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chaque jour d'un pofte à l’autre , ou ils mettront
un gros détachement dans le dernier lieu de la
frontière où l’on peut le rendre fans craindre les
partifans ennemis & les voleurs. Et , lorfque plusieurs
vivandiers y feront arrivés , ce détachement
les escortera jufqu’au camp, & reconduira enfuite
les vivandiers & les payfans qui , après avoir
vendu leurs denrées , fortiront du camp pour aller
faire de nouveaux achats.
Vous ne pourrez pas toujours employer autant
de détachements pour efcorter les vivandiers qu’il
y a d’avenues par où les vivres peuvent venir. Il
n’y aura pas auffi toujours à craindre de la part
des partis ennemis, & touts les payfans ne voudront
pas faire un détour pour chercher l’efcorte ;
lorfque de leur village à l’armée Us pourront prendre
une route plus courte. Il feroit à craindre pour lors
que vos propres foldats ne fiffent fuir les vivandiers
, en les volant fur les chemins, ou que les
officiers qui paffent ne leur priffent leurs voitures.
Pour éviter cet inconvénient, qui eft très confidé-
rable , faites publier un ban par lequel il fera défendu
aux foldats fous peine de la vie « & à
l’officier fous peine d’être privé de fon emploi ,
de commettre aucun de ces défordres. Beyerlinck,
parlant de Tamerlan , dit « que, quoiqu’il eut une
armée prodigieufe , fon camp avoit toujours une
grande abondance de toutes fortes de vivres, parce
qu’il puniffoit très févèrement les vols & les rapines
des foldats ».
Une autre attention néceffaire pour que les vivandiers
ne fe dégoûtent pas de venir à votre armée, j
c’eft d’empêcher que le prévôt, le quartier-maître j
général, les majors généraux , les majors des brigades
ou des régiments ne les rançonnent , &
n’exigent d’eux des droits trop forts pour les vivres
qu’ils viennent vendre à l’armée ; ou qu’ils ne leur
portent trop de préjudice , en mettant aux vivres
un pjix auquel les vivandiers gagnent trop peu. Il
faut confidérer que tout eft cher dans le voiftnage
d’une armée- parce qu’il y a beaucoup d’achetéürs,
que les troupes ruinent fouvent beaucoup plus de
chofes qu’elles n’en achètent, & que les vivandiers
courent rifque de perdre leurs mulets & la
v ie , s’ils rencontrent des partis ennemis : péril.
qui eft plus grand dans un pays ennemi, parce que
les courfes des payfans en armes y font quelquefois
plus fréquentes, & les traitements qu’ils font
éprouver plus rigoureux que ceux des troupes.
Ainfi les vivandiers veulent proportionner leur
gain au danger auquel ils s’expofent ; & , comme
ce danger ell fans bornes, il n’eft pas jufte d’en
mettre aux prix de ce qu’ils vendent.
L’armée efpagnole allant faire le fiège d eT o r -
to fe , & marchant dans un pays qui nétoit pas
dans le parti du r o i , on taxa le prix de touts les
Vivres : auffitôt les vivandiers abandonnèrent entièrement
l’armée ; & au camp de Téflis ’on paya
un écu le pain de munition de vingt - quatre
pfïcps,
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Le général recommandera aux brigadiers & aux
colonels de payer & de faire payer ponctuellement
tout ce qui s’achètera des vivandiers, & des lieux
qui ont prêté ferment de fidélité : autrement pour
quelques jours que les troupes vivront fans qu’il
leur en coûte , elles en pafferont plufieurs fans
pouvoir trouver des vivres pour leur argent ; parce
que les payfans rebutés iront avec leurs effets en
des lieux éloignés de l’armée. D ’ailleurs ne pas
payer eft une efpèce de vol que le général ne
doit pas permettre.
Souffrir que vos foldats volent, c’eft porter préjudice
à votre confcience , à votre réputation, & à
votre fortune ; c’eft détruire la difcipline dans
votre armée, & donner occafion à des foulève-
ments dans le pays qui eft fous vos ordres.
On appelle maraudeurs ceux qui, fous prétexte
d’aller chercher aux environs de l’armée de la
falade ou du fruit, volent tout ce qu’ils trouvent
dans les villages & à la campagne. Si les ennemis
attaquent une armée dont les foldats ont ce défaut,
ils trouveront de moins pour leur réfifter touts
ceux qui font allés en maraude, & qui n’ont ni
le paffage libre ni le temps de joindre l’armée,
ou qui ne voudront pas s’y rendre.
J’ai vu fouvent qu’il manquoit dans les marches
& dans le camp des François , un tiers du nombre
effeétif des foldats, qui étoit allé piller dans les villages
& les maifons de campagne des environs
de l’armée. Il eft vrai que le moindre foldat de
cette valeureufe nation paffe au travers du plus
grand feu des ennemis, & abandonne un riche
pillage pour aller à fes drapeaux, dès qu’il entend
fonner l’allarme.
{ Ce fentiment d’honneur diminue les inconvénients
de l’indifcipline ; mais il eft bien éloigné
de les détruire ; & ils ont empêché plus d’une
fois les armées françoifes de garfter une pofttion
importante auffi longtemps qu’il auroit été né-
ceflaire. (K .) ] .
Les maraudeurs ruinent en peu de jours un pays
qui pendant longtemps auroit fourni à votre
armée de quoi fubïifter. Il y a plufieurs autres in- -
convénients considérables , qui proviennent des
vols & des pillages.
Les payfans irrités de ce que les maraudeurs leur
enlèvent continuellement quelque chofe de leurs
jardins, de leurs vignes , de leurs troupeaux , ou
de leurs maifons , en tuent un grand nombre, fur-
tout lorfqu’on eft dans le pays ennemi : les habitants
forment ouvertement-des partis contre les
foldats qui fe détachent de l’armée. Les François
ne l’ont que trop éprouvé dans la Catalogne , &
les Allemands dans la Caftille, pendant la guerre
des alliés contre les deux couronnes.
Lorfque les maraudeurs font en trop grand
nombre ; les payfans , ne fe trouvant pas affez forts
pour les attaquer , courent avertir la troupe la plus
proche de l’autre armée ; & , comme ils-’ connoiffent
les chemins détournés, }es gués, & .les ponts, ils
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conduifent un détachement qui vient fondre fur
les maraudeurs , fur - tout lorfqu’ils font dans, un
pays ennemi ; parce qu’alors les payfans font paffer
pour un zèle du prince ce qui n’eft peut - être
qu’un effet de leur vengeance : ou du moins ils font
paroître d’autant plus d’a&ivité que la défenfe de
leurs biens & l’intérêt de leur prince fe trouvent
réunis enfemble. On comptoit par milliers les pri-
fonniers que dom Jofeph Ballejo, dom Juan de
Cercéda , dom Félicien Bracamonte., & quelques
autres fameux partifans efpagnols ont fait dans
la guerre contre les alliés , à la faveur des prompts
avis qui leur étoient donnés par les payfans ,
lorfque les deux armées étoient dans “les. deux
Caftilles.
Après avoir examiné le mal, voyons quel remède
on peut apporter , pour éviter que des maraudeurs
ne fortent de votre camp. Accordez des
fauve-gardes aux villages & aux maifons de campagne
qui font à une demi-lieue à la ronde de
votre armée, & faites publier un ban par lequel
il -foit défendu , fous peine de la vie , à tout'tam-
bour , trompette ,' caporal, & foldat de paffer au-
delà dé ,ces fauve-gardes , fans une permiffion par
écrit, ou fans un officier qui commande le parti :
ce qui eft encore utile pour éviter la défertion.
• Xénophon, s’appercevant qu’on donnoit lieu à
beaucoup de vols , en permettant aux foldats de
fe détacher de l’armée fous prétexte d’aller chercher
à manger , prit les mefures convenables pour
arrêter ce defordre.
Prenez auffi les précautions néceffaires , pour
que les foldats ne défolent pas le pays , lorfqu’ils
vont faire du bois ou des fafcines : on trouve de
grands avantages à mettre en pratique ce confeil.
- Vous comprendrez encore dans le ban ceux qui
prennent de la viande des beftiaux qu’ils trouvent
morts ; autrement, trois ou quatre foldats fe détacheront
pour les tuer, & après être revenus au
camp fans aucune prife , ils indiqueront à leurs
camarades l’endroit où ils pourront trouver ces
bêtes mortes ; & ceux-ci chercheront le moyen
d’avoir des payfans pour témoins que la chair
qu’ils prennent eft de bêtes qu’ils m’ont point
tuées.
M. le duc d’Orléans , dans le camp de Mafés de
Mora , fit pendre un dragon, uniquement parce
qu’on lui trouva deux livres de viande d’une
vache que quelque autre foldat avoit tuée , & qu’il
avoit trouvée fur fon chemin. Quoique ce châtiment
parût févère , il fut néanmoins auffi jufte que
néceflaire : peude joursauparavantlevillage.de
Tibife avoit été pillé parles maraudeurs, fur quatre
cents defquels les Miquelets vinrent fondre , &
quelque diligence que les piquets de cavalerie
purent faire pour aller à leurs fecours, ils arrivèrent
trop tard. Les maraudeurs avoient auffi
éloigné les payfans qui apportoient des vivres au
camp : mais l’exemple dont je viens de parler
arrêta les vols & raffura le payfan.
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Si les expédients que je viens de propofer ne
fuffifent pas pour empêcher les foldats d’aller en
! maraude , paffez de temps en temps inopinément
les troupes en revue ; & , s’il manque un nombre
confidérahle de foldats, &. que le défordre continue,
puniffez avec rigueur non-feulement ceux
qui le commettent, mais encore les commandants
des régiments & des compagnies : fans leur tolérance
ou lèur négligence , les foldats ne fe hafar-
deroient pas à s’éloigner auffi fouvent de leurs
corps.
Après le pillage de Tibife dont on a parlé ,,le
comte d’Eftaing lieutenant général, voulant arrêter
touts les maraudeurs, fit avancer des partis fur le
chemin par où ils dévoient revenir , avec ordre
de fe faifir de tout foldat à qui on trouveroit
d’autres hardes que l’habit de fon régiment : & ,
comme les maraudeurs croient n’avoir rien à appréhender
jufqu’à leur arrivée au camp, ôn prit
touts ceux qui s’étoient échappés des mains des
Miquelets. 11 faut envoyer ces partis fur différents
chemins , dès que par les revues vous vous apper-
cevez qu’il manque un grand nombre de foldats.
Evitez feulement qu’on ne fçache de quel côté
vont vos partis : ils doivent auffi fe mettre en
embufcade pour attendre les maraudeurs ; de
crainte que ceux-ci ne défertent dans la crainte
où ils feroient d’être arrêtés & punis.
• Vous ne devez pas prendre un terreih enfemencé
pour camper, lorfque vous pouvez le faire commodément
dans un autre endroit; pour ne pas
priver les payfans de cette récolte , ni les appauvrir
&. vous attirer leur haine fans néceffité. Par
la même raifon vous défendrez de fourrager le
froment', tandis qu’il y aura de l’orge ou de l’avoine
; de couper ces deux dernières fortes de
fourrage , lorfqu’il y en aura affez d’autres pour la
cavalerie : & , fi les terres incultes en produifoient
fuffifamment, vous ne permettrez pas qu’on fauche
les près , qui coûtent au pauvre payfan fon argent
& fa fueur. Les commandants des détachements
qui vont prendre dans les villages du foin ou de la
paille doivent avoir foin que le foldat, avec le
fourrage, n’çnlève quelqu’autre chofe, qu’il trouve
dans les maifons , & ne maltraite les payfans.
Ne permettez pas que l’on coupe les arbres fruitiers
, s’il y en a affez d’autres, quoiqu’un peu
plus éloignés, pour les fafcines , les piquets , lès
gabions , le parc, les baraques, & le bois à
brûler.
On.fçait qu’il y a des motifs qui obligent quelquefois
*à ravager un pays : mais , lorfque ces
motifs ne fe rencontrent pas , obfervez même
dans le pays ennemi tout ce que je propofe ici,
afin de ne pas vous rendre odieux dans la guerre
par une rigueur inutile, & de ne pas convertir en
faulx deftruénve des campagnes & des biens du
malheureux payfan l’épée deftinée à moiffonner
des lauriers. « Vous ne couperez pas, difent les
livres faims, les arbres qui portent du fruit ; &■