
raie aucune des raifons pour lefquelles un général
peut être porté à combattre fon ennemi.
Je ferai voir enl'uite quelles ont été les fautes
faites tant dans la difpofition générale que dans la
particulière , & enfin celles qui ont fuivi cette
journée, & mis le comble à nos malheurs. J'ai dit
ailleurs qu’un général ne devoit jamais fe commettre
à donner une bataille ou à la recevoir, que
lorfqu’il y avoit pour ion prince beaucoup plus'
d’avantage à tirer d’un fuccès heureux que de dêla-
yantage à craindre d’un fuccès malheureux.
Cette première maxime, mconteftable & qu’on
peut fuivre avec fureté, a été dans cette occafion
entièrement négligée par M. le maréchal de Ville-
roi. Malgré le malheur de la bataille d’Hochffet, la
guerre qui étoitrevenue au Rhin s’y foutenoit avec
égalité. Elle fe faifoit avantageufement en Italie ,
où M. de Vendôme oppofè à M. le prince Eugène
donnoitle temps à M. de la Feuillade de faire le
fiège de Turin. M. de Berwick foutenoit en Ef-
pagne une guerre fort difficile après la levée hon-
teufe du fiège de Barcelone par M. le maréchal de
Teffé. R ne convenoit donc aux deux couronnes
en Flandre que d’y faire en cette campagne une
guerre défenfive,, à laquelle même on s’étoit préparé
par la conftruélion de la nouvelle ligne le long
de la Dy lle.
M. le maréchal dé Vïtleroi a donc fait une grande
faute dans la conflitution générale des affaires, en
voulant par préfomption & fans réflexion fur le
plan général de la guerre, ouvrir îa campagne par
une aétion générale, dont le gain même dans ce
commencement n’auroit pas été confidérable. Cependant
le maréchal de Villeroi voulut fans aucune
raifon ouvrir la campagne hors de les lignes. Il
marcha pour cet effet à Tirlemont. Ce premier
mouvement en avant devoit lui fuffire, & on pouvo
ir même avoir une raifon pour le faire.
Une armée qui n’eft chargée que d’une guerre
défenfive dans fes lignes doit être enfemble plutôt
que celle de fon ennemi, afin d’avoir au moins
quelques jours pour confommer les. fôurages- qui
font au-dehors proche de la^hgne. Par cette conduite
précautionnée , l'ennemi trouve plus de difficulté
à s’approcher delà ligne, & fon féjour dans
-le voïfinage delà ligne en eft plus ruineux pour fa
cavalerie & pour fes équipages.
Si le maréchal de Villeroi s’étoit contenté d'e
s’avancer à Tirlemone, & de faire'confommer par
Farinée les fôurages entre, fon camp & la. Dylle ;.il>
auroit, fans fe compromettre, opéré là conferva-
tion des Pays-Bas & de fa ligne, Ce. général ne
fe contenta pas de cette première marche, qui
pouvoit avoir un objet judicieux , fans attendre
Sélecteur de Bavière , auquel il devoit tout au
moins la déférence de fe concerter avec lu i, il décampa
de Tirlemont & fe- porta en avant fur Ra-
rmllies»Tans,fçavoir quels étoient les mouvements
des ennemis, qui s’etoient affembîës vers Tongresv
Lorfque là tê.îe- de- Farinée françoife parut à-là
hauteur des fources de la petite Gèthé & de Ramillie
s , le maréchal de Villeroi. apprit que l’ennemi
marchoit à lu i, &. que les têtes de fes colonnes
commençoient à paroître. Ilpenfadonc à fe mettre
en bataille , comptant apparemment que l’ennemi
n’oferoit attaquer une armée auffi formidable que
la fienne.
Si la difpofition avoit été bonne, Faéfion auroit
fans doute eu un fuccès heureux par la valeur
des troupes ; mais elle fut fi mauvaife, & fi peu
précautionnée contre celle qu’il voyoit prendre à
Fennemi, qu’il n’eft pas furprenant que cette ba~
taille nous ait été auffi funefte.
Voici quelles furent les principales fautes du
maréchal de Villeroi, par rapport à la difpofition
particulière. Je commencerai par la gauche de
Farmée , en fuivant îa ligne julqu’à l’extrémité de là.
droite. Je parlerai enfuite de là fécondé ligne & du
fond de l’armée, pour faire voir que par-tout la
difpofition a été vicieufe & contre les régies.
Toute l’aile gauche de la cavalerie' étoit couverte
de la petite Gèthe & des marais qui la
bordent ; elle ne pouvoit charger la droite de lfë%
nemi., ni en être chargée : par coiiféqnent elle fut
mutile dans le combat.
Le village de Ramillies, fi tué dans, la plaine ,aur
delà des fources de là petite Gèthe, fe trouvoii
devant la droite de l’infanterie. M. de Villeroi y
-jetta quelques bataillons ; mais ce'village- ne tenok
point au fond de notre ligne, & en étoit trop éloi~
gné pour en pouvoir être foutenu efficacement
lorfqu’il feroit attaqué.
.O n négligea, même dé faire'' ouvrir les Haies du
village du côté dé la ligne, pour y marcher par un-
plus grand front ; au cas qu’il fut néceffaire de faire
foutenir l’infanterie du village, qui ne pènfa' pas à
s’y retrancher ni par la tête ni par les flancs, pas
même à fe communiquer d'é batailitm à Bataillon
de forte qu’elle étoit fimpfement placée dans les
clos & les jardins * fuivant le nombre qu’ils pourvoient
contenir;
Ce qui fut encore plus extraordinaire , c’éff que
pour garder le village, que Fon comptoit devoir
infiniment coûter à Fennemi ;.quoique, pour/opérér
cet effet, i l fut à une diftance trop confidérable de
là ligne ; air n’y mit que la moindre infanterie de
Farmée-, prefque touts bataillons étrangers, 8i recrutés
même de prifonniers faits fur lès .ennemis.
Ain.fi, îôrfqu’ils attaquèrent Fe village de R'amil—
fies, ils n’y eurent affaire qu’à d’affez mauvaifés-
troupes maldifpofées, &r qui,ne. furent point fou-
tenues allez tôt ni’ d’af f ez . pr ès . l é village fut
forcé, par lés flancs,.qui étaient..fa-ns- proteélion. La
difpofition de la droite étoit encore plus mauvaife:
que celle de là gauche & d'u centre.
Le village de Tavisres, fùr le bord de là Me-
haigne,.auroit dû fervir d’appui à notre, droite & là.
protéger. ; il méntoit un corps d’infanterie confidér
râble, pour Fe garder. Le maréchal de Villeroi fe
contenta d’y-envoyer dabordan régiment de dtâ«-
gons, qui y fut fort maltraité par l’infanterie qui l’attaqua.,
On y fit enfuite marcher une brigade de
quatre bataillons, qui y fut accablée par le feu fupe-
rieur de l’infanterie ennemie, déjà maîtreffe du
village.
Outre cette mauvaife difpofition de tout le
front, je remarquerai une négligence qui fut encore
en partie caufe de la perte de la bataille.
J*ai dit ci-deffus que c’étoit le matin, au commencement
de la marche, que M. le maréchal de
Villeroi avoit appris que l’ennemi marchoit à lu i..
Cependant, quoiqu’il eut le temps de fe débarraffer
de fes bagages, il n’y penfa jamais, & ils étoient
prefque touts entre fes lignes ; de manière qu’ils en
embarrafsèrent les mouvements, principalement a
la droite , où fe paffa Faéfion.
Voilà quelles ont été les principales fautes faites
dans la difpofition; toutes fi confidérables & fi
effentielles qu’une feule de ces fautes fuffifoit ,
pour donner à l’ennemi un avantage capable de lui
procurer le gain de la bataille.
L’ennemi, pour qui notre mauvaife difpofition
étoit évidente, employa plus de cinq heures à
changer fon ordre de bataille, & en prendre un
nouveau qui lui fût plus avantageux. Pendant tout
ce temps nos troupes demeurèrent fous les armes,
fans faire aucun mouvement ; & , quelques remontrances
que Fon pût faire à M. le maréchal de Villeroi
pour changer fon ordonnance & la régler fur
celle qu’on voyoit prendre à l’ennemi, & d’après
laquelle on ne pouvoit raifonnablement douter
qu’il ne voulût combattre, il ne fut jamais poffible
de l’engager à changer fa difpofition..
Toute Farmée du roi voyoit que l’ennemi dégar-
jaiffoit abfolument fa droite, parce qu’elle lui étoit
inutile pour combattre notre gauche qui étoit couverte
par la petite Gèthe. Le lieutenant général
qui eomraandoit à la gauche donna plufieurs-avis-à
M. le maréchal, de ce qu’il voyoit faire à l’ennemi
devant lui, & lui propofa de ne laiffer de
cavalerie à la gauche que par proportion à celle
que-Fennemi laiffoit à fa droite, & de venir avec
tout le refie doubler derrière la droite y comme on
voyoit que l’ennemi doublait derrière fa gauche.
Mais ce fut toujours inutilement que M- de Gaffion
propofa ce mouvement falutaire & judicieux.
On voyoit que Fennemi tiroit auffi une partie
de l’infanterie de fa droite , & quelle venoit former
plufieurs lignes devant le village de Ramillies
& la droite de notre infanterie. On ne pouvoit
douter, que ce ne fût à deffein de faire un grand
effort contre le village de Ramillies &. notre droite
d’infanterie.
Quelque remontrance que Fon fît encore à M.le
Hiaréchal,. pour l’obliger d’approcher, la ligne du
village, & pour faire doubler une partie de l’infanterie
de la gauche derrière celle de la droite du
centre »comme on le voyoit faire à l’ennemi- ; on ne
put jamais obtenir qu’il fît ce changement à fon
«r.dre. de bataille-3 quoiqu’il., fût raiforuiabLe- de- lgconformer
pour la défenfe à ce que Fon voyoit fait e
à Fennemi pour l’attaque.
On voyoit de plus que Fennemi tiroit de l’infanterie
de fa fécondé ligne, & qu il la faifoit marcher
àTavières. On repréfenta inutilement à M. de
Villeroi que Fennemi avoit tout porté à fa gauche ,
& que notre droite n’étoit point en état de foutenir
ce grand effort ; rien ne fut poffible de l’obliger à fe
conformer aux difpofitions de fon ennemi.^
Enfin, après que l’ennemi eut employé plus de
cinq,heures à prendre l’ordre que je viens de dire»
fans que pendant tout ce temps M. de Villeroi eut
en aucune manière pourvu à mettre la droite en
état de foutenir l’effort que Fennemi s’étoit propofé
de faire contre elle ; & , après que Fennemi fe fut
entièrement rendu maître de Tavières , & qu.il y
eût appuyé fa gauche , il marcha à notre aile
droite de cavalerie, for quatre lignes, & à notre
infanterie qui étoit dans le village de Ramillies ,
fur plufieurs lignes & colonnes. Ën approchant de
notre droite , il fit entrer fa fécondé & fa quatrième
ligne de cavalerie dans les intervalles des-
efcadrons de fa première & féconde- lignés , de
.forte qu’en nous abordant, il ne faifoit plus qu’un-
front fans întervalle.-
Ce mouvement fut fait de fi près que nôtres
première ligne de la droite n’eut pas le temps de
fe ferrer, pour remplir les intervalles, ni de les
faire remplir par lu fécondé ligne ; qui , outre
qu’elle avoit été mife en ordre de bataille ,. à trop
de difianee de la première , n’auroit pu faire librement
ce mouvement en avant, à caufe des équipages
qui par négligence avoient été laiffés entre
les deux lignes, comme je Fai dit.
Enfin donc notre droite fut chargée par un
front contigu, dont les efcadrons qui fe trouvoient
devant nos intervalles, pénétrant fans oppofition»
fe retournèrent pour charger par derrière nos
efcadrons de la première ligne ; q u iq u o iq u ’ils
enflent prefque touts battu les efcadrons qui les
: avoient chargés , furent mis dans un entier défordre-
par les efcadrons de la faconde ligne dés ennemis
, & par ceux qui les. attaquoient par derrière,-
L’ennemi conduifit l’attaque du village de Ra-
milliês différemment de celle de la cavalerie de la
droite. Il y marcha fur quatre ou cinq lignes ;mais
en approchant de la tête de- ce village , il connut
que notre ligne d’infanterie , étoit trop, éloignée
pour le protéger de- fon feu , & que les flancs dû-
village- n’étoient pas garnis de troupes, parce
qu’il y en avoit trop peu*
D’après cette mauvaife' difp.ofition de notre
part il en forma une bonne. Il fit avancer les*
bataillons d’une de-fes dernières* lignes fur l’alignement
de la première ; enfuite en approchant
du village, ce front- qui débordoit s’étendit en
potence lur les flancs, & les força fort aifément ;
parce- qu’il n’y trouva pas de refinance , dans ce
moment où nos troupes-foutenoient l'attaque de hr
tête,-