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l’expédition ; ou une rupture entre leurs princes
anntilloit l’alliance. Du Guelclin & l’anglois Hue
de Garvalai ou de Caurelée, étoient frères d’armes
en Efpagne. Lorfque le prince de Galles eut déclaré
la guerre à Henri, Hue fut contraint de quitter
Bertrand. « Jentil l i relui dit-il, il nous convient
départir. Nous avons été enfemble par bonne compagnie,
comme preudhommes y & avons toujours
eu du voftre à noftre voqlenté, que oncques n’y
ot noife ne tançoti tant des avoirs conqueftez que
des joyaux donnez, ne oncques n’en deniandafmes
part. Si penfe bien que j’ai plus reçu que vous,
dont je fuis voftre tenu ; & pour ce vous pri que
nous en comptons enfemble ; ôc. ce que je vous
devrai., vous payeray ou aifigneray. S i, dit Bertrand
, ce n’eft qu’un, fermon ; jen ’ay point penfé
à ce compte, ne ne fçay que ce puet monter. Je
ne fçay fe vous me devez ou fe je vous doy. Or
foit tout quitte , puifque vient au départir. Mais
fe de cy en avant nous acréons l’un à l’autre , nous
ferons nouvelle depte , ôc le convendra efcriprç.
11 n’y a que du bien faire, raifon donne que vous
voftre maiftre, ( la raifon veut que vous fuiviez
votre maiftre ) ; ainfi le doit faire tout preud-
homme. Bonne amour fuft l’amour de nous , 6c
aufli en fera la départie : dont me poife qu’il convient
que elle foit. Lors le baifa Bertrand, ôc tous fes
compaignpns aufli : moult fut piteufe la départie ».
Du Guefclin, ayant été fait prifonnier par les
Anglois, rencontra fon frère Caryalai, qui lui
parla de “leur ancien compte : « Bertran , dit-il,
nous avons efté çqmpaignons ou pays d’efpangne
par delà, de priions &. d’avoir, dont je ne.çomptay
oncques à vous ; ôc fais bien de pieça que je fuis
votre tenudont je youldray avoir avis ; mais de
tout le moins je vous aiderày ici de trente mille
doubles d’or. Je ne fç a y , dit Bertran, comment
il va du compte ; mais, que de la bonne compagnie,
ne je n’en veuil point compter; mais, fe j’ay meftier,
je Vous prieray. A donc b ailier ent li uns l’autre au
départir ».
. Quelques chevaliers, en s’unifiant, faifoient un
échange mutuel de leurs armes, comme les héros
d’Homère. D ’autres confacroient leur fraternité
par les cérémonies de la religion, ,en recevant
enfemble la communion, pu baifant la paix que
l’on préfente à la mefle. Alors le prêtre rompoit
l’hoftie en deux parts , ÔC en donnoit une à chacun
dos frètes. Il récitoit-aufli quelques prières, dont
la formule fe trouve dans l’eucologiurn, Cependant.
ni la religion, ni le temple, ni la préfence même
d’un des deux chevaliers n’étoit néceflaire. Le
roi d’Arragpn fe fit frère d’armes du duc de
Bourgogne qu’il n’avoit jamais vu. Un aéte qui
fe trouve à la chambre des comptes dé Paris ,
rte que Louis XI « prend ôc accepte Charles
Hardi, duc de Bourgogne , pour fon feul frère
d’armes, fe conftitue le lien , promet le porter ,
aider, foutenir, favorifer, fecpurir de fa perlonne,
çontre tout ce qui peut Vivre Ôc mourir; jure
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1 enfin par la foi ôc ferment de fon corps, fur fon
honneur, & en parole de roi , avoir 6c tenir toutes
ces chofes fermes, ftables, Ôc agréables, fans jamais
i venir au contraire, en quelque forme ou manière
que* ce foit».
Il paroît que ces alliances ne fe contraétoient
pas par limple promefle, mais par un a£ie authentiq
ue .'Ce fut ainfi que Bertran 6c Cliflon s’engagèrent
à défendre réciproquement leurs biens,
leur v i e , leur honneur, 6c à fe prêter une aflif-
tance mutuelle contre touts, excepté contre le
roi de France ou le feigneur de Rohan. Ge fut
au château de Pontorfon qu’ils en fignèrent l’aéte,
( Voye^ Joinville , dijfert. de du Cange ).
La fraternité d’armes avoit une telle puiffance
fur les âmes' fortes, qu’elle éteignit la haine fub-
fiftante depuis fi long-temps entre Cliflon 6c le
duc de Bretagne. Ils le jurèrent une alliance éternelle
; 6c le duc, venant à la cour, de France pour
accomplir les propofitions du mariage de fon fils
aîné avec la fille du ro i, laifla au fire de Cliflon
le gouvernement de fon pay s , ôc la garde de fa
femme ôc de fes enfants : tant étoit grande l’idée
qu’on avoit de l’inviolabilité de cet engagement,
6c la confiance que mettoit le duc dans le ferment
de Cliflon.
Ainfi , : Xadoption d’honneur en frère devenoit
utile, en éteignant les plus violentes inimitiés,
comme en produifant les amitiés les plus fortes.
Dans çe temps où touts les guerriers co'mbattoient
corps à corps, 6c fouvent Teuls contre plufieurs,
ils avoient befoin de .fecours : un homme qui leur
étoit dévoué les arrachoit quelquefois au plus
grand danger. Ce furent donc la nature des combats
9 l’intérêt, 6c le befoin qui produifirent cette
‘ efpèce de fédération particulière, 6c en ferrèrent
les noeuds. Ce fentiment, joint à celui de l’eftime
6c d’une haute idée des vertus militaires » devait
donner à un déyouement fi abfolu 6c fi folemnel
un grand pouvoir fur les grandes âmes. En effet
l’hiftoire fait voir que ces alliances ont produit
de grandes aétions 6c d’utiles entreprifes : elles font
peut-être l’origine des ordres militaires.
On le§ connoiflbit dès le temps de Louis IX.
Joinville, parlant de Gilles-le-Brun, connétable
de France, le nomme fon frère; 6c en 1674 ,
Barbantanne 6c Bufîi fe donnoient ce titre. Le
changement dans les armes 6c la manière de
combattre , a diminué peu à peu 6c fait ceffet
ces aflociations. Ce n’eft pas que les mêmes vertus
n’exiftent plus dans nos militaires : elles y font ;
mais le befoin de fraternité s’eft évanoui. Il n’y
a pour J’officier ni biens à conquefler, ni rançons
à partager, ni combats à livrer : il ne fe trouve
devant l’ennemi que pour donner-des ordres. Autrefois
un frère d’armés pouvôit parer le coup
qui menaçoit la tête de fon frère ; aujourd’hui fon
fecours ferpit impuiflant contre la-balle 6c le boulet,
Nous trouvons dans le Nord une autre adoption
en ufage parmi les princes. Des guerriers égaux
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entre eux s’unifloient comme frères ; mais un
grand prince adoptoit comme fils ceux qui étoient
moins puiflants que lui. Cette coutume , ancienne
parmi, les rois goths , fut obfervée par Théodoric
à l’égard d’un prince des Herules. Voici
la lettre que ce conquérant de l’Italie lui écrivit
en l’adoptant pour Ion fils : « Il eft honorable
parmi les nations de devenir fils par les armes,
parce que le guerrier reconnu pour le plus brave
eft le feul digne de cette adoption^ _ Nous fommes
fouvent trompés par le fang ; mais les fils que
des aéticns jugées publiquement ont produits ,
ne fçauroient être lâches. Ce n’eft pas de la nature ,
c ’eft de leurs vertus qu’ils reçoivent leur illuftra-
tipn , lorfqu’étant étrangers ils font attachés par le
feul lien de l’ame; ôc ce paéteeft fi fort, qu’ils
mourroient plutôt que de voir leur père fupporter
la moindre peine. Ainfi, fuivant l’ufâge des nations,
ÔL conformément à notre pouvoir, nous te procréons
fils par Je préfent don, afin que tu naiffes
duement par les armes, puifqu’on reconnoît en
to ile s vertus guerrières. Nous te. donnons ces
chevaux, ces épées, ces boucliers, ôc autres'inf-
truments de guerre; mais, ce qui eft plus-grand
encore, nous te donnons la fanéfion de nos ju -‘
gements. Approuvé par ceux de Théodoric, tu
feras, illuftre parmi les. nations : prends ces armes
qu| feront utiles à toi ôc à moi : tu dois ton dévouement
à celui qui-remet dans tes mains le plus
d’inftruments de détenlè : il éprouve ton coeur, ôc
attend _cjué tes fervices ne Ibient pas dus à la
foümiflion ». On voit à la fin de cette lettre,
que des ambafladeurs la portèrent.
Le même Théodoric fut adopté par Zenon ;
Theodebert, roîd’Auftrafie, par Juftinien; Cofroès
par Maurice,; Bofon par le pape Jean XII ; Louis,
fils de Bofon, par l’empereur Charles-le Gros,
& Godexroi de Bouillon, par Alexis Comnène.
ifevf n etoit pas feulement un titre d’honneur-pour
les fils des rois Lombards ; ils avoient un intérêt
a; le faire adopter par un prince étranger; alors
feulement ils etoient reçus à la table de leur père.
Dans une guerre contre les Gépides, Alboin fils
du roi Audoin tua Turifmod fils de Turifend.
Les Gépides, voyant le fils de leur roi fans v ie ,
s abandonnèrent à la fuite. Les chefs Lombards,
revenus de cette expédition, représentèrent à leur
Souverain que fon fils , étant caufe de lavifroire .
méritoit d’être admis à fa table, comme il l’avoit
ete à partager les dangers de la guerre. Alboin
répondu qu’il ne le pouvoit fans contrevenir à
1 ulage de la nation. Vous fçavez, leur dit-il, ce
qu îlfnous prefçrit : le fils du roi ne peut manger
avec fon père, qu’il n’ait reçu d’un roi étranger
\ adoption par les armes.
' 7® jeune Alboin, apprenant cette réponfe , part
avec quarante guerriers de fon âge, va trouver
J K & lui apprend le Sujet de fon voyage.
^ t l nàr eW VeC ■ I M I a fa table fie
tait placer a fa droite où fon fils Turifmod avoit
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coutume de s’afleoir. Mais, pendant lerepas, ce malheureux
père , fe rappellant fans çefle un fils- qu’il
aimoit; 6c voyant fon meurtrier à fa place, ne put
retenir fes pleurs. Cette place m’eft chère,dit-il; mais
que la vue de celui qui l’occupe m’eft doulouréufe.
Un autre fils du r o i, entrant en fureur, en voyant
fon père verfer des larmes, tint quelques propos
outrageants pour les Lombards. Un des guerriers
de cette, nation lui répondit d’aller voir les traces
de leur valeur fur le champ de bataille où étoient
encore les .os de fon frère. Ce reproche irrita les
Gépides. Ils fe montroient déjà difpofés ;à la vengeance
, 6c les Lombards portoient la main à. leurs
épees. Le r o i,j fe levant, calma les fiens en me-
. qaçant de punir le premier 'qui fe rendroit cop-
: pable de violence, ôc difarit que tue;- Un ennemi
■ dans fa propre maifon, ne pouvoit être une yiêjoire
agréable à Dieu. Le repas fe termina paisiblement:
' T urifend, prenant les armes de fon fils, les donna
au prince Lombard qui les rappôrta dans-fa patrie.
Alors Alboin , reçu à la tablé de fon père, y
raconta ce qu’il avoit fait chez les Gépides, Si.
les convives applaudirent à fon courage^, ainfi qu’à
la juftice 6c à la générofité du roi Turifend.
On a vu dans la lettre de Théodoric la nature
des obligations que cette alliance impofoit. Elles
etoient à peu près les mêmes que celles de la
fraternité d’armes , mais plus grandes par leurs
effets, comme contrariées par des princes : c’étoit
un gage d’eftime mutuelle, de fecours, de concorde
entr’eux, 6c de paix entre leurs fujets.
Cet engagement fut quelquefois obfervé avec la
plus grande générofité. Les princes ne dédaignoient
pas de le contraéler avec leurs-fujets. Un feigneur
goth, nommé Genfimund ; ayant reçu cet honneur
perdit fon père adoptif. La couronne lui fut offerte :
il la refufa pour la conferver au fuccefleur légi-
time , quoique ce lu i-c i fut d’une branche fort
éloignée. Mais, comme les pallions corrompent les
meilleures inftitutions, l’ambition a quelquefois
abufé de l’adoption par les armes. Conftantin, roi
des Bulgares , étant mort , laifla un fils encore
en bas âge. La reine Marie Cantacuzène, craignant
que le prince bulgare Sphendiftas ne fît valoir les
droits , affez bien fondés , qu’il avoit au trône ,
tenta de 1 attirer a fa cour en lui offrant de l’adopter,
Sphendiflas, regardant .ee lien comme une fureté
inviolable, ne balança point à l’accepter. L'a-
doption fut célébrée dans l’églife par un prêtre ,
avec les prières & cérémonies accoutumées, de^
vant la cour & le peuple', à la clarté des flambeaux.
La jeune reine, étendant les deux côtés.'
du manteau royal , en couvrit fon fils Michel
encore au berceau, & fon fils adoptif avancé
en âge , les embrafla l’un & l’autre, Si quelque
temps après Sphendiflas frit aflafliné.
Ces deux efpècès de fédérations militaires ne
donnoient aucun droit à l’hérédité. Il s’en établit
une en Allemagne, dans le treizième fiècle, en
yertu de laquelle les contractants acquéroient ce