
l’armée ; qu’il leur étoit défendu de s’y fervir de
l ’épée, Ôc de la lance ; & qu’ils n’étoiçnt en droit de
s’armer que d’arcs , de flèches, de maillets, de maf-
fues, Ôcc.
Un vers de Guillaume le Breton, dans l’hiftoire
de Philippe Augufte, femble faire allufion à cet
ufage ; en parlant des écuyers ou valets, il les ca-
ra&ériie , en dilant que c’étoient ceux à qui il
appartenoit de combattre dans les armées avec
l’épée ôc la lance.
At famuli quorum tfi gladio pugnarc vel hafiis ,
Officium.
Les épithètes que l’auteur de Youtillement du
villain donne à l’épée & à la lance du payfan,
marquent encore ce que nous difons :
Arc , & lance enfumée. . . .
L’efpée enrouillée. . . .
Ces épithètes montrent que les payfans avoient
droit d’avoir chez eux une lance 6c une épée;
mais qu’ils ne s’en fervoient que quand il étoit
queftion df. défendre la terre de leur feigneur..
Hors de ce cas, ils n’en pouvoient faire d’ufage ;
c’eft pourquoi la lance s’enfumoit fur la cheminée,
& l’épée s’enrouilloit dans le fourreau.
On fe fervoit dans les armées de toutes fortes
d’armes. Celles dont on a fait ci-deffus l’énumération
font nommées en divers endroits de l’hiftoire
de Philippe Augufte par Guillaume le Breton (pag.
2 1 5). On y trouve l’épieu ou le bâton ferré, ‘contas
ou fudis ,* ia maffue, clava~;la hache ,fecuris ; la
belagüe ou hache tranchante des deux côtés, bifz-
cuta ; les quarreaux ou garrots, efpèce de flèches ;
la fronde , funda.
A r m e s d’ e s c r i m e .
Les épées, dans les premiers temps de la troisième
race , dévoient être larges , fortes d’une
bonne trempe, pour ne point fe brifer fur lés
cafques 6c fur les cuiraffes qui oppofoient une
grande réûftance. Telle fut fans doute celle de
Godefroy de Bouillon , avec laquelle quelques
hiftoires des croifades difent qu’il fendoitun homme
en deux. La même chofe eft racontée de l’empereur
Conrad au liège de Damas. M. Ducange dit
que ces faits, tout incroyables qu’ils par-oiffent, ne
lui femblèrent plus tout - à - fait hors de vraifemr
blance, lorfqu’il eut vu , à Saint-Pharon de Meaux,
une épée ancienne , que l’on dit avoir été celle
d’Ogier le Danois , fi fameux au temps de Charlemagne
, au moins dans les romans ; tant èette épée
eft pefante, 6c tant par conféquent elle fuppofoit
de force dans celui qui la manioit. Le père Mabil-
lon qui l’a fait pefer, dit que fon poids eft de cinq
livres 6c un quart.
11 paroît que les épées d’alors, même les ordinaires,
n’étoient tranchantes que d’un '.ôté. Outre
que faites de cette manière, elles étoient beaucoup
plus fortes & plus propres pour fracaffer les armes
défenfives ; un‘ paffage de Rigord confirme cette
opinion.
Il dit qu’à la bataille de Bovines, quelques - uns
des ennemis avoient, au lieu de glaives , d’épées
ou de lances , pro gladiïs, de petits couteaux, cul-
tellos , qu’il l’appelle ainfi , non parce qu’ils étoient
courts ; il dit au contraire qu’ils étoient longs ,
mais parce qu’ils étoient fort menus 6c tranchants
des deux côtés, depuis la pointe jufqu’à la poignée.
Il dit qu’on n’en avoit jamais vu de cette forte :
ceci paroît fuppofer , que les épées de guerre
n’étoient tranchantes que d’un côté. Les Allemands
fe fervirent de ces épées étroites dans cette bataille;
afin de prendre plus facilement le défaut de la cui-
raffe, 6c de frapper au vifage des gens d’armes
françois par la viiière. L’hiftorien remarque qu’E-
tienne de Long-Champ , brave chevalier françois,
fut tué d’une de ces épées , dont il reçut un coup
dans le vifage.
Guillaume Guyart parle comme Rigord de ces
fortes d’épées , dans la defcription de la même
bataille, 6c fait entendre q ue, quelques menues
qu’elles fuffent, elles étoient très* fortes.
Alemans uns couftinux avoient,
Dont aux-François fe combattaient,
Grailles & agus a trois miières ,
L’on en peut férir fur pierres.
Le même auteur confirme, en divers endroits
que les épées des François étoient courtes.
Là François épées reportent , - '
Courtes 8c roides dont ils taillent.
Et en l’an 1301 :
Epées viennent' aux fervices ,
Et font de diverfe femblance ;
Mès .François qui- d’acço.utumance
Les .ont.Courtes aûez'légières
Giétent aux Flamans vers les chieres. ( vif âges. J,
C ’eft-à-dire, qu’ils avoient encore la coutume
des premiers temps de la fécondé race , où on les
portait ainfi.
L’auteur de la nouvelle Hiftoire de Bretagne en
apporte une preuve tirée , d’une peinture à frefque
de l’églife de Saint-Aubin d’Angers. Elle repréfente
la bataille de Rallon en Bretagne, donnée
fous Charles le Chauve , en l’an 845. On y v o it ,
dit-il, les François armés d’ançons : c’étoient des
efpèces de demi-piques fortes , 6c longues de fix
pieds, 6c d’efpées larges, courtes, 6c fans pointe,
mais il falloit que celles de Godefroy de Bouillon
, de l’empereur Conrad 16c d’Ogier le Danois,
fuffent plus longues que les épées ordinaires, pour
avoir plus de coup , ôc faire les exécutions qù’on
leur attribue. En effet, celle d’Ogier le Danois a
-trois pieds un pouce de lame , trois pouces de
largeur vers la garde , un pouce 6c demi vers la
pointe, 6c la garde eft de fept pouces de longueur.
Les épées courtes étoiènt encore d’ulage en
France au temps de faint Louis ; c’eft ce que nqus
apprçnons
apprenons par la relation de la bataille de Béne-
vent, où Çharles d’Anjou , frère de ce prince,
défit Mainfroy fon compétiteur pour le royaume
de Sicile. Voici comme en parle Hugues de
Beauçoi,. un des chevaliers qui fuivit Charles
dans cette expédition.
«Les Allemands, ôc leurs-troupes auxiliaires,
( c ’étoient des Sarafins), combattoient avec de
longues épées , des haches, 6c des maffues,
n’approchant leurs adverfaires que de la longueur
de l’épée ; mais nos François, les enfonçant avec
agilité, 6c fe joignant à eux d’auffi près que
l ’ongle eft Jfroche de la chair, leur perçoient les
flancs avec leurs courtes épées ; & brevibus fpa-
this fuis éorum latera perfodiebant. Le roi Charles
crioit à fes chevaliers de ferrer les ennemis, leur
difant : frappeç de la pointe; ; frappe^ de là pointe,
foldats de Jefus-Chrift, 6c il ne faut pas s’en étonner,
ajoute l’auteur de la relation ; ce prince habile
avoit lu dans les livres de l’art militaire, que
les Romains n-’avoient point imaginé de meilleure
manière de combattre, que celle de frapper l’ennemi
avec la pointe de l’épée m. (Duchefne,
tom. V. ). Guillaume de Nan gis d it , èh parlant de
la même bataille , a comme l’ëpaiffeur des armes
de l’ennemi rendoit inutiles les coups des François
, ceux - ci prenoient le temps qu’ils levoierit
les bras, ôc avec leurs petites épées aigues, ils
les perçoient au défaut de la cuiraffe ». ( Ibid,
pag. 377. ). G’eft-à-dire, par-deffous l’aiffelle.
L)n y remédia enfuite par le-goffet ou gouffet,
qui étoit une pièce de l’armure tellement difpofée,
que , lorfque le gendarme levoit le bras pour frapper
, ellerempliüoit le vuide de l’aiffelle.
Dans la bataille donnée enfuite contre Henri
d’Efpagne & Conradin, - les François fe crioient
l’un à l’autre, aux bras, aux bras ; cela vouloit dire
deux chofes; la première , qu’il falloit que chacun
faisît».fon adverfaire, pour le renverfer de deffus
Ion cheval ; ce qui r.éuftît à plufieürs : 6c la fécondé,
qu’il falloit le percer au-deffous des bras , quand il,
les levoit, comme on avoit fait à la bataille de
Bénevent : mais on voit en même temps qu’alors
les épées courtes avoient de la pointe , 6c étoient
tranchantes, de deux côtés ; ainfi, dans touts ces
ufages il y a eu beaucoup de variation. ( 7^ .
p a g . j S i . ) . :
L’épée de la Pucelle d’Orléans, que- l’on voit au
tréfor de Saint - Denis , eft très longue , ôc: large
à proportion. Les plus longues ; les plus fortes, Ôc
les plus pefantes de ce temps-ci, ,font petites ôc
légèrës en comparaifon de celle-m. Du temps de
François Ier, elles étoient aufli plus longues que
celles des anciens François, félon le témoignage de
du Bellay, (Difcipl. 'milit. pag.. il.) ). ÔC Montluc
marqùe en effet que « nos gens-d’armes portôient
en ce temps-là , de'grands coutelas tranchants pour
couper les bras maillés ôc détrancher les morions».
( Liv. I , pag. 180.), L’épée de Henri IV ,.qui eft
au trefor des médaillés du ro i, eft aufli fort longue :
Art militàire. Tome I,
mais e’étoit fon efpadon, 6c non fon épée. On
peut croire la même chofe de celle de la Pucelle
d’Orléans. Il étoit difficile de fe feryir de l’efpadon
dans un combat, fans y employer les deux mains.
Le cabinet d’armes de Chantilli renferme toutes
fortes d’épées anciennes 6c de diverfes nations. On
y voit des braquemars , des eftocades, des efpa-
aons, des épées fourrées, des épées, à la fuiffe, à
l’efpagnole, à la portugaife , des poignards, des
bayonettes, des fabres, des cimeterres.
Fig. 46. Braquemar ou épée courbe.
47. Epée de rencontre.
48. Eftocade ,• ou épée de longueur.
49. Efpadon.
30. Epée fourrée, ou en hâton.
51. Epéê à la fuifle.
52. Epée à l’efpagnole.
5 3. Poignard.
54. Bayonette.
5 5. Sabre.
56. Cimeterre.
, Les épées étoient alors fufpendues à un baudrier l
enfuite à un ceinturon : peu-à-peu l’ufage des ceinturons
fut plus fréquent, au moins dans les armées. .
On ne voit aux bas - reliefs des tombeaux de
Louis X I I , ôc de François 1er que des ceinturons
ÔC point de baudriers.,
On reprit enfuite ceux-ci, 6c ils furent confervés
jufques bien avant dans le règne de Louis X IV ;
en 1684, il^les fit quitter à fes gardes fr^nçoifes
6c fuiffes, 6c à toutes fes troupes. Il n’y a plus
que les cent-fuifles de la garde qui portent le
baudrier.
Outre l’épée, les chevaliers 6c les gendarmes
avoient un poignard ou dague qu’ils portoient à
la; ceinture , comme . nos fufiliers , 6c nos autres
fantaflins d’aujourd’hui portent îeurs baïonnettes.
Cette arme étoit en ufage parmi les Romains des
derniers fiècles, comme on le voit dans plufieurs
médailles ; ôc ils l’appelloient paraçonium, parce
qu’il' étoit fufpendu ad \onam , c’eft-à-dire, à leur
l ceinture. Nos niftoriens, qui ont écrit en latin,
l’expriment par le mot culter. Voici le principal
ufage .que l’on' faifoit de ce poignard.
Lorfqu’un gendarme en avoit renverfé un autre de
1 deffus fon cheval, il quittoît fon épée, prenait fa
dague , plus facile à manier, ÔC .cherchait le défaut des
armés , pour la lui enfoncer dans le corps. C ’eft ce
qu’on a déjà yu dans l’exemple du comte de Boulogne
à la bataille de Bovines. « Un fort garçon, dit
Rigord, nommé Commote , lui avoit ôté fon
cafque, 6c l’avoit fort bleffé au. vifage ; ôc voulut
lui. percer le ventre avec fa dague ; mais fes bottes
de mailles, étaient fi bien attachées aux pans de
fa - çuiràfle qa’iin e put le. bleffer » ..( Pag. 221. ).
Get ufagerd e-là dagùé lui fit donher le nom
de miféricorde ; parce que , dès qu’un chevalier
étoft ainfi ■ 'terraffé' par fon adverfaire , 6c que
* celui-ci tir oit fa dague pour le tuer, il falloit qu’il