
données le temps paffé » ; parmi lefquelles étoit
cette épée fatale qui chafla les Anglois de France.
Après avoir expofé , peut-être même exagéré fur
la foi de nos anciens, auteurs, les avantages de la
chevalerie militaire, de laquelle il ne refte plus que
des veftiges dans les divers ordres de la chevalerie
régulière ou religieufe ; nous devons, pour ne point
faire ifiufion à nos leûeurs, rapporter les inconvénients
& les abus qui contrebalançoient les avantages
dont nous avons fait rénumération. Le defir
de contenter , autant que nous le pourrons, la cu-
riofité des mêmes leâeurs, nous oblige auffi de
rechercher quelles peuvent avoir été les caufes de
la décadence ôc de la chute totale de notre chevalerie.
On nous aura fans doute accuféplus d’une fois,
ou du moins foupçonné d’une prévention aveugle ,
lorfqu’en lifant tout ce que nous avons dit en l’honneur
de la chevalerie, on fe ferarappellé que les fiècles
dans lefquels elle étoit le plus floriffante furent
des fiècles de débauche, de brigandage, de barbarie,
& d’horreurs ; 6c que fouvent touts les vices &
toutsles crimes fetrouvoient réunis dans ces mêmes
chevaliers qu’alors on érigeoit en héros. A la vue de
tant de défordres , comment fe perfuader que les
_loix de la chevalerie ne refpirafCent que la religion ,
la vertu , l’honneur >ôc l’humanité ? Néanmoins ces
deux vérités, fi contraires en apparence, font également
conftatées. Rienn’etoit plus capable d'établir
l ’émulation parmi les guerriers que les loix de la
chevalerie : fes préceptes,fa morale , quoiqu’impa'r-
faits à quelques égards, tendoient à faire régner
l ’ordre & la vertu. Il eft sûr que plufieurs de nos
chevaliers, fidèles aux engagements de leur éta t,
furent des modèles accomplis des vertus guerrière s
ainfi que des vertus foetales .3 & c’eft beaucoup, .
qu’au milieu de ce fiècle fi groflier 6c fi corrompu
la chevalerie ait produit de tels exemples. Combien
d’autres vertus n’auroit-ellé pas fait fleurir
en des temps plus polis 6c plus éclairés ?
Les hommes font inconféquents 3 il y a toujours
très loin de la fpéeulation à la pratique. Dans les
états les plus réguliers, le nombre de ceux qui
vivent conformément aux règles eft prefque toujours
le plus p e tit, fi ce n’eft peut-être dans les
premiers commencements. A mefure que l’on s’éloigne
de l’origine, le temps introduit des abus :
mais ils doivent être imputés aux hommes , 6c
non pas à la profeffion qu’ils ont embrafleei La
chevalerie eut à cet égard le fort de touts les instituts
3 6c d’ailleurs fa conftitutïon étoit inféparable
de plufieurs inconvénients. A la confidérer même -
du côté de la guerre , avec quel défordre devoit
combattre une milice impétueufe, qui né recevoit
de loix que de fon courage, 6c fembloit chercher uni-
quément les moyens de multiplier les dangers 3 qui
confondoit I’oftentation avec la gloire 3 la témérité
avec la valeur 3 6c qui, dans. lTvreffe de fes faux
préjugés , n’auroit jamais pu croire qu’il y eût des
peuples plus fag.es, tels que les Lacédémoniens 6c les Romains, chez lefquels l’excès du courage étoit
puni comme la lâcheté : une milice enfin prefque
incapable de fe rallier , par conféquent de réparer
fes fautes 6c fes.pertes?
Si le pouvoir abfoiu, fi l’unité du commandement
eft le feul moyen d’entretenir la vigueur de la
difcipline, jamais elle ne dut être moins folidement
établie , 6c plus fouvent ébranlée que du temps de
nos chevaliers. Quelle confufion en effet ne dévoient
point apporter tant d’efpèces de chefs, dont les
principes, les motifs, 6c les intérêts n’étoient pas
toujours d’accord, 6c qui ne tiroient point d’une
même fource le droit de fe faire obéir ?
Outre la fupériorité que les loix féodales don—
noient aux feigneurs fuzerains fur leurs vaflaux, ÔC
à ces derniers fur leurs arrière -vaflaux, dont la
progrefîion alloit prefque à l’infini , la ‘chevalerie-
fixoit différents degrés entre les, bannerets ,. les
fimples chevaliers, les chevaliers à gage, ôc les
écuyers : ainfi le pouvoir de commander, que
balançoit encore celui des grands officiers de la
maifon du roi, étoit fans ceffe expofé à descon-
teftations qui le reftreignoient ou l’anéantifToient
plus il y avoit dé divers genres d’autorités, moins-
il y avoit de force réelle pour les faire valoir..
Quelque attention que l’on apporte à lire nos-
hiftoriens, on a béaucoup de peine à concevoir
de quelle manière touts ces commandants pou voient:
fe concilier entre eux , Ôc comment il étoit poffible
à ceux qui les fuivoient, d’accorder enfemble les«
fervices de fujet, de vaffal, 6c de chevalier , auxquels
étoit ténue la même perfonne. Auffi ne man—
quoit-on jamais de prétexte pour éluder ou pour
enfreindre les loix de la guerre, ni de moyens ÔC
de protégions pour mettre la défobéifTance à couvert
du châtiment. L’expérience ne nous apprit
que trop à connoître lès effets d’une indocilité
préfomptueufe ôc téméraire dans les guerres contre
les Anglois. Enfin la chevalerie oublia les préceptes-
qu’elle avoi t donnés dans fon origine à fes premiers-
difciple^ , de s’appliquer également aux lettres ÔC
aux armes. Trop occupée depuis à les rendre-
braves, adroits , 6c vigoureux , elle négligea;
d’autres qualités qui font le fruit de l’étude 6c de
la réflexion : qualités fans lefquelles la valeur même
peut entraîner la perte des états les- plus belliqueux.
A l’égard des chevaliers errants , tels que ceux:
de la table ronde ôc antres , que les fictions ro—
-manefquèsont rendus fi,fameux-3 les récits de leurs;
avantures merveilleufes font vraifemblablement
fondés fur de vieilles traditions î empruntées dès-
origines encore plus fabuléufes des peuples venus
du nord. Ces héros., ainfi que les Hercules, lès-
Théfées de la Grèce,vifitoient toutes les contrées,
pour redreffer les torts, venger les opprimés , exterminer
les brigands qui les infeftoient. La barbarie
de nos premiers1 fiècles exigea peut-être le
fecours de ces défenfeurs.
|
Leur affiftance put encore n’être point inutile
fen des fiècles poftérieurs, fans ceffe ttoublés par
l’oppreffion 6c la tyrannie. Mais, pour apprécier
nos anciennes traditions, équivoques ou fufpéflres,
nous nous arrêterons au témoignage de nos anciens
poètes 6c de nos hiftoriens, qui quelquefois ont
parlé en termes plus férieux des chevaliers errants.
Les jeunes chevaliers, fuyant les liens du mariage,
dans la crainte d’êtrè détournés de leur profeffion,
fe faifoient un devoir de confacrer. les premières
années de leur inftallation dans l’ordre, à vifiter les
pays lointains 6c les cours étrangères, afin de s’y
rendre chevaliers parfaits. Le verd dont fis étoient
vêtus, annonçoit la verdeur, de leur printemps ,
comme la vigueur de leur courage. Ils étudioient les
différentes manières de jouter des diverfes nations,
les plus beaux tours d’eferime des chevaliers qui
excelloient dans l’art des tournois3 ils ambitionnoient
-l’honneur dé fe mefurer eux-mêmes avec ces
maîtres, pour s’efïàyer ôc s’inliruire3 ils prenoient
des leçons encore plus utiles dans les guerres où ils
fervoient, 6c fe rangeoient du côté qui paroiffoit
avoir pour lui la juftice ÔC le ’ bon droit. Ils étudioient
auffi les principes d’honneur , de cérémonial,
Sc de civilité ou de courtoifie obfervés dans
chaque cour. Curieux de s’y faire diftinguer par
leur bravoure, leurs talents, 6c leur politeffe, ils
ne l’étoient pas moins de connoître les princes 6c '
les princeffes de là plus haute réputation, d’obfer- I
ver les chevaliers & les dames les plus célèbres,
d’apprendre leur hiftoire, de retenir les plus beaux
traits de leur v ie , pour en faire enfuite un rapport
inftru&if 6c des récits intéreffants ou agréables,
quand fis feroient de retour dans leur patrie ; on
étoit alors avide de nouvelles.
Outre les fréquentes occafions de s’exercer aux
tournois 6c à la guerre, que nos chevaliers errants
trouvoient dans leurs voyages , le hafard leur
offroit encore, dans les lieux écartés où ils paf-
foient, des crimes à punir, des violences à réprimer
, 6c des moyens de fe rendre utiles, en pratiquant
ces fentiments de juftice 6c de géîiérofité
qu’on leur avoit infpirés, Toujours armés pour
.1 affiftance qu’ils dévoient aux malheureux, pour la
prote&ion 6c la défenfe qu’ils avoient promis aux
hommes 6c aux femmes, on lès voyoit voler de
toutes partr, dès qu’il étoit queftion d’acquitter le
ferment de leur chevalerie. Mais peut-on' croire que
des hommes, exerçant le droit de marcher par-tout
avec des armes redoutables, Ôc de les employer à
leur volonté, nen ayent pas fouvent détourné
1 ufoge légitime^, pour les faire fervir à leur intérêt
pedonnel, 6c â leurs paffions particulières ? Les
divers portraits que nous voyons de nos chevaliers
errants ne nous donnent que trop de fujet de défiance
fur la cortduite que.tenoient plufieurs d’entre
eux.
Mais, fans nous étendre davantage fur ces
chercheurs d’avantures , qui furent dans la chevalerie
ce. que les Girovaques. étoient dans l’ordre
monaihque, difons que la r‘eligion.n’étoit pas mieux '
férvie que l’état par la plupart des autres chevaliers.
Ils avoient fait voeu de défendre, de maintenir, ÔC
d’élever l’un 6c l’autre 3 ils avoient été revêtus par
les églifes des titres de vicomtes , d’avoués, ôc
d’autres femblables : cependant ils ne difeonti-
nuèrent.prefque jamais d’en abufer au préjudice de
ceux même qui s’étoient mis fous leur fauve-garde.
Proteâeurs de nom, oppreffeurs réels, quelques-uns
d’entre eux firent paffer une grande partie des. biens
ecclefiaftiqués en des mains qui ne dévoient s’armer
que pour les défendre : nos jurifconfultes ne
donnent point d’autre origine aux dîmes inféodées.
Les clercs 6c les religieux, dépouillés de leurs
domaines, eurent fouvent occafion de déplorer
leur fort, 6c de s’appliquer l’apologue du cour-
fier , qui, cherchant un aide pour iervir fa ven^-
geance , ne trouva qu’un maître qui lui fit perdre
la liberté.
^ On a vu quelles étoient les premières leçons que
1 on donnoit dès l’enfance aux jeunes gens qui fe
deftinoient a la chevalerie ; on ne fera point étonné
de voir les fruits qu’elles produifirent. Une religion
toute fuperftitieulè fembloit êtie l’unique règle de
leiir conduite : ils ne connoiffoient que les pratiques
extérieures recommandées par les prêtres , prefque
auffi ignorants que ceux dont ils gouvernoient les
confciences. Aftreints fcrupuleufement à des obligations
journalières, dont on ne les vit prefque
jamais fe difpenfer, ils croyôient par cette régularité,^
jointe à quelques dons faits aux moines 6c
aux egîifes , etre en droit de violer dans tout le refte
les loix du chriftianifme , qui par-tout infpirent ÔC
commandent la pureté des moeurs, la bonne fo i, 6c
l’humanité. Des chevaliers fouillés de chines, fe
flattoient d’avoir un moyen facile de les expier à la
première occafion qui s’offroit d’aller faire un pèlerinage
dans les lieux faints,. ou quelque expédition,
l'oit contre des infidèles, foit contre des hérétiques.
Si ce remède leur manquoit, ils croyoient
fans aucun doute qu’ils feroient à couvert de la vengeance
divine 3 lorfqu’à la fin de leurs jours, quittant
le cafque pour prendre le froc, ils fe feroient
enveloppés du manteau de quelque ordre monaf-
tique : fouvent même ils fe contentoient d’ordonner,
en mourant, qu’on les revêtît après leUr
mort de ces refpecrables habits. Un trait du brave
Etienne Vignoles, furnommé la Hire, achèvera de
nous faire connoître quelle forme la religion avoir
prife dans l’efprit des gens de guerre. Il alloit avec
le comte de Dunois, pour faire lever le fiège de
Montargis, en 142.7 : « Quand la Hire approcha du
fiegSj (ceft-a-dire du camp des Anglois, qui
tenoient la ville affiègée. ) . . . . il trouva un cha-r
pelain auquel fi dit qu’il lui donnât hâtivement l’ab^
folution : & Je chapelain lui dit qu’il confefTât fes '
péchés. La Hire lui répondit qu’il n’auroit pas loifir,
car il falloit promptement frapper fur l’ennemi. 6c
qu il avoit fait ce que gens de guerre ont accoutumé
défaire. Surquoi le chapelain lui‘bailla l’ablolution
telle qu’elle 3 & lors la Hire fit fa prière à Dieu, e»