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dans le gouvernement militaire , produirait les plus
fâcheux inconvénients. Qu’un aide-de-camp ait
plutôt la fidélité des meffagers de l’Iliade j qu’il
tranfmette , mot pour mot , les ordres dont il
eft porteur. Il peut, & même il doit communiquer,
tant à fon général qu’à l’officier auquel il eft env
o y é , ce qu’il eft sûr d’avoir bien vu ; mais ce
doit être avec circonfpeérion, de crainte qu’il ne
fafle faire de faux mouvements, ou ne jette foit
des alarmes , foit des efpérances mal fondées dans
l’efprit d’un général trop prompt à efpérer ou à
craindre. Plaçons donc au nombre de fes connoiffances
celle du caractère des officiers généraux de
3’armée.
Il ne doit pas non plus , en rendant d’une manière
trop pofitive & trop abfolue l’ordre dont il
eft chargé , forcer, pour ainfi-dire , l’officier qui
le reçoit, à l’exécuter. Il doit avoir compris l’efprit
dans lequel le général l’a donné : s’il voit que les dif-
pofitions & circonftances foient changées, & que
l’ordre dont il eft porte.ur ne convienne plus à
l’état aéluel ; ou , s’il né le voit pas , & que l’officier
général auquel il eft envoyé l’en affure • qu’il
s’en rapporte au jugement de cet officier, & ne
preffe pas l’exécution de l’ordre.
“ S i, dans le temps ou les armées étoientpetites,
dit M. le maréchal de Puyfégur , ( Tom. I ,p . 130 ) ,
on a cru qu’il falloit des perfonnes entendues dans
la guerre , pour remplir les fondrions d’aide-de-
camp ; à plus forte raifon aujourd’hui , que les
armées font fi nombreufos que, quand elles foraient
dans des plaines unies, l’oeil n’en pourroit voir
toute l’étendue , & par conféquent encore'moins ,
quand elles font dans des' terreins hauts & bas,
remplis de'haies, bois & folles ; que dans leurs
marches , elles tiennent quatre à cinq lieües d’étendue
; que ceux qui font chargés de conduire
les colonnes , n’ont fouvent pas d’autre connoif-
fance que celles qu’ils peuvent tirer du guide qu’on
leur a donné pour mener la colonne. J’ai fouvent
vu n’y avoir dans l’armée que l’officier chargé de
la marche, qui eut connoiffance du pays par 011
elle marchoit, & même quelquefois ne l’avoit-il
pas allez précife, pour fçavoir fur le champ comment
il faudroit la ralïembler & la pofter, pour
réfifter à l’ennemi, s’il venoit à tomber fur la
marche. Voici ce que l’on a vu arriver en pareil
cas. -
L’ennemi, avec toute fon armée, tomba fur
la nôtre, comme elle étoit en marche , & que ,
divifée en colonnes , elle tenoit cinq lieues d’étendue
dans un pays fourré de haies , de foliés,
& de petits raille aux , & entre-coupé, de diftance
en diftance , de petits efpaees de terrein uni.- Sur
eette nouvelle, celui qui avoit le plus de cônnoif-
fance du pays dit qu’il falloit porter l’aile droite
fur une hauteur qui étoit fort avantageufe, & que
le refte de d’armée pourroit fo placer enfuite, &
être bien poftée par rapport au terrein.
Performa ne connoiflbit le pays., & las. arbres,
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bornant la v u e , on ne pouvoit pas découvrir le
terrein ; le général même n’en aŸoit aucune connoiffance.
Quelqu’un alors lui vint dire que les
ennemis marchoient à nous , & même venoient
de charger quelques troupes , & en même-temps
lui propofa de faire marcher l’aile droite qui en
étoit à portée , à ce qu’on lui avoit d it, dans un
endroit qu’il nomma. Ce général envoya un aide-
de-camp qui avoit fervi, mais qui n’avoit pas allez
de capacité pour juger dé la conféquence de l’ordre
qu’il portoit. aide-de-camp arrive auprès de l’officier
général qui commandoit cette aile , & lui
donne un ordre fi pofitif de quitter fon pofte
pour marcher à l’endroit marqué , que l’officier
général eut beau lui repréfenter que cet ordre
n’avoit pu être donné que parce que le général
ne connoiflbit pas le terrein avantageux qui étoit
occupé ; que, s’il l’avoit vu , sûrement il aurait
ordonné le contraire : il fallut obéir ; & , dès
qu’on eut quitté cette hauteur, l’ennemi ne manqua
pas de s’en emparer ; d’où s’enfuivit la perte de
la bataille ». Cet aide-de-camp outre-palloit étrangement
les bornes de fes fondions , & l’officier
général eut trop de foibleffe. La grande étendue
de nos armées rend, en certains cas femblables
à celui-ci, l’obéiffance ftri&e , impoffible. Il eft
alors effentiellement du devoir d’un officier général
de prendre fur lui les difpofitions qu’il croit
néceflaires. L’obêiflTançe entière ne doit trouver
place que lorfque le général ordonne eu perfonne,
ou envoie des ordres d’après ce qu’il a reconnu
& vu pat lui-même.
Lorfqu’il y a plufieurs aides-de-camp auprès d’uns
officier général, ils peuvent répartir entre eux les
détails de leurs fondions, fuivant leur inclination,
leurs talents , & leurs connoiffances. Ils écriront,
s’ils en ont le temps , les ordres & inftrudions qu’ils
doivent porter : un écrit eft plus sûr que la mémoire
, quelque fidelle qu’elle foit. Le talent d’écrire
clairement , celui de lever des plans &
de les deffiner, peuvent rendre un aide-de-camp
très utile à fon général ; l’un pour dreffer des
ordres , des projets , des inftrudions , des mémoires
pour la connoiflance du pays l’autre pour
fixer & détailler plus parfaitement cette connoiffance..
L’emploi draide-de-camp ne doit-être confie qu’à
des officiers, très inftruits A & qui réunifient les
talents & les qualités néceflaires pour le bien remplir.
L’importance de ce choix n’étoit pas inconnue
fous Turenne & fous Condé. On l’a négligé depuis
ces grands hommes : nous avons vu employer
des jeunes gens fans expérience, incapables d’é-
coûter , de concevoir & de rendre des ordres.
C ’étoient ou des volontaires qui voyoient pour
la première fois les troupes , ou de nouveaux
officiers tirés foit de l’infanterie , foit de la cavalerie,
touts:jeunes protégés.que l’onvouloit avancer
promptement en grade , avant l’âge ou le temps où
on p eut le mériter. Cet abus avoit fouvent des fuites
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ÏScheufes pour les troupes, & quelquefois funeftes
à de bons & anciens officiers. L’aide-de-camp ,
« ’étant point bréveté pour ce nouvel emploi ,
«’étoit pas remplacé dans le régiment d’où on le
; jtiroit : il étoit regardé comme abfent pour le fer-
tvice & par ordre du roi : il confervoit fon rang
;rdans ce corps, & les autres officiers y faifoient
fon fervice. Ils étoient donc plus fatigués : de
.plus, cette abfence dérangeant les tours de garde ,
; chacun pouvoit être èxpofé en des occafions pe-
•rilleufes , où il n’auroit pas é té , fi l’on eût fuivi
cet ordre. Cependant, Y aide-de-camp 3 tranquille
dans un quartier général, tandis que fon camarade
s’expofoit à fa place ,jouiffoitde touts les avantages
d’un emploi dont il ne rempliflbit aucune fonfrion,
& préféroit d’exercer l’autre, qui étoit plus agré'able,
moins pénible, &. moins périlleux. Un choix fi peu
digne d’un brave militaire éloignoit de l’empldi
d’aide-de-camp touts les officiers délicats fur le
devoir & l’honneur. Ces abus ne fubfiftent plus.
Les aides-de-camp font brevetés comme au temps
de Turenne , &. ne font plus attachés à aucun
corps.
Par ce que j’ai dit des fondrions de l’aide-de-camp 9
on peut voir qu’il doit être adrif, vigilant ; fe
multiplier, pour ainfi dire , étiidier fans ceffe les
perfonnes , les lieux ,v ies chemins ; obférver &
noter tout ce qui fe préfente de relatif à fon
emploi. S’il ne trouve pas dans une campagne
Téccafion de fairé ufage -de fes. notes , il le trouv
e ra dans la campagne fuivante. S’il defire de
remplir dignement le pofte de confiance qui lui
eft remis, il s’y adonnera tout entier ; & , fi bn
veut avoir de bons aides-de-camp , on les formera
exprès ; on les entretiendra-en paix comme en
guerre ; on ne recevra que ceux qui joindront aux
qualités' requifes les connoiffances mathématiques
& militaires que cet emploi demande, & on les
fera voyager en temps de paix dans les pays où
Ton peut porter la guerre. Il ne faut pas oublier
que xes officiers font les organes du général : ce
-font eux qui parlent pour lui ; ce font eux qui
■ doivent 1 inftruire de plufieurs détails'qu’il ne.peut
ni ne doit connoître par lui - même : ils doivent
tout v o ir , tout entendre , & redire tout ce qui
a rapport au fervice militaire. Il faut, pour exercer
,cet emploi, etre jeune de corps 9 & vieux d’efprit.
vCeux qui croient l’avoir rempli , en portant ,& rapportant
dès ordres comme des commiflionnaires ;
q u i, au lieu de vifiter le camp , les poftes-, les
•avenues , de s’accoutumer à juger d’un pays par
la feule infpedlion , quand ils ne peuvent le con-
tfoitre autrement ; au lieu de réfléchir fur ce qu’ils
voyent, d’y comparer ce qu’ils ont vu ailleurs, & ce
qu ils ont dû puifer de théorie dans lès auteurs miliaires,
reftent à jouer, à dire des riens , ou à faire
pis dans un quartier général, ne font pas dignes de
leur empio! , & ne feront jamais capables ni de
U ^ r m d aucun autre* Ceux > ™ contraire | qui
le rempliront avec zèle & application , trouveront
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chaque jour des occafions de s’inftruïre, foit parles
connoiffances qu’ils feront à portée d’acquérir fur
les troupes , les camps, les terreins, les aérions ,
les marches , & autres parties de l’art , foit par
la converfation journalière des officiers généraux,
& la. communication de leurs deffeins. C’eft une
des routes les plus favorables pour les conduire
aux premiers emplois.
J’ajouterai ici' quelques réflexions qui m’ont été
communiquées. ( Parmi les défauts que peut avoir
notre conftitution militaire , ceux du choix des
aides-de-camp.ne font pas les moins confidérables.
.Si, comparant leurs moyens aux fondrions qu’ils
ont à remplir, nous trouvons que les qualités
& les-connoiffances qu’ils peuvent avoir ne font
pas en proportion avec leurs devoirs, nous nous
croirons fondés à-demander dans cette partie ,
plus importante qu’on ne paroît le penfer, une
réforme utile defirée.
Pour que rien n’empêche les aides-de-camp de
porter à leur deftination les ordres dont ils ont
ete charges, ils doivent être d’une valeur à toute
épreuve. Loin de penfer- que les. jeunes'gens auxquels
on confie ces emplois, manquent de cette
première vertu militaire, je craindrais qu’ils n’al-
laffent au-dela. du terme.-Quel eft celui d’entre eux
qui, paffant auprès d’un endroit où l’aérion ferait
animée , ne céderait pas à la tentation de s’en
approcher , & de prendre quelque part à la gloire,
ainfi qu’au danger ? Quel eft celui qui font affez
vivement qu’étant chargé foui de porter des ordres
importants, il eft une tête précieufe, & que par
cette raifon, quand des commandements exprès ,
ou des obftacles qui le détourneraient trop , ne
le forcent pas de s’approcher du combat, il doit
en paffer affez loin pour n’être pas expofé aux
coups des ennemis ? Quel eft celui de nos jeunes
foigneurs, ( car ils ne dédaignent pas ces emplois ,
qui leur procurent un avancement rapide , fans
les obliger à un fervice aérif) , quel e ft, dis-je,
celui qui peut voir & faire connoître la véritable
pofition d’une troupe à : laquelle il eft allé porter
des ordres ; qui eft eh état de faire fontir à fon
general la force & les qualités- d’un fecours nécefi-
laire à telle ou telle partie de l’armée ; qui, parle
compte .qu’il peut rendre de ce qu’il a vu ,
pourra provoquer les ordres néceflaires & les plus-
propres aux circonftances ? Fût-il auffi inftruit de
lart militaire qu’il eft poffible de l’être dans un
âge auffi tendre & auffi peu fait pour des connoiffances
fl élevées , eft-ce avec fes dix-huit ans ,
oc ion inexpérience, qu’il gagnera la confiance
dun officier général; & les ordres dont il eft
porteur ne perdront-ils pas de leur poids , s’ils
contrarient la manière de voir de celui auquel ils
iont adreffes ? Il fera, ce me femble, bien tenté
de croire que l’organe des volontés du général ne
les a pas bienrendus. Alors il obéira négligemment,
ou defobeira ; & à la guerre, un inftant de délai
décide lpavent des plus grands intérêts.