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livres rend les hommes meilleurs & plus hetfrêux ;
enfin que les militaires ne peuvent fe procurer les
ouvrages qui leur font le plus indifpenfables, fans
le fecours d’une bibliothèque établie à la fuite de
chaque corps ; ne fera-t-on pas obligé de convenir
.cpie: l’établiffement qui nous occupe dans ce mo-
'ment eft utile, & même néceffaire ?
Comme nous croyons avoir démontré dans
quelques autres articles de ce diélionnaire la vérité
des deux premières propofitions que nous venons|d’a-
yancer, ( V A c a d ém ie , G én ér a l, & Moeurs.).
il ne nous refte qu’à mettre la troifième dans tout
fon jour.
_ Sans le fe cours d’une bibliothèque établie à la
fuite de chaque régiment françois, il eft impof-
fible aux officiers qui les compofent, de fe procurer
les livres qu’ils peuvent delirer , ouj avoir
befoih de lire. La médiocrité de leur fortune ne
leur permet en effet ni de les acheter, ni de les. tranf-
porter quand ils les ont acquis : elle ne leur permet
pas davantage de les louer : mais, puffent-ils prendre
fur leur néceffaire abfolu ou relatif le prix que les
libraires demandent pour le loyer des livres , leur
condition ne feroit guère meilleure ; les ouvrages ;
que les libraires prêtent font communément dangereux
, fouvent peu inftruélifs, & toujours peu
analogues aux befoins des officiers. On trouve rarement
des bibliothèques publiques dans les villes
de province ; &. , plus rarement encore , on y
trouve les ouvrages effentiellement utiles aux militaires.
Ces bibliothèques ne font ouvertes que
certains jours, pendant peu d’heures, & il n’eft
prefque jamais permis d’emporter chez foi les
ouvrages qui les compofent. Les bibliothèques
publiques font donc d’un foible fecours pour les
officiers. Les bibliothèques particulières font aujourd’hui
très-multipliées, mais peu font ouvertes
aux militaires. Touts ceux qui regardent lès livres
comme des meubles deftinés à orner leurs mai-
fons les prêtent rarement : ils craignent qu’on n’en
dégrade la fuperbe reliure, feul objet qui les
flatte, & dont ils jouiffent. Les autres biblictaphes
ne confient pas volontiers leurs livres à de jeunes
officiers qu’ils foupçonnent d’être peu foigneux en
ce genre. Il ne relie donc pour toute reffource
aux militaires que les cabinets des fçavants , qui
fe font un plarfir dé propager les lumières par
leurs confeils , par leurs écrits , & en prêtant les
livres qui leur appartiennent. Mais combien de
temps ne s'écoule-t-il pas, avant qu’un officier ait
lié connoiffance avec quelques-uns de ces hommes
jnalheureufement trop rares.
Le moment où il pourroit commencer, à jouir
de leurs livres, & des charmes de leur fociété ,
eft ptécifément celui où un ordre de changer de
garnifon l’oblige d’aller éprouver ailleurs les mêmes
peines , & peut être avec moins de fuccès. Dans
les quartiers ces difficultés s’accroîffent infiniment.
Dans les colonies, & pendant le cours des campagnes
, elfes deviennent fouvent infurmontables.
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I Après ce$ eonfidérations peut-on s’étonner que
les jeunes militaires ayent peu de goût pour la
leélure, ou qu’ils lifent feulement des ouyrages
faits pour corrompre leur coeur & leur efprit.
Etabliffons à la fuite de chaque régiment une
bibliothèque bien choifie , & bientôt nous ferons
les témoins d’une heureufe révolution. Le goût
de la leélure &. l’amour du travail fe développeront
dans le coeur de tel militaire qui, fans ce fecours,
n’auroit jamais voulu s’affurer par lui-même fi
l’étude réunit touts les charmes qu’on lui attribue ,
& fi les fciences prodiguent réellement les plaifirs
vifs dont prétendent jouir ceux qui les cultivent.
Un autre officier jettera indifféremment les yeux
fur un ouvrage que le hafard lui aura offert. La
nouveauté des objets, ou la manière dont ils feront
préfentés, éveillera fa curiofité ; il relira attentivement
ce qu’il avoit parcouru d’abord fans réflexion
; il voudra enfuite le méditer. Ce premier
ouvrage lui rendra la leélure d’un autre livre néceffaire
&. facile ; le goût du travail naîtra , & le
jeune militaire , convaincu du befoin de revenir
aux premiers principes, reprendra fon éducation
fous oeuvre. Que dans ce moment décifif il foit
affez heureux pour rencontrer un ami éclairé, qui
daigne le guider dans cette nouvelle carrière ; il
la parcourra à grands pas. Dès les premiers inftants
fes camarades jouiront de l’honnêteté & de l’aménité
que ces commencements d’inftruélion auront
répandus fur fon caraélère : bientôt les cercles &
les fociétés goûteront fon efprit, orné des con-
noiffances les plus agréables : la patrie fe glorifiera
S d’avance des fervices utiles qu’il fe fera mis à portée
de lui rendre ; elle l’emploîra avec confiance ; elle
préparera pour lui les couronnes les plus glorieufes ;
enfin, le monde entier lui devra peut être un
jour des lumières nouvelles, utiles à fon bonheur.
Pourquoi ce que mon imagination me préfente
ici ne feroit-il pas réalifé ? Il ne faut quelquefois
qu’une circonftance favorable pour développer le
germe du génie, & lui faire prendre l’accroiffement
le plus rapide. Mais, quand les bibliothèques ne
produiroient qu’une partie ‘des effets heureux que
nous venons de préfènter , il feroit encore très
utile d’en établir une à la fuite de chaque corps.
Les avantages considérables qu’en ont retiré plu-
fieurs régiments eft une preuve inconteftable en
faveur de cette opinion. En donnant une idée de
la manière dont chacune de ces bibliothèques doit
être compofée ; en parlant des moyens de fe procurer
les fonds néceifaires à fa création & à fon
accroiflement; en examinant quel eft celui qui doit
être chargé de veiller au choix, à la confervation ,
au remplacement , à la diftribution des livres *
nous verrons que touts ces objets entraînent peu
de foins , donnent peu de peine, occafionnent peu
de dépenfe , & nous détruirons d’avance toutes
les objeélions qu’on pourroit nous faire.
Oui , fans doute , Fénelon a eu raifon d’apprendre
à fçn augufte élève que ceux qui aiment
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à lire font heureux. Il a eu raifon de lui dire :
<( Heureux ceux qui s’amufent en s’inftruifant, &
qui fe plaifent à cultiver leur efprit par les fciences !
En quelque endroit que la fortune ennemie les
jette, ils portent toujours avec eux de quoi s’entretenir
; & l’ennui qui dévore les autres hommes,
au milieu même des délices, eft inconnu à ceux
qui fçavent s’occuper par quelque leélure ». Mais
l’immortel évêque , de Cambrai, en enveloppant
les inftruâioîis fublimes qu’il nous donne fous les
fiélions les plus ingénieufes ; en rendant fes leçons
plus fenûbles par les images les plus riantes les
plus vraies ; en les embelliffant par les defcriptions
les plus magnifiques & les plus variées ; en les
animant par les comparaifons les plus juftes & les
plus nobles ; en les diélant enfin dans le ftyle le
plus harmonieux , ne nous apprend-t-il pas que,
pour faire goûter les charmes de la leélure a l’ar-
dente jeuneffe, nous devons éloigner de fes regards ;
tout ce qui pourroit l’effrayer; que nous devons !
applanir devant elle touts les obftacles qui pour-
roient la rebuter ; & ne lui offrir dès les premiers
pas que des objets agréables par leur forme, leurs
touleurs, & leur diverfité. En effet, pours’amufer
en s’inftruifant, il faut avoir contrarié d’avance &
de loin l’heureufe habitude de la leélure. Sera-ce
en des livres didaéliques fur l’art de la guerre ?
Sera-ce en de graves hiftoriens, dans les ouvrages
des profonds . métaphificiens & des févères mo-
raliftes, que cette jeuneffe qui voudroitfans ceffe
voir naître fous fes pas les plaifirs, les ris, & les
jeux, pourra contracter cette habitude néceffaire ?
Lui préfenter dès l’ouverture de la carrière une
route parfemée d’épines , des chemins difficiles &
tortueux , ce feroit la décourager. Si au contraire
les. fleurs de la littérature frappent fes premiers
regards, elle s’engagera bientôt d’elle-même dans
le vafte champ de l’hiftoire. Noqs la verrons en-
fuite ou travailler fans peine à réfoudre des problèmes
mathématiques , ou defcendre aifément
dans les abftraites fpéculations de la métaphÿfique,
& finir toujours par méditer avec plaifir les principes
profonds & les règles difficiles de la fcience
de la guerre.
Une bibliothèque militaire doit donc offrir des
livres faits pour touts les âges & pour touts les
goût$ : ici des livres feulement agréables , là des
ouvrages agréables & inftruélifs, &. enfin des livres
feulement inftruélifs. Dans la première claffe je
rangerois les théâtres célébrés, lés voyages curieux
, les mélanges faits avec foin & choifis avec
difcernement ; quelques romans bien écrits, encore
mreux penl'és, & propres à former les moeurs , tels
que celui de fir Charles Grandiffon &. quelques
autres romans anglois. J’en profcrirois les ouvrages
marqués au coin de la licence &. de l’irréligion,
touts ceux qui offrent à l’imagination ardente de
la jeuneffe des tableaux faits pour allumer ou
entretenir dans fon ame le feu des pallions dan-
geteufes. Dans la fécondé claffe feroient les. hif-
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toriens ; ceux de notre nation feroient les plus
nombreux : j’y joindrois les vies des hommes célèbres
chez touts les peuples. Ceslivres réveilleroient
l’amour de la patrie & de la gloire dans le coeur
des jeunes militaires ; quelques ouvrages de morale
leur apprendroient à régler leur conduite ; les meilleurs
livres fur les loix leur feroient fentir la ne-
ceffité de fe foumettre à leur volonté ; enfin on
les mettroit à portée de pénétrer dans les fecrets
de la nature , en leur offrant ce que nous avons
de meilleur en phyftque ck. en hiftoire naturelle.
Les ouvrages didaéliques militaires , & les mémoires
des plus grands généraux, compoleroient
la troifième & dernière claffe.
Douze ou quinze cents volumes bien choifis
fuffiroient à ces divers objets.
Dès l’établiffement d’une bibliothèque les régiments
ne pourroient pas avoir le nombre de volumes dont
nous venons de parler. Pour les acquérir il faudroit
payer à la fois une fomme qui, pour être répartie
fur plufieurs têtes, n’en gêneroit pas moins ceux
qui devroient la fournir. On n’achéteroit donc
d’abord que fept à huit cents volumes. Ils coûteront
à-peu-près 2400 livres. Un régiment d’infanterie
eft compofé de 60 officiers : ainfi chacun n’aü-
roit à payer qu’environ 40 livres. Cette contribution
, peu confidérable en elle-même, devien-
: droit tout-à-fait infenfible , fi on la divifoit en
: douze parties égales , & qu’on en répartît la levée
! fur une année entière. Avant que ce temps fojt
expiré , les officiers accoutumés à louer des livres
fe feront déjà rembourfés des avances qu’ils auront
faites.
Pour porter la bibliothèque au nombre de volumes
que nous avons dit, & pour réparer les livres anciennement
achetés , il fuffira de faire payer un
mois d’appointement par chaque officier nouvellement
nommé. Afin de diminuer encore le poids
de cette dernière contribution , on pourroit la
répartir de la même manière que la première. On
fent que la fréquente mutation des chefs produira
de très grands fonds aux bibliothèques.
Dans les régiments de cavalerie le nombre des
officiers eft moins confidérable; les, bibliothèques
feront donc d’abord moins nombreufes ; -mais les
changements fréquents que ces corps éprouvent,
porteront bientôt les bibliothèques au même point
que celles de l’infanterie. D ’ailleurs, les officiers
de ce corps étant plus riches , la contribution pourroit
être plus forte , & la bibliothèque aufïi nom-
breufe dès le commencement.
Comme nous avons été à portée de calculer
le produit des différentes mutations dont nous venons
de parler, nous pouvons affirmer que les fonds
qu’elles donneront feront plus que fuffifants à l’objet
de leur deftination.
Le choix des livres dont la bibliothèque d’un régiment
devroit être compofée , feroit confié à cinq
commiffaires que le corps éliroit à la pluralité des
voix. Ils feroient pris, autant qu’on le. pourroit ,