
13 5 4 »llne flotte danoife fe fervit de canon dans la
mer Baltique.E n i3 8 o , Laurence de Medicis &
les Vénitiens en employèrent contre les Génois.
Dans 1 efpace .d’un fiècle , l’artillerie fit tant de
progrès, qu aucunes murailles ne pouvoient plus
luirefifter. Ce fut a cet art & aux connoiflances
q u y avoit acquifes Jean Bureau, que Charles V i l
• dut la plus grande partie de fes l'uccès.
Comparaifon des armes de jet anciennes avec
i \les nouvelles»
Un autre objet plus important eft la compar
e 1* de nos armes pyroballiftiques. avec celles
dont les anciens faifoient ufage. Quelques auteurs
ont propofé cette queftion, & pris l’affirmative
pour la fupériorité des armes, anciennes. Quoiqu’il
f t aucune apparence qu’elles foient jamais
iubintue'es aux nôtres ; il ne fera pas inutile de
ioumettre cette opinion à un nouvel examen,
parce.que .la vérité eft toujours utile. Le chevalier
Folard a déprécié nos armes de jet & vanté les
anciennes. Il a confeillé, indirectement , de fubfti-
tuer les arcs & les baliftes à nos canons & à nos
.fufils. Le père Daniel, avant lu i, avoit embraffé ,
le même fentiment. Plufieurs militaires ont été
ébranlés , & peuvent l’être encore par ces deux
autorités. Mais il ne faut pas , dit Cicéron, fe
laiffer conduire par l’autorité , comme le cheval
morfls • il faut pas auffi larejetter fans
rai Ion.
S’il y a une autorité qui foit impofante, c’eft
lans doute celle ; des nations. Il n’eft pas vraifem-
blable que toutes, celles qui ont abandonné les
armes anciennes pour les modernes, l’ayent fait
par caprice , fans raifon , fans expérience , fans
çonnoiflance de caufe. Dès que les canons & les
fufils ont paru en Europe, les armes connues juf-
qu’alors ont été laiffées. Quelle a pu être la caufe
de ce changement fubit & univerfel, fi ce n’eft
l ’avantage décidé qu’ont eu ceux qui les premiers
ont fait ce changement dans leur milice, & la
grande fupériorité qu’y ont éprouvée ceux qui les
ont imités ? Ce n’eft pas feulement en Europe que
cette révolution s’eft opérée ; c’eft: dans toute la
terre. Des que l’Afrique ôt l’Afie ont connu les
armes à feu, elles les ont adoptées. Si quelques
peuples de ces pays n’en ont point encore, ce
n’e ft, ni volontairement, ni par choix : des cir-
conftances particulières s’y oppofent ; telles que
le défaut de commerce avec les autres peuples,
celui de matières & d’ouvriers , celui de connoiflances
, & d’induftrie ; enfin les préjugés nationaux.
Les hommes les moins éclairés ne balancent
point fur cet échange, quand ils peuvent
le faire : il n’y a point de fauvaee qui ne jette fon
a rc , dès qu’il peut avoir un fufil, de la poudre, &
des balles.
Les Américains nord-occidentaux fe fervoient
autrefois de quelques armes défenfives qui fuffifoient
pour les garantir des flèches. Dès qu’ils ont
eu à combattre des hommes armés de fufils, il les
ont quittées comme très inutiles. Un peu de coton
piqué entre deux toiles fuffit aux foldats de Cortex
pour les garantir des flèches mexicaines. Combien
n’en faudroit-il pas pour arrêter une balle ? Dans
un combat de ce général contre le même peuple,
les Mexicains perdirent huit cents hommes ,
les Efpagnols, deux. Dans un autre combat les
troupes aeCortez contre lesTlafcalans , les troupes
efpagooles voyoient tomber devant elles les flèches
& les “pierres de l’ennemi, tandis que leurs balles
failoient un grand ravage dans fes rangs.
Les plaintes des militaires qui vivoient au temps
où cette arme parut, font des preuves incontei-
tables de fa fupériorité. Montluc difoit ; « que
pleuft à Dieu que ce malheureux inftrument n’euft
jamais été inventé ; je n’en porterois les marques,
lefquelles encore aujourd’hui me rendent languif-
! fant; &• tant de braves & vaillants hommes ne
fuflent morts de la main le plus fouvent des plus
poltrons & plus lâches, qui n’oferoient regarder
au vifage celui que de loin ils renverfent de leurs
malheureufes balles : mais ce font artifices du
diable pour nous faire entretuer ». Le même capitaine
ne trouve pas d’autre moyen pour fe garantir
des effets de l’arquebufe que de lui oppolèr
l’arquebufe. Lorfque le maréchal de Briflac voulut
affiéger Lans, ( en 1551), Montluc fut chargé d’y
conduire l’artillerie. « J’allai, dit-il, regarder en
quelle façon je pourrois faire les chemins en'la
montagne, fans que nous fuffions offenfés du château.
Et premièrement, je découvris cinq petites
canonières faites pour arquebufes, qui nous def-
couvroient tout le long du chemin. Pour brider
cela, je priai le capitaine Ynard de m’amener
trois cents arquebufiers des meilleurs de fa troupe ;
lefquels arrivés nous en defpartifmes pour en eftre
mis dix à chaque canonière ; qui tiroient comme
quand on tire au blanc l’un après l’autre , & toùts
à defeouvert ; & quand le dernier des dix ache-
voit de tirer, le premier recomméhçoit. Dans la
ville y avoit une maifon, de la couverture &
haut de laquelle on pouvoit battre au dedans & au
long de la courtine. Mais, pour fe garantir d’icelie,
ils avoient mis force tables l’une fur l’autre ; en
telle forte que ceux qui montoient fur la maifon ,
ne pouvoient rien voir au long de la muraille. Or ,
les tables étoient fort Amples ; & , avant le commencement
de la guerre, j’avois mis en tête à
M. le maréchal de faire forger à Pignerol quatre
cents arquebufes d’un calibre qui portoit trois ou
quatre cents pas de pointe, & que ces armes fuflent
mifes au deflus du fogon , afin que perfonne ne les
peuft tirer du Piedmont : defquelles il en pourrok
diftribuer vingt à chaque compagnie , & ordonner
aux thréforiers de bailler douze francs de paye
à ceux qui les portoient. Ces arquebufes étoient
desja faites &. diftribuées. Je priai le capitaine
Richelieu, qui depuis fut maiftre de camp, défaire
monter fur la maifon les vingt arquebufiers, pour
tirer au travers les tables le long de la courtine :
parmi lefquelles les arquebufades pafloient comme
, par un papier ; de forte que tant les arquebufiers
qui battoient de deflus la maifon au long de
la courtine, que ceux-là qui tiroient à dixaine,
mirent les ennemis en tel eftat, que perfonne
ne s’ofoit hafarder à pafler au dedans de la courtine
». Montluc ne diflimule point ici le grand
effet des arquebufades, & n’en dit point de mal,
quand elles lui font avantageufes. Il ne regrette
point l’arbalête, qui n’auroitpas percé des tables à
quatre cents pas, comme des feuilles de papier.
Le vaillant chevalier Bayard déclama auffi contre
l’arquebufe. u C eft une honte , difoit-il, qu’un homme
v de coeur foit expofé à périr par une miférable f r i-
» quenelle , dont il ne peut fe défendre». Il
étoit fi courroucé, contre cette arme, qu’il faifoit
peu de quartier aux arquebufiers qui lui tomboient
entre les mains. Mais avant cette invention ,
Bayard & Montluc étoient expofés aux flèches ,
aux traits ,de l’arbalête , à ceux que lançoient les
grandes machines , & qui pouvoient tuer auffi le
plus brave par la main du lâche. S’ils avoient eu
plus de force que les balles , ces deux capitaines,
loin d’inveûiver l’inventeur de. l’arquebufe, au-
roient. dû le remercier de ce qu’il avoit diminué
le danger des coups adreffés de loin, & ouvert
a leur courage une plus libre carrière. Ils n’étoient
donc fi dépités contre Y arme nouvelle que parce
qu’ils y reconnoifloient une fupériorité décidée ,
que les coups des grandes machines étoient incertains
& rares , l’arc & l’arbalête dangereux feulement
à une petite diftance qui laifloit l’efpoir de
joindre bientôt l’ennemi, les flèches & les traits re-
poufles facilement par la mince lame de fer qui
formoit la cuiraffe ; au lieu qu’elle étoit percée
de loin par la balle comme les tables du château
de Lans.
Archidame voyant un trait de catapulte , bien
fuperieur au javelot & à la flèche, s’écria de même 3
e>\e1o âçsTcc, le courage eft mort.
L’autorité univerfelle des nations, qui, ayant
•connu les deux efpèces d’armes, n’ont point hé-
fite fur le choix, & le témoignage des militaires qui
en ont fait l’expérience , fuffiroient peut-être pour
décider cette queftion. Cependant , pour être
jufte, & pour éviter tout foupçon de partialité , il
faut écouter, difeuter les raifons alléguées par les-
partifans des anciennes armes. Le père Daniel nous
dit qu’elles étoient plus parfaites, puifqu’il périfloit
plus d’hommes dans les combats, Ôc qu’elles blef-
foient l’ennemi fous quelque dire&ion qu’elles
fuflent lancées. Mais, ou je m’abufe étrangement, (
«u c’eft tout le contraire. 11 périfloit plus d’hommes
dans les combats, précifément parce qu’on y fai-
ioi.t peu d’ufage des armes de j e t , qu’on ne les
•eraployoit en commençant l’aélion que pour tenter
de jetter quelque défordre dans la troupe ennemie,
& qu'on en vendit promptement aux armes d e m a in ,
en fe joignant homme à homme, main à main,
pied à pied , & corps à corps. Il faut de plus faire
ici une oblervation importante. Ce n’étoit pas dans
ce combat ferré, fi terrible en apparence , qu’il
périfloit le plus de foldats. La plupart des coups
d’épée portoient à faux fur les boucliers, les cafques
& les cuiraffes : c’étoit dans la fuite que fe faifoit
le carnage. L’infanterie & la cavalerie vi&orieufes
avoient les fuyards fous leur main : il n’en échappoit
à leurs coups qu’un petit nombre ; & c’eft la véritable
caufe de cette grande , mais confiante difproportion
que nous voyons dans les batailles anciennes entré la
perte des vaincus &c celle des vainqueurs : elle eft
telle que nous la regarderions comme fabuieufe ; f i ,
n’ayant aucun égard à la différence des ufages ,
nous jugions de ces temps reculés par le nôtre.
Il y eut à Marathon fix mille trois cents Perfes
tués, & quatre-vingt-douze Athéniens; à Platée,
deux cents quatre-vingt-quatorze mille Perfes tués
ou pris, trente & un Lacédémoniens, feize T é -
géates , cinquante-deux Athéniens; à Leu&res ,
quatre mille Spartiates-, trois cents Thébains; à
la bataille d’Iffe, quatre-vingt mille Perfes, deux
cents quatre-vingt Macédoniens ; à la bataille d’A r-
belles, trois cents mille Perfes , onze cents Macédoniens
; au lac de Thralymène , quinze mille
Romains, quinze1 cents Carthaginois ; à Cannes
foixante-dix mille Romains , cinq mille fept cents
Carthaginois; ( Polyb. I. I I I , § . 118 , Ernefti. ) ;
au combat de Grumentum p entre Annibal Sc
Claudius Néron, huit mille Carthaginois , deux
cents Romains ; à celui de Scipion contre Man-
donius & Indibilis, feize mille Efpagnols, douze
cents Romains ; à Zama, vingt mille Carthaginois ,
deux mijle Romains ; à Pharfale , deux° cents
trente Céfariens, quinze mille Pompéiens. ( Ccef
bell. civil, liv. I. I I I , c. 99. Oudëndorp. 40. ).
A la bataille de Poitiers, entre Charlës Martel &
les.Sarrafins , trois cents foixante-quirize mille Sarra-
fins tués, quinze'cents François ; à la bataille de Muret
, vingt mille Albigeois, neuf croilés; à Crécy ,
trente mille François, une centaine d’Anglois ; à
Rosbeck, vingt-cinq mille Flamands, cinquante
François; Azincourt, dix mille - François , feize
cents Anglois ; Fornoue, trois mille cinq cents
Italiens , vingHieuf François ; Agnadel, quinze
mille Vcnitierié’/cinq cents François.
On peut obje&er qu’il y a de l’exagération dans
les calculs, & répondre qu’il eft extraordinaire
quelle foit auffi confiante, qu’elle fe trouve dans
les auteurs les plus graves , les plus dignes de foi ,
qui connoifîoient la manière de combattre de leur
temps , qui l’avoient vue , éprouvée ; tels que
Polybe , Amen , & Cæfar, & qu’il peut être téméraire
"de les accufer d’une efpèce d’abfurdité.
Mais fuppofons l’exagération , & diminuons de
moitié le nombre des morts dont ils nous parlent ;
il reftera encore une différence énorme entre les
effets de nos combats & ceux des leurs , qui ne
peut avoir d’autre caufe que la différence intro