
des fervices a remis à un officier le commandement
d’une compagnie, on peut efpérer avec raifon
qu’il réunira toutes les qualités néceffaires aux
capitaines * mais peut-on concevoir la même efpé-
rance, quand l’or feul a procuré la commiffion à
des jeunes gens qui fortent à peine de l’enfance?
Si un voyageur nous racontoit qu’un peuple chez
lequel il a vécu accorde ,lè droit de commander
une • compagnie même pendant la guerre , à de
très jeunes r gentilshommes , auxquels. on • ne demande
que la faculté de payer une certaine fomme
d’argent: que ces jeunet gens ont été-quelquefois
mal élevés dans touts les genres , mais fur-tout
qu’ils n’ont reçu aucune éducation militaire ; qu’ils
fortent prefque' touts pour la première fois des.
mains d’un gouverneur qui ne les a jamais quittés ;
qu’ils n’ont vu ni un combat, ni une armée , ni
un camp , §c qu’ils commandent cependant des
officiers qui ont blanchi fous le harnois , pris part
à des batailles, fait des lièges, ÔCc. nous mettrions
cette relation au nombre des fables, & cependant
cette table feroit notre hiftoire. Les loix ne nous
permettent de -difpofer de nos biens ou de. faire
quelque autre aère civil moins important encore
•que loriqiie nous avons atteint l’âgé de vingt-cinq
-ans, & elles voient avec indifférence l’honneur
êc la vie de cent cinquante braves citoyens , 6c
celle de pliifieurs officiers pleins de mérite & d’expérience
, entre lès mains d’un jeune homme de.
dix-huit ans. Quelle contradiction ! Les partifans
de l'avancement rapid e , diront fans doute que
trois ans paffés dans les grades inférieurs fuffifent
pour acquérir les connoillances & les qualités qui
font néceffaires à un capitaine. Oui . fans doute ,
trois ans employés utilement feroient peut - être
fuffifants pour un homme fait, mais ils ne peuvent
iuffire à un jeune homme. Calculons , 6c nous
verrons que les trois ans de fer vice que fait un fous-
lieutenant en troifième ne peuvent pas donner de
grands produits. D ’abord , des trois ans fixés par
la lo i , il. faut en fouftraire la moitié pour des
femeftres , ou pour des congés : car, quel èft le
fous-lieutenant deftiné par. fon rang , fa naiffance ,
ou fa fortune , à être colonel , ou à acheter une
compagnie , qui n’obtienne "pas dans l’efpace de
trois ans, un ou deux congés d’hiver ? Il refte encore .
dix-huit mois. Otons-en la première année de fer- 1
vice , pendant laquelle l’homme le plus appliqué- !
ne diftingue aucun objet , parce qu’il en a trop
à embrafier : il ne reliera plus que fix mois de
bonne étude. Efl-ce dans un aufli court efpace
de temps qu’un jeune homme, qui eft dans l’âge
pù les pallions font le plus fougueufes peut
apprendre tout ce qui eft néceffaire à un capitaine}
Que feroit-ce , fi nous avions fouftrait le temps
que,les jeunes gens qui jouiffent de quelque fortune
perdent dans une lâche inaélïon , & s’abandonnant
à des plaifirs fouvent honteux, confirment à un
jeu ruineux, ou à une parure ridicule ? S’il n’éft
pas poffible de bannir des troupes françoifes la
vénalité des emplois, reculons au moins jufqu’à
^ingt-cinq ans l’époque oii il fera permis d’acheter
une compagnie ; impofons aux acquéreurs des
conditions qui en diminuent le nombre , 6c qui
tournent au profit de l’état. ( Voyeç V én a lit é ,
C ongé , R evues , Se r v ic e . ).
De la fortune des capitaines. Si le luxe ell l’ennemi
le plus cruel de la dilcipline militaire, (
Luxe..), fi l’officic-r qui a reçu en partage une
fortune confidérâble fert ordinairement avec moins
de zèle que celui qui doit aux appointements qu’il
reçoit l’exiftence agréable dont il jouit dans la
fociété ; il eft heureux pour l’état, militaire que les
capitaines foient peu riches.
Cependant, comme il eft impoffible au gouvernement
de ddhiier à touts les officiers des appointements
qui puiffent fuffire à leurs befoins réels
ou relatifs j nous devons ou promulguer les loix
fomptuaires les plus rigides, 6c les faire exécuter
avec la plus grande rigueur , ou exiger que les
officiers foient allurés, de trouver dans leurs familles
de quoi fournir aux dépenfes qu’ils font
obligés de faire. Mais, comme ce dernier parti exclut
du fervice un grand nombre de gentilshommes
a qui leur-s ancêtres n’ont laiflé d’autre patrimoine
que . leur..nom ; & , comme cette nobleffe eft. le
plus ferme foutien de l’état, nous nous en tiendrons
au premier parti que nous avons propofé,
fvoye^ Luxe ) , & dans lequel nous avons tâché
de donner une idée des loix fomptuaires propres
aux troupes françoifes.
Les capitaines doivent-ils être mariés ? Demander
fi un capitaine doit être marié , eft une question
dont la folution eft prefque indifférente. Mais
rechercher fi l’e gouvernement doit favorifer les.
mariages des officiers, oü s’il doit les engager à
vivre dans le célibat , c’eft un problème d’économie
politique, dont la folution eft des plus imporr
tantes. Nous nous en occuperons dans l’article Sô Lt
d a t , & nous donnerons alors les raifons qui nous
font pencher vers la multiplicité des .mariages.
S E C T I O N I V .
Des qualités morales dont le capitaine doit être orné,’
des fentiments dont il doit être animé, 6» des paf-
fions auxquelles il doit être fenfible.
Quelqu’un de nos leéfeurs, étonné de voir qu’en
parlant des qualités morales du capitaine , nous
renvoyons- fouvent à l’article G énéral , demandera
peut-être quelle reffemblance il peut y avoir
entre les qualités du commandant d’une armée, &
celle du commandant' d’une compagnie ? Quoique
les loix morales auxquelles un capitaine d’infanterie
8c un général d’armée font fournis ne foient
pas les mêmes, elles ne diffèrent cependant qu’en
bien peu de chofe. .La morale militaire eft une,
comme celle de ' touts les autres états : ainfi ,
puifque nous ayons cherché à donner dans l’article
G énéral une idée complette de la morale du
commandant d’une armee , nous pouvons y renvoyer
fouvent, 8c nous borner a faire connoitre
les petites différences qu’elle éprouve ,& les modifications
légères qu’elle: fubit dans les différents
grades de l’ordre militaire. !
■ Pour être compté au rang des guerriers refpec-
tables, pour obtenir des jours heureux , jouir d’une
réputation flatteufe , 5c laiffer après foi un nom
glorieux, il faut que le capitaine aime fa patrie ,
& qu’il foit fournis aux loix du véritable honneur ;
qu’il ambitionne les récompenfes & les grades
élevés ; qu’il brûle d’amour pour la gloire ; qu il
mette un très haut prix à l’eftime publique ; qu il
defire obtenir celle de fes chefs , mériter l’amitié
de fes égaux , 6e l’amour de fes inférieurs ; qu’il
foit animé de l’efprit du corps ; qu’il ait une grande
bravoure , & un courage plus grand encore ; qu’il
foit toujours jufte ; qu’il donne fans ceffe des
preuvés d’ôbéiffance , d’aérivité, de prudence , 6e
des autres vertus qu’il defire trouver dans fes
fubalternes ; qu’il joigne à la probité le défintereffe-
ment, au défintéreffement la libéralité ; qu’il garde
fidèlement les promeffes qu’il aura faites, les paroles
qu’il aura données ; qu’il montre l ’humanité
la plus tendre , toutes les fois que le fervice de
l’état le lui permet ; qu’il ait des moeurs pures^, ou
au moins régulières, & enfin que, par fa modeftie,
& par fa poiiteffe, il fefaffe pardonner fes talents,
fes vertus, & fes fuccès. Telles font les qualités
morales que le capitaine doit réunir; tels font les
fentiments dont il doit être animé telles font les
paffions dont fon ame doit être embrafée, Jufti-
fions fuccefîivement, mais en peu de mots, les
pfopofitions que nous venons d’avancer.
De Vamour de la patrie, & 4e fon chef Nous
mettons l’amour de la patrie à la tête des fenti-
ments dont le capitaine doit être animé. Celui
qui aime la patrie , comme elle doit être aimée,
obéit avec foumiffion aux ordres qu’elle donne ;
accomplit à la lettre ce que commandent fes loix;
eft prêt' à lui fa crifier , non - feulement fa v ie ,
mais tout le cours de fes jours , à lui foumettre fa
volonté , fes goûts, fes plaifirs , & fes paffions.
Celui qui aime fà patrie d’un amour ré e l, fincère ,
perfévérant, effeéiit, 8c unique, ne fait rien qui
puiffe nuire à fon pay s , & n’omet aucun des
devoirs que le fervice de l’état impofe ; il le prévient
, il cherche, il prévoit ce qui peut être
utile à fa nation ; 8c, pour l’exécuter, il furmonte
les difficultés les plus grandes , il. fupporte les fatigues
les plus pénibles, il brave les dangers les
plus, éminents , 8c ne demande pour récompenfe
que l’efpoir de rendre des fervices plus grands
encore. Ce fentiment énergique, à qui lafage antiquité
doit touts les hommes célèbres qui l’ont il-
luftrée, peut produire toutes les vertus , & ne
peut être remplacée par aucune d’elles , pas
même par l ’honneur. ( Voyez art. G én é r a l , 6 i
fe éU V .) .
De Vhonneur. L’honneur, tel qu’on le définiffoit
jadis, ce préjugé qui réduifoit toutes les vertus au
feul courage , qui faifoit regarder l’ufage de la
force comme le moyen le plus noble de foutenir
fes droits, cet enfant d’un gouvernement à peine
ébauché j & d’une fuperftition groflière , n’entrèra
jamais dans l’ame du capitaine ; mais le véritable
honneur lui apprendra à ne rougir que de ce qui
eft véritablement honteux ; à ne chérir que les
devoirs ; à diftinguer la vertu d’avec fes apparences
; à prifer le contentement intérieur plus que
les louanges de la multitude ; en un m o t, cet
honneur dont il fuivra les loix fera celui que nous
avons cherché à peindre dans le paragraphe I I I ,
de la feétion IV de l’article général, 6c ce fentiment
produira dès effets femblables à ceux que l’amour
de la patrie enfante.
De l ’ambition, de l ’amour de la gloire , & des
récompenfes. L’état militaire eft celui qui impofe les
privations les plus grandes, qui expole aux dangers
les plus éminents,, qui foumet aux travaux les plus
pénibles; il- eft donc néceffaire de donner aùx
citoyens qui l’embraffent des fecours plus grands ,
des encouragements plus puiffants qu’à toutes les
autres claffes de citoyens. Le capitaine qui ne fera
pas fenfible à la gloire, que l’ambition des honneurs
6c des grades n’animera point, en qui les
récompenfes ne produiront pas un violent en-
thoufiafme , ne fera qu’un immobile . automate ,
qu’un être apathique, incapable de concevoir 6c
d’exécuter de grandes aérions. Les philofophës 6c
lès moraliftes ^ont eu raifon, fans doute , de déclamer
avec force contre l’ambition , 6c contre
l’amour de cette efpèce de gloire qu’on acquiert
les armes à la main. En effet, lorfque ces paffions
enflamment les fouverains, elles portent au loin le
ravage 6c l’incendie , elles font couler des torrents
de fang, 6c font par conféquent les plus grands
. fléaux de l’humanité ; mais il n’en eft plus de même,
lorfqu’elles-font allumées dans l’ame des fujets , 6c
fur-tout de ceux qui fe dévouent,à la défenfe de la
patrie. Dans ce nouveau fo y e r , elles font aufli
utiles qu’elles peuvent être funeftes dans le premier.
Voye^ R é c om p e n s e s 6c G én ér a l . § . IV
6c V .
De Vcjlime publique. L ’ambition d’obtenir des
«gfades élevés, 6c de recevoir , des récompenfes
honorables, peut, lorfqu’elie eft pouffée trop loin ,
porter le trouble dans la fociété ; mais il eft impoffible
què le defir de mériter l’eftime publique çaufe
le plus léger défordre. Plus ce defir eft v if , plus il
eft continu, plus il eft général, 6c mieux la patrie
eft fervie. Car , quelque aveuglés que foient les
peuples fur leurs vrais intérêts, ils n’accordent
leur eftime qu’aux aérions qui la méritent réellement.
Faifons naître; 6c développons de bonne
heure dans l’ame des militaires cette paffion pré-
cieufe de l’eftime publique : fi nous y parvenons ,
nous les verrons remplir leurs devoirs dans toute
leur-étendue, 6c réunir toutes les vertus qui eonfti