits. Outre que les chevaliers ne pouvoient
être appelles en juftice, qu’avec les ménagements
& les égards que l’on devoit à leur dignité : s’ils
obtenoient des dépens de leurs parties , ces dépens
étoient doubles de ceux que l’on adjugeoit aux
écuyers : mais , lorfqu’ils méritoient d’etre condamnés
, on les regarde# comme d’autant plus cou-
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pables , qu’ils dévoient aux autres l’exemple de
toutes les vertus, principalement de l’equite ; &
ils payoient une amende une fois plus forte que
celle des écuyers. En fuivant la même proportion ,
il fut ordonné aux chevaliers en 1411 , au fiège de
Dun-le-Roi, de porter huit fafcines, tandis que
l’on fe contentoit de quatre de la part des ecuyers.
Comme les chevaliers âvoient été dès leur origine
les chefs & les confeillers de toutes les juftices,
ils confervèrent longtemps le privilège exclufif de
pofféder certaines magiftratures confidérables. L office
de fénéchal de Beaucaire ayant fait la matière
d’une conteftation portée au parlement, l’un des
prétendants allégua que fon adverfaire n’étoit point
chevalier. L’empereur Sigifmond , en prefence de
qui cette caufe fe plaidoit, conféra la chevalerie à
celui qui ne l’a voit point ; & , par ce moyen ,
lui fit obtenir l’office qu’il demandoit. Ce fut aufli
parce que l’ancien confeil des rois étoit tire de,
l’ordre des chevaliers, qu’ils relièrent en poffeftïon
d’être employés dans toutes les négociations. S’il
failoit envoyer des ambaffadeurs pour traiter des
affaires les plus importantes , ou de la guerre, ou
de la paix, on choififfoit pour chaque ambaffade ,
& en nombre égal, des eccléfiaftiques & des chevaliers
: on y joignit dans la fuite autant de ma*
giflrats, & le troifième ordre fe forma lorfque les
fondions de juges eurent été diftraites de la che-
valerie qui les avoit originairement exercées. Mais ,
de touts les droits appartenans aux chevaliers , le
plus noble fut celui de créer d’autres chevaliers ,
àl’inflant même de fa promotion. C ’étoiten quelque
façon participer à la puiffance & à l’autorité des fou-
verains : aufli dans les affemblées & dans les feftins
folemnels les chevaliers avoient leurs tables particulières
fervies par les écuyers, &. dont les fils
même des rois étoient exclus, s’ils n’avoient.point
reçu la chevalerie. Les plus puiffants monarques ne
croyoient pouvoir infpirer à leurs enfants tr.op de
refpeél pour l’état de chevalier , ni trop marquer
eux-mêmes l’eftime qu’ils faifoient d’un ordre auquel
le trône devoit fon principal éclat. Ils ne vou-
loient point être couronnés qu’ils n’eufifent reçu
toutes leurs armes , c’eft-à-dire, qu’ils n’eufferit ete
faits chevaliers. Enfin , ce qui * fernble mettre le
comble à la gloire de cet état, lorfqu’on rapportoit
la mort d’un fimple chevalier, après avoir dit combien
de temps il avoit vécu , on exprimoit le
nombre de fes années de chevalerie, comme, en
parlant d’un fouverain ,o n auroit fpécifie le nombre
des années de fon règne. Tant de prérogatives
ne parurent pas aux premiers inflituteurs de la chevalerie
récompenser affez dignement ceux qui dévoient
en accroître la fplendeur.
Si le chevalier étoit afféz riche & affez puif-
fant pour fournir à l’état un certain \ nombre
de gens d’armes, & pour les entretenir à fes-dépens
, on lui accordoit la per million d’ajouter au
fimple titre de chevalier , ou chevalier-bachelier,
le titre plus noble & plus relevé de chevalier-
banneret.
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ibanneret. La diftinélion de ces bannerets confiftoit
à porter une bannière quarrée au haut de leur
lance , au lieu que celle des fimples chevaliers
étoif prolongée en deux, cornettes ou pointes ,
telles que les banderoles que l’on voit dans les
cérémonies des églifes. D ’autres honneurs étoient
encore offerts à l’ambition des bannerets : ils pouvoient
prétendre aux qualités de comte, de baron,
de marquis, 'de duc; & ces titres leur aflùroient à
eux , & même à leurs femmes, un rang fixe ,,auquel
on reconnoiffoit du premier coup d’oeil la
grandeur & l’importance des fervices qu’ils avoient
rendus à l’état. Divers ornements achevoient de
leur mérite & leurs exploits : on peut
voir dans les traités du blafon les différents timbres
ou cafques, cimiers , grilles, boprlets , tortis, volets
, lambels , ou lambeaux , fupports, ou tenants ,
ceintures, Ôc epuronnes dont les écus étoient accompagnés.
La'plupart de ces pièces , originairement
portées dans les cérémonies par ceux à.qui
elles appartenoient, avoient fait partie de leur armure
de tête , de leur coèffure, &. de leur habillement.
Les demeures même des chevaliers , confédérées,
fuivant l’efprit du fiècle, comme les temples
de l’honneur , dévoient avoir des lignes propres à
.les'faire refpeâer. Les créneaux & les tours qui
fervoient à la défenfe des châteaux en marquoient
aufli la nobleffe ; mais les feuls .gentilhommes
avoient le privilège de faire placer des girouettes
fur le faîte de leurs maifons. Leur forme indiquoit
le rang de ceux à qui les maifons appartenoient.
.Figurées en manière de pennon, elles défignoient les
chevaliers ; en bannière, les bannerets. En entrant
«ans ces. maifons , on diflinguoit encore mieux ,
par les diverfes manières dont les meubles étoient
ornes , le rang des maîtres qui les habitoient. Ces
details nous ont été tranfmis avec foin par une
dame de la cour de Bourgogne, dans un manuferit
intitule , les honneurs de la cour. La maifon de Bourgogne
.., iffue de nos . rois , avoit fans douée puifé
dans le cérémonial de leur cour, des ufages qu’elle
le J j honneur de garder inviolablement. Us ont
pâlie depuis, avec l’héritière de Bourgogne , dans
la maifon d’Autriche, & forment ce code exaél
QC religieux que nous connoiflbns fous le nom
d étiquette d’Ejpagne. Le nombre infini de diftinc-
tions qui pouvoient faire naître des dilputes entre
es. courtifans, mais qui du moins entretenoient
1 émulation, eft aboli parmi nous : fi quelques-^
,unes fubfiftent encore, elles ne font guère connues
hors de l’enceinte de la . cour , à la réferve
du dais que l’on voit dans les appartements de
nos princes & de nos ducs. Autrefois, félon les
divers rangs, le dais étoit varié de plufieurs façons.
4 outs- ces. honneurs , qui devinrent bientôt héréditaires,
avoient été perfonnels pendant quelque
temps; & la diftinélion qu’ils donnoient, prefque
toujours attachée au mérite, s’obfervoit alors dans
les aliemblees' des nobles avec la plus ferupuieufe
régulante. Chacun ,, conformément aux loix éta-
Art. militaire. Tome I.
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blies entre les diverfes conditions , fçavoit le rang
qu’il devoit occuper , ainfi qu’il fe pratique encore
entre les officiers militaires. Chacun fe tenoit à la
place qui lui étoit affignée ; l’impoffibilité d’en
occuper d’autres étouffoit. les fentime nts d’une
ambition défordonnée , q u i, confondant tout ,
offenfe toujours ceux aux dépens de qui les loix
de la fubordination font violées, & fumt rarement
à fatisfaire ceux qui les violent. On ne penfoit
qu’à gagner les rangs : on ne tentoit pas de les
ufurper ; & là néceffité de les acquérir à force de
. fervices leur dorinoit un prix ineftkoable , qui
redoubloit l’ardeur de les obtenir. Les autres états,
le clergé &- la bourgeoifie n’étoient pas alors
moins réglés.
Les reflburces offertes à la jeuneffe indigente ,
pour entrer dans le chemin de l’honneur, ne lui
fuffilbient pas : elle avoit befoin d’autres fecours
pour s’avancer dans cette glorieufe & pénible carrière.
Dans touts lgs temps le mérite, dénué de ri-
cheffes a trouvé de grands obftacles : la chevalerie ,
ou la forme du gouvernement militaire, fourniffoit
plufieurs moyens de les furmonter. La guerre en-
riehifïbit alors, par le butin & par les rançons ,
celui qui la faifoit avec le plus de valeur, de vigilance
, & d’aâivité. La rançon étoit, pour l’ordinaire
, une année des revenus du prifonnier y conformément
au droit de l’annuel ou du rachat des
terres nobles ; mais d’ailleurs un chevalier , qui
s etoit -fait un nom , fe voyoit bientôt prévenu par
les .plus grands feigneurs & par les plus nobles
dames: les princes, les princeffes, les rois & les
reines s’empreffoient de l’enrôler, pour ainfi dire ,
dans l’état de leur maifon, de l ’infcrire dans la
lifte des hé’ros qui en faifoient l’ornement, fous le
titre de chevalier d’honneur. Le même pouvoit
être tout à la fois attaché à. plufieurs cours , en
toucher les appointements, avoir part aux diftri—
butions des robes , livrées ou fourrures , & des
bourfes d’or & d’argent que les feigneurs répan-
doient avec profufion * fur-tout-aux grandes fêtes ,
& en d’autres occafions qui les obligeoient à faire
éclater leur magnificence. Il n’étoit pas mêrhe né-
ceffaire d’être attaché au fervice d'une cour, pour
reffentir la générofité de celui qui la tenoit. On
lit dans Perceforeft qu’un grand nombre de feigneurs
& de gentilshommes avoient fait placer des
heaumes ou cafques fur les portes de leurs châteaux
, pour % v ir comme de fanal aux chevaliers
qui pafîeroient aux environs , & leur annonce*
qu’ils y trouveraient toujours un hofpice agréable
& sûr, dans une maifon dont le maître le trou-
veroit honoré de les recevoir. On voit encore de
ces heaumes placés fur le faîte de nos plus anciens
édifices, particulièrement à la campagne. Lorfque
des chevaliers & des écuyers alloient aux tournois,
à la guerre:, ou à d’autres expéditions , &paiToient
dans les cours & châteaux, ils étoient accueillis
avec toutes les marques poflibles d’empreffement
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