
au. château de. Biféglia , 'où il mourut de chagrin
' encore plus que de fa bleffure.
Comme toutes les allions humaines ne font
qu’un renouvellement, il n’y a point d’âge qui
ne préfente de pareils exemples. Louis X I , ayant
marché contre Charles, duc de Bourgogne, celui-
ci , impatient de livrer bataille, paflâ la Somme,
& vint à grandes journées au devant de fon
ennemi. Par ce faux mouvement, il abandonnoit
fon pays au pillage des garnilons d’Amiens &
de Saint-Quentin : il rendoit fes convois lents &
difficiles ; il venoit dans une province oh les fourrages
étoient rares ; il expofoit fon armée aux
funeftes effets de la difette.
Touts les généraux françois confeilloient au roi
de combattre. Dammartin, général célèbre alors,
étoit dans Amiens. 11 propofoit d’en fortir, &
^ de charger l’ennemi en queue , tandis que le roi
l ’attaqueroit de front. Le monarque, aflembla un
confeil de guerre oh la bataille fut réfolue prefque
unanimement. Cependant, lorfqu’il fallut y régler
le rang des généraux, les difpofitions, l’ordre de
l ’attaque ; la difcuffion devint longue, dégénéra'
en difpufe , & le confeil fut féparé fans rien conclure.
La diflimulation ordinaire de Louis avoit
feule affemblé ce confeil : fon deffein étoit de ne
point combattre. Il continua de harceler l ’ennemi,
de lui enlever fes convois, & fe tînt dans un
camp bien retranché ^ oh les vivres abondoient.
La difette, les' maladies, la défertion, le découragement
accabloient l’armée du duc de Bour
gogne. Les troupes qu’il avoit laiflees à l'a défenfe
de fon pays, avoient été battues & diffipées : il
reftoit abandonné au pillage des. François. La
retraite n’étoit pas facile avec une armée délabrée
, & une rivière à paffer devant un ennemi
nombreux, frais , déjà triomphant. Dans cette
pofition malheureufe , il fut réduit à propofer une
trè v ë , & eut le bonheur de la perfuader.
De même' que le fuccès couronne toujours
cette prudence < la défaite a fouvent fuivi une
conduite contraire. J’ajouterai l’exemple fuivant
à celui du roi Jean que l’on vient de voir. Louis
de Male , comte de Flandres , foutenoit avec
peine une guerre contre fes fujets. La France
lui avoit accordé un fecours de dix mille hommes,'
commandés par Olivier de Cliffon : le jeune roi
Charles V I voulut marcher avec cette armée.
Artevelle, chef des Flamands , s’-étoit campé
éntre Rosbec Courtraÿ. Ses deux .ailes étoient
appuyées, l’une à un ravin profond, l’autre à un
bois. Il avoit couvert le front de fon armée d’un
retranchement. Ce fut dans ce porte, alors prefi-
qu’inattaquable , que l’armée françoife le trouva.
On étoit au mois de novembre : la rigueur de la
faifon, dans un pays oh les ravages de la guerre
avoient détruit les fubrtftances, auroit contraint
én peu de temps les François à l’abandonner. Les
Flamands & leur chef, énorgueillis de quelques
fuccès précédents, ne fe promettoient pas moins
que la deftruftion totale de l’armée ennemie. Us
juroient de n’épargner que le r o i, pour ce qu'il
n étoit qu'un enfant, & de l’emmener à Gand,
apprendre , difoient-ils, la langue flamande.
Remplis de cette conf ianc e& craignant que
les François ne vinffent pas les attaquer dans leur
porte, ils le quittent pour fe former fur le mont
d’O r , colline voifine , de laquelle ils efpéroient
fondre fur leurs ennemis avec plus d’impétuofité.
Cliffon, voyant ce^mouvement, jugea la bataille
gagnée.
Les Flamands formèrent une ligne pleine , très
ferrée. L’armée françoife , partagée en trois corps,
attaqua par celui du centre, tandis que les deux
1 autres, tournant l’ennemi, les chargea par les
deux flancs. Les Flamands , pouffés lur le milieu
de-leur ligne., s’y ferrèrent tellement, qu’ils ne
pouvoient prefque plus faire ufage de leurs armes :
on dit qu’ils perdirent vingt-cinq mille hommes^
& les François un très petit nombre.
Difette d'argent.
Le défaut de vivres oh l’ennemi fe trouve,
n’eft pas le fëul qui doive nous faire refter dans
l’inaélion ; celui de l’argent, n’ayant pas de moins
funeftes effets, doit aufli nous y retenir. François Ier
h’auroit pas combattu à Pavie les Efpagnpls, qui
manquoient à la fois d’argent & de vivres , s’il
eut luivi cette règle; & l’exemple de CanutV I,
roi de Dannemarcfc, auroit pu l’inftruire. Val-
demar, évêque de Slefwig, fils naturel de Canut V ,
_ avoit reçu de ce monarque le gouvernement du
duché de Slefwig, durant le bas âge de Valdemar,
frère du roi. Quand le jeune prince fut en état
de le gérer , le prélat ne le remit qu’avec un dépit
extrême. Son ambition , fa dignité, fa naiffance,
fes grandes richeffes lui firent efpérer qu’il pour-
roit le venger de cette e’fpèce de dépofition, qu’il
regardoit comme une offenfe. Il fe fit des partilans
dans le royaume, & des alliés au dehors. Il engagea
fur - tout dans fes projets Adolphe de
Schàwembourg , comte de Holftein. Dès qu’il
croit fon parti affez fort, il déclare que fes droits
au trône étant aufli bien fondés que ceux de
Canut V I , il prétend au moins le partager avec lui.
Enfuite il pafl'e en .Norwège, reçoit des évêques
du pays trente-cinq vaiffeaux, débarque en Dan-
nemarck , & prend le-titre de roi. En même temps
Adolphe, & quelques feigneurs de Poméranie & de
baffe Saxe, marchent fur l’E y der à la tête d’une armée.
Canut prévoyant que les richeffes du prélat,
confidérables pour un particulier, nefuffiroient pas
long-temps aux frais d’une telle entreprife , fe
couvrit du retranchement de Dannéwerk, & ré-
folut d’éviter toute attion. Les murmures de fon
peuple & de fon armée ne l’ébranlèrent pas ;
& bientôt il recueillit le fruit de fa prudence &
de fa fermeté. Valdemar, ayant épuifé fes tréforsp
fut obligé de demander grâce.
Maladies, défertioril
I Lorfque l’armée ennemie fouffre par la maladie.
ou la défertion ,• il faut, en évitant le combat,
| itâcher d’augmenter ces deux fources de lente dé-
' faite. Si elle eft compofée de plufiéurs nations
i.alliées , commandées par un grand nombre de
généraux; il ell vraifemblable que la méfintel-
ligence ne tardera pas à fe gliffer entr’eux &
, entre les troupes. Elle y fera plutôt & plus vive ,
f i les nations diffèrent beaucoup entr’elles par le
•climat & les moeurs, & fi le cara&ère dominant
de quelques-unes eft l’orgueil ou l’inconftance :
celle-ci étoit le défaut des Gaulois ; Scipion le
Tepréfentoit à Semproniusv II lui confeilloit de les
«'fatiguer en temporifant, certain qu’ils abandon-
neroierit Annibal , s’il ne les enchaînoit par un
grand fuccès & l’efpérance d’un riche butin ; mais
l’ignorance & la préfomption ne connoiffent point
la prudence.
Négociations ,* ordres du prince•
Il y a des occafions , oh-, quelque avantage que
vous puiffiez vous promettre , foit par la fupé-
riorité du nombre, ou de l’efpèce de vos troupes,
fpitipar toutes les raifons qui doivent faire chercher
\\itttion, vous devez l’éviter. Si l’état dont vous..1
commandez l’armée eft en négociation avec l’ennemi
, & qu’il foit encore affez en force pour
continuer la guerre ; une défaite pourroit l’irriter
& rompre les négociations1, au lieu d’en hâter-la
»paix. Si un prince voifin, affez puiffant pour vous
nuire, devoit être alarmé de vos avantages; alors
fpyez affez prudent pour rejetter même une vi&oire
affurée.
S I Lorfque vous ignorez ces raifons, vous devez
î les luppofer, fi vous avez de votre fouveraiti un
ordre exprès de ne point combattre. Alors n’engagez
point à'atfion générale , fi vous, n’y êtes
fforcé par*l’ennemi, & réduit au danger évident
4 ’être défait en différant la bataille. Dans ce cas,
înftruifez d’avance votre prince du deffein oh le
:genei al ennemi paroît etre, de fes démarches tendantes
a chercher l'atiion, & de la .néceflité ou
vous ferez vraifemblablement de l’accepter. Lorfque
; vous y êtes réduit, affemblez un confeil de guerre
■ nombreux, & faites figner par touts vos généraux
la délibération prife d’accepter un combat, qui
.ne peut être refufé fans le plus grand danger : ces
•précautions mettront votre prince à couvert du
ipffentiment que les puiffances qu’il veut ménager
afPourroient avoir d’une défaite.
marquis de L è d e, capitaine général d’Efi-
®agne , ayant eu quelqu’avantage auprès de P a-
4|n j i ç , fur l’armée impériale', inférieure en nombre,
H,W„mpee dJ^ aVMtageufement> l’aurpit vraifem-
H 1 1 B 1 I aVOit & Il fut blâme de ne l’avoir fpuaisv l fafoitn : eil ndrèavgoiet; !
| | B çontr?lr-?! «treloué d’avoir obéi. Il avpit des
ordres précis, & plufiéurs fois réitérés, de ne point
agir offenfivement : la cour d’Efpagne en étoit
convenue avec celle de France. Quoique celle-ci
fut dans la ligne contraire à l’Efpagne, il y avoit
lieu de croire qu’en voyant accomplir dès-lors ce
qui venoit d’être arrêté par le traité de la quadruple
alliance, elle embrafferoit les intérêts de
Philippe V . Ce font les vues politiques qui font
marcher les armées ; elles doivent aulfi les diriger,
ÔL le général eft tenu de s’y conformer.
M o y e n s d ’é v i t e r l ’a c t i o n „
Poftes, retranchements, Jlratagêmes, &c.
On évite XâEtion par le choix des poftes, les
retranchements, le ftratagême , l’épuilement du
pays par oh l’ennemi peut vous fuivre , & la di-
verfion.
Cherchez les pays montueux , coupés de dé-
filés j de haies, de ruiffeaux, de bois-; couvrez-
vous de plufiéurs rivières ; défendez celles dont
les bords font efcarpés, & bien difpofés pour y
placer - votre artillerie ; augmentez les avantages
du terrein par ceux des abattis, des redoutes,
des retranchements de toute efpèce; choififfez-y
plufiéurs pofitions que vous ferez préparer d’avance,
afin de paflèr de l’une à l’autre fuivant
les mouvements de l’ennemi; que ce fo it, s’il fe
peut, derrière des places affez grandes, pour qu’il
ne puiffe les laiffer en arrière fans expofer fa
communication. On verra tout ceci plus en détail
dans la guerre défenfive, à laquelle ces précautions
appartiennent effentiellement^
Quelque piège que l’ennemi vous tende, foyez
inébranlable : laiffez ravager, brûler à vos y eu x ,
comme Fabius, la fertile Campanie, défaire un
détachement engagé trop avant par imprudence,
comme le duc de Lorraine dans fes lignes de Phi-
lisbourg. Laiffez l’ignorance , la jaloufie, l'inimitié,
vous accufer dans l’armée & auprès du prince,
de lâcheté, d’infidélité, de peu d’habileté, peut-
être de trahifon ; attendez patiemment le moment
de votre gloire, & de la confufion des efprits
•jaloux ; riez des bravades de votre ennemi, &
du mépris qu’il feindra pour vous & pour votre
circonfpeéfion. Cléomènes, fçachant qu’Antigone
avoit congédié fes troupes, alla ravager le territoire
d’Argos. Antigone, n’ayant point affez de
forces pour aller au devant de 1-ennemi, fe tint
renfermé. Sa prudeneé excita les murmures du
peuple : -mais, infenfible aux reproches de la mül-,
titude , ne penfant, comme le doit faire un général
& un roi , qu’à régler fes aélions fuivant
la raifon, demeura ferme, & tranquille. Indathyrfe,
roi des Scythes, refufa conftamment le combat au
grand roi dé Perfe, Le maréchal de Berwick,
en 1706, à l’armée portugaife & angloife, auprès
d’Inefta , malgré les murmures• & les reproches
indécents de fes fubalternes ; la bataille d’Almanza
le yengea de .çes injuftices.»
Fij