
i 2 o A R M
duite par la nature des armes dans' la manière' de
faire la guerre. Avant les armes à feu.,..les. armées
moins nombreules , formées fur une profondeur
fept ou huit fois, plus grande que la nôtre , .occu-
poient beaucoup moins de terrein^ &,fe chargeoient
le plus fouvent fur-tout , leur front. Aujourd’hui
nos armées occupent, vingt fois plus de terrein que
celles- des anciens. L’artillerie les oblige à fg tenir
très éloignées : il n’y a jamais qu’une partie de
l’une qui attaque un point- de l’autre. Lorfque ce
point eft,forcé > le refte de Xarmée fecourt les
•troupes pliées, ou protège leur retraite. Celle qui
a l’avantage ne peut avancer promptement, vu
lôn étendue. Quand elle le pourroit. faire, elle
ne l’oferoît pas ; parce que le général ne peut ni
donner des, ordres avep allez célérité , ni voir
l’état dans lequel eft l’armée; ennemie , obligée à
faire retraite : celle-ci , a. donc le temps de faire
fes difpofitions, & la plus grande partie peut être
déjà très-loin, avant que; celle-qui a vaincu:;fait
informée de fes. fuccès , & puifTe iaire des difpofitions
pour la pourfuite. Qeciduffit pour le moment :
je traiterai cet objet plus^ amplement à l’article
G uerre.
Je paffe maintenant aux détails de Cette queftion,
& je vais comparer la portée des armes anciennes
& des modernes, d’après ce que nous en ont appris
les anciens eux-mêmes^; r: ,
Le P. Daniel 3 ( Mil.fr. tom. I I , L. XIII , pagi
607. ) , dit : « que la portée de fo fronde étoit de
cinq à fix cents pas , &; par-conféquent beaucoup
plus longue que celle de nos fufils » . Il .s’appuie
de l’autorité de Végèce , dont voici les propres
paroles. Sagittarii verb vel funditores 3 fcopas , hoc
eji fruticum vel, fiaminum fafces pro figno ponebant,
ïta ut fèxcentos peàes removerentur à figno'., ut fa-
gittis, vel. certe lapidibus ex fufiibalo defiinatis s
fignüm fcepius tangerent. Les archers & frondeurs '
plaçoiérit pour but des fagots , c’eft-à-dire , des
taifceaux de brofFàilles.ou de paille. Ils s’éloignoient
de ce but à fix cents pieds, & le frappoient fouvent
avec les flèches ou les pierres lancées par le fufii-
bale.
On voit qu’il eft -difficile de traduire plus infidèlement
que le fait ici le P. Daniel. L’auteur romain
parle de pied l’auteur français^.fubftitue des
pas ; différence qui eft double , ;en,ne prenant pour
le pas que la mefure médiocre de deux de nos pieds.
Pour mettre ici les faits dans tout leur jour , prenons
les mefures les plus juftesque nous puiflions
avoir , & qui font plus que fuffifantes pounla
queftion dont il s’agit. D ’après la cpmpar-aifon de
tôutes les déterminations du pied romain ,.M. Gilbert
, ( Mém. de l ’acad. de Bel. L. V. XJLVIll ,
pag. 2.2,3. ) 3 l’évalue à 10 pouces . 10' lignes &
demie du pied de roi. Six cents pieds romains
égalent donc cinq cents quarante-trois, .pieds neuf
pouces de r o i, ou quatre-vingt - dix toifes trois
pieds neuf pouces. L’expérience a déterminé la
portée du fufll à cent quatre-vingt toifes. C’eft
A R M
d’après elle que Vauban adonné cette' étendue au
côté extérieur de la fortification. Ain.fi, la portée
de notre fufil efl: à-peu-près double de celle de
la fronde ou dë l’arc. Qblèrvons que cette portée
eft à-peu-près, de but-en-blanc, & que, Végèce
ne nous dit point fous quel angle les pierres &
les flèches étoient projettées à cette diftance. Il
eft vraifembiable que la flèche , la pierre , ou la
balle de plomb , lancée par la fronde , étant beaucoup
plus pefante que nos balles, & par conféquent
tendant vers la terre avec un effort beaucoup plus
grand , dévoient être tirées fous un angle plus
grand, & que leurs coups dévoient être beaucoup
plus incertains. Aufli les archers & les frondeurs
étoient fouvent placés derrière les oplites. C ’eft-là
que nous les voyons à la bataille de Thimbrée.
Arrien dit, dans fa taéfrque , qu’ils étoient placés
derrière Iss oplites , afin qu’ils en fuffent protégés ,
& qu’ils les fecondaffent en lançant leurs traits par-
deflus la phalange. Obfervons que l’auteur romain
ne .parle pas ici de la fronde {impie , mais du fufti-
bale , c’eit-à-dire de la fronde placée au bout d’un
bâton,ou levier long* de trois pieds fept pouces
fix lignes,, mis en mouvement avec les deux mains ,
qui jettoit les pierres à-peu-près comme l’onagre.
( L. 111, Ç. 14. ). La fronde Ample , mue par une
feule main , ne devoit pas avoir une aufli longue
po.rtée. <■.
Si on. vouloit faire une comparaifon plus jufte ,
il faudroit que ce fut entre cette efpèce de fronde ,
nommée fufiïbale, & notre carabine, dont la portée
eft plus-longue que celle du fufil. Ce n’eft pas tout
encore : fi on veut bannir toute efpèce d’impartialité
, il faut avoir égard au poids lancé, & comparer
la portée des balles de plomb que jettoient les fufti-
bales, avec celles que lancent nos fauconneaux. Il y
en a depuis un quart jufqu’à deux livres de poids ;
la portée .en eft double au moins de celle de
la balle lancée partie fufil.
Les faits fuivants prouvent que celle de la fronde
& des autres traits , étoit moindre dans la pratique
de la guerre , qu’aux exercices dont parle Végèce ,
.& pourvoient faire foupçonner que cet auteur l’a
fuppofée la plus grande poflible, ou qu’on éloignoit
le but, pour mieux former le foldat, &. développer
fon adreffe.
Céfar dit q ue , dans le combat naval qu’il livra
aux habitants' de Vannes ,4a hauteur du bord de
leurs vaiffeaux empêchoit les traits d’y arriver facilement.
Il répète plus bas que, quoique fes vaiffeaux
portaffent des tours, leur fommet n’égaloit
pas la: poupe des navires ennemis, & que les traits
lancés de bas en haut avoient peu d’effet. ( Bell,
gall. L. 111, C. 13 & 14. Oudendorp. 40. ). Cependant
les vaiffeaux étoient fi près les uns des
autres , que les Romains coupèrent les cordages
des ennemis avec des faulx emmanchées au bout de
longues perches, ce qui donne l’idée d’une très
I petite portée. Ces vaiffeaux de Vannes frétaient
| certainement pas aufli hauts de bord que les nôtres ;
À R M
& notre fufil tiré du fond de. la plus pôtité’ chaloupe
atteindrait très facilement au fommet1 du
grand mat. A 1)' ' v"'„ '
Au fiège d’Aléfia, Çæfàr fait creufer un- toile
de vingt pieds de large, & conftruire fes''lignes
de circonvallation à quatre cents pieds en-deça j
de crainte -que les ennemis ne vinffent de jour
inquiéter fes travailleurs j en lançant leurs traits
fur eux. ( L. V il. C. 72. ). Ils étoient donc à cette
diftance-hors de la portée du trait ; ce qui la diminue
d’un tiers j &. la réduit à foixante toifes.
Lorfque Titus eut fait approcher fes tours des.
murs de Jérufalem , les âcontiftes, les archers, les
lithoboles ou frondeurs des afïiégés lancèrent contre
©Iles dé$i traits de toute èfpèce : on employa meme
en cette occafion les baliftes .& autres ^machines
légères : mais aucun trait n’atteignait au-fommet
dç ces tours.' C ’eft ce que nous apprend Jofèphe ,
grand partifàn des anciennes machines, comme
nous l’allons voir inceffamment. ( Bell. Jud. L. VI.
c. $ '). Cependant ces tours n’avoient que cinquante
coudées de haut , ou foixante-fept pieds ,
huit pouces , huit lignes de roi. La hauteur des
murs étoit de trente ^coudées. ( Ibid. c. 6 ) . Si on .
connoiffoit la diftance à laquelle elles étoient, on
jauroit celle que les traits : des. Juifs avoient a parcourir.
Mais, fl on ne peut la déterminer , on v-ôit
dii moins quelle étoit la foibleffe 'de ces. traits.
Ceux des Romains, il eft v ra i, parvenoient aux
afïiégés ; mais t ’étoit, dit- le même auteur , parce
que l’élévation des tours en favorifoit la projeâion.
Lorfque Jofephe. s’aprocha des murs , pour exhorter
les Juifs à fe rendre , il fe tint hors'de la
portée du trait, & cependant fit un très long, discours
; ce qui feroit très impoflible aujourd’hui à
la portée du fufil : que Xeroit-ce, fi comme je l’ai
d it , ; nous adoptions la comp^faifon du fauconneau
avec la fronde. Ce qu’on peut admettre de plus
favorable , c’eft que l’orateur , pour fe faire entendre
, dût s’approcher des murs, au moins à
cinquante toifes : cette diftance eft à peu près, la
détermination-de la portée des traits par Cæfar, ,
au fiége d’Aléfia. Cet accord peut faire conclurre
qu’ellè étoit a peu près à la guerre entre cinquante
& foixante toifes , & par conféquent tout au plus
le tiers dé celle de notre fufil. Voyons maintenant
leurs effets.
Le chevalier Folard & le père Daniel difent ,
d’après l’autorité de Sénéque, que les balles de
plomb, lancées par des frondeurs vigcfureux.,;fe
îbhdÔient en l’air. Il ne faut que lire le -paflage dé
ce philofophe', pour voir qu’il- vouloit: expliquer
unè chofe qu’il ignoroit par une' autre qu’il n’en-
tendoit pas. Il dit : Aéra motus extenuat 3.& exté-
nuatio accendit. Sic liquefcit excujfa glans fundd ,
& attritu aeris velut ighe difiillat. ( Nat. qucefi. Xh
C. gà. ).- u Le mouvement atténué l’air., & l’atte-
. îiuation l’enflamme. G’eft àinft ^ue la balle lantéje
par une fronde fe liquéfie , & diftille par le frottement
de l’a i r , comme elle fëroit au feu ni Dn
Art militaire. Tome 1.
'A R M r 2 1
nè -•'petit"-pas faire grand-' -fond fur -cefte •• phyftque.ï
I f pàrok-qu’ëlfe àvoitqÿoür ; bafe- d’iïp^gmation* d’unf
po€têi Qadqües années avant <Sépéqhë j; Ovide»
avoit dit -dé Mercure : «Le dieu; fufpendudans>
les airs > s’enflamme à l’afpeâ d’Herfé , comme le-
plomb lancé par une fronde baleare ; il vole ,
rougit dans fa courfe , & trouvé au-deffous des
nuages le feu qu’il n’a voit pas.-* h ( Metam. L. II.-
v. 726 ). Virgile, Stace , -Lucrèce ; L u c a in o n t
parlé ce même langage.- • , • - •• • - j ' ’Æ
Ces créations poétiques ipeuvent amufer; mais-
il ne faut ni les recevoir comme des faits, ni tenter
de les expliquer par d’autres créations de l’efprit,
telles que l’inflammation de l’air par rexténuation,
& la liquéfaction "du plomb par le frottement de
l’air exténué. Si le père Daniel •&. Jufte Lipfe ont
cru à cette miférable phyftque , ils ont pu croire aufli
que le bras d’un homme avoit plus de force que
rexplofion de la poudre. On pourroit démontrer
mathématiquement que celle-ci eft très ‘fupérieure
à l’autre, & que par conféquent les partifans de
la fronde ont attribué l’effet fupérieur à la moindre
force.
Les habitahs des îles Baléares jettoient des pierres
du poids d’une* livre. Diodore dit qu’elles brifqient
les boucliers1, lès: cafques, toutes les. armes défen-
Üves, ôl frappoient , pour, ainft dire avec la
force d’une- catapulte : Végè.cé dit .que les pierres
lancées par la fronde ou-le fuftibale étoient plus-
dangereufes que toutes les flèches, parce que la
blefturè en étoit, mortelle , quoique - le fang ne-
coulât- pas.- Tite-rLive prétend que .les frondeurs
famièns furpàffoient les- bà-léares. Ici Jufte Lipfe
,eft en admiration devant cette force qu’il regarde
comme prodigieufe. Mais on ne nous dit ,pas à
quelle diftance elle opéroit ces merv.eilles> Sup-
pofons que ce foit à demi-portée, c’eft-à-dire à
trente toifes ou foixante pas , comme je l’ai prouve
1 par le. témoignage irrécufable de Jofephe, & de
Cæfar. Obfervons en memç temps, que. lès armes
défenfives des anciens n’étoient qu’une plaque de
métal affez mince , comme nous pouvons e.n juge rv
par les anciennes armures confervées dans-nos
arfenaùx. Une^balle lancée par,notre Ample fufil
"perceroit bien deux ou trois cuiraffes pareilles à
cette, diftance , & tueroit l’homme qui les porterait.
Huit ou dix mains dé papier gris, qui oppoferoient
peutrêtre plus de réfiftanee, feroient traverfées à
foixante-pas , puifque vingt-quatre mains fixées
à un arbre,, l’ont été fouvent à trente pas ou
quinze toifes', fuivant l’expérience rapportée dans
fe fupplément de l'Encyclopédie, à l’article poudre,
noté A A , & que.la balle s’eft perdue dans l’arbre.
Je doute qu?une pierre d’une liyre lancée par- le
plus irobufte frondeur baléare ou même famien eût
percé’ la première main. Le plaftron de nos ca*
j valiers eft ou doit être à l’épreuve du piftolet;
I II p:fe au. moins une fois plus que le corfelet' de,
nos anciens piquiers : mais il n’eft pas à beaucoup
j .près à l’épreuve du fufil. * Celui- des cuiraffes - de