
Cæfar en étant informé par fes poftes avances ,
&. craignant une embufcade , parce qu’il n’avoit
pas encore pénétré la caufe de leur départ, contint
Ion armée & fa cavalerie dans fon camp. Au point
du jour , l’avis étant confirmé par fes patrouilles ,
il envoya toute fa cavalerie en avant , aux ordres
de Q . Pédius & de L. Aurunculeïus Cotta, afin
de retarder la marche de l ’arrière-garde, & ordonna
que le légat Titus Labiénus fuivît avec trois légions.
Ceux-ci ayant attaqué les dernières troupes,
& les ayant pour fui vies l’efpace de plufieurs milles,
en tuèrent un grand nombre dans leur fuite. Mais ,
tandis que les dernières divifions de l’armée ,
auxquelles les troupes romaines étoient parvenues,
faifoient une grande réfiftance , les précédentes
qui fe voyoient éloignées du d a n g e r& n’étoient
retenues, ni par la necefîité , ni par aucun ordre ,
entendant les cris des combattants, fe débandèrent,
& ne cherchèrent de fecours que dans la fuite.
Ainfi j fans aucun danger , les Romains continuèrent
le carnage pendant tout le jour; & vers
le coucher du foleil, fe retirèrent dans leur camp ,
comme ils en avoient l’ordre. ( Ccef. Bell. gall.
C. 10 & n. Oudendorp. )C
. Le même général nous donne, en Efpagne, un
autre exemple du même genre. Aframus & Pé-
tréius refferrés dans leurs fourages auprès d llerda ,
( Lerida), parce que Cæfar étoit très fupérieur en
cavalerie , réfolurent de quiter leur camp ., & de
porter la guerre en Celtibérie. Les villes que
Pompée y avoit foumifes , pendant la guerre
contre Sertorius, étoient retenues dans fon parti
par la crainte les autres qu’il avoit comblées de
bienfaits , y reftoient par attachement , & par re-
connoiflance. Le nom de Cæfar étoit moins connu
de ces peuples barbares. Les deux, lieutenants de
fon adverfaire en efpéroient de grands fecours,
fur-tout en cavalerie . : ils’ formèrent le projet de
paffer dans cette province , & d’y traîner la guerre
en longueur jufqu’à l’hiver. Dans ce deffein , ils
raffemblent touts les bateaux de l’Ebre , les font
amener à Oéfogèfe , ville fituée fur l’Ebre à vingt
milles de leur camp, les employent à y conftruire
un pont, tranfportent deux légions au-delà de la
Sègre , & entourent leur camp -d’un retranchement
de douze pieds.
Cæfar fut informé de ces mouvements par fes
explorateurs. Il étoit déjà parvenu, par un travail
continué le jour & la nuit, à détourner les-.eaux
de la Sègre , de forte que les cavaliers , quoique
ce ne fut encore qu’avec difficulté , pouvoient &
ofoient paffer la rivière. Mais l’infanterie , ayant
de l’eau jufqu’aux épaules , & au haut de la poitrine
, ne pouvoit paffer, vu la hauteur & la rapidité
des eaux. Cependant il apprerioit que le pont
commencé fur l’Ebre , par les ennemis 3 étoit
prefque fait , & on trouvoit un gué à la Sègre.
C ’étoient pour Afranius & Pétréïus autant de
raifons de hâter leur marche. Laiffant donc à
Ilerda deux cohortes auxiliaires , ils paffent la
Sègre avec toutes leurs troupes , & joignent le$
deux légions qui avoient paffé les jours précédents;
Il ne reftoit à Cæfar que de harceler & entamer
les ennemis avec fa cavalerie. Le paffage , par le
pont, demandoit un grand détour 3 & ils pon-
voient arriver à l’Ebre par un chemin beaucoup
moins long. La cavalerie , envoyée par Cæfar ,,
paffe la rivière 3 fe montre à /•’arrière - garde
d’Afranius qui avoit décamp'é vers la troilième
veille ( minuit') ; & , l’environnant par fon grand
nombre , commence à retarder & à empêcher fa
marche.
Au point du jour on voyoit du haut des collines
voifines du camp de Cæfar, cette cavalerie
preffer vivement Varrière-garde ; les dernières divifions
de l’armée ennemie , s’arrêter , fe féparer
du gros, marcher contre Ta cavalerie , & la re-
pouffer ; enfuite celle-ci fuivre les cohortes, dès
qu’elles reprenoient leur marche : dans tout le camp
de Cæfar, les foldats courir çà & là , fe plaindre
que l’ennemi leur échappoit, que la guerre fe pro-
longeoit plus qu’il ne falloit , aborder les centurions
& les tribuns , les fupplier de dire à Cæfar
qu’il ne leur épargnât ni les travaux ni les dangers,,
qu’ils étoient prêts , qu’ils, pouvoient qu’ils ofe-
roient paffer la rivière ou la cavalerie l’avoit paffée.
Cæfar , excité par cette ardeur & par ces difeours-,
mais craignant cependant.d’expofer fes troupes dans-
une auffi grande rivière, jugea qu’il falloit faire quelque
tentative. 11 ordonne que les foldats qui paroî-
troient n’avoir, ni la force ni le courage nécéffairè
pour cette épreuve , fuffent choifis dans toutes les
centuries:, & laiffés avec une légion pour garder le
camp. Enfuite il fait fortir le refte dès légions fans
bagages, & plaçant dans la rivière un grand nombre
de chevaux au-deffus &. au-deffous du gué , fait
paffer l’armée. Quelques foldats emportés- par le
courant font reçus & fecourus par la cavalerie- :
cependant aucun ne périt.
L’armée étant paffée, Cæfar la forme , la met
en marche fur trois lignes; & l’ardeur des foldats
fut telle , que malgré1 le retard caufé par le paffage,
& un circuit de fix milles, ils joignirent,
avant la neuvième héure , ( trois heures après
midi) , les ennemis partis à la troifième v e ille ,
( minuit ).
Afranius les appercevant de loin, & les obfèr-
vânt avec Pétréïus , fut effrayé de cette cfr.conf-
tance inattendue. Il s’arrêta fur les hauteurs & y
forma fon armée. Cæfar laiffa repofer la fienne
dans la plaine , afin de ne pas l’expofer au- combat,
fatiguée comme elle l’étoit. Les ennemis voulant
continuer leur marche il les pourfuit ; & les arrête.
Ils campent donc par néceffité plutôt qu’ils ne
le vouloient. Les montagnes étoient voifines, &
à cinq milles au-delà les chemins devènoient étroits
& difficiles. Ils fe retiroiept vers ces montagnes,
afin d’éviter la cavalerie de Cæfar , de mettre des
troupes aux défilés , pour l’y arrêter , de marcher
à l’Ebre fans péril ni crainte, &. de le paffer. C ’eft
ce qu’ils dévoient entreprendre & exécuter par
touts les moyens poffibles ; mais ,~ fatigués du
combat &. de la marche qui avoient duré toüt le
jour , ils différèrent jûîqu’au lendemain : Cæfar fe
campa auffi fur la colline voifine. ( Bell, civil. L.
L C. 6i <5* fcq. )►
On trouve dans notre hiftoire plufieurs exemples
à!arrière-gardes attaquées. Sous le règne de Gontran,
le général Elvacarre fut envoyé contre Varoc ,
duc de Bretagne. Le fils de cehii-ci-attaqualWrïére-
garde de l’armée françoife dont une partie avoit
déjà paffé la Vilaine, la mit en déroute, &. fit
un grand nombre de prifonniers. Charlemagne,
ayant délivré les Chrétiens d’Efpagne du tribut
qu’ils payoient aux Maures , repafloit les Pyrénées
avec la fécurité ordinaire & fouvent trop
grande en un vainqueur. Il avoit paffé les montagnes
avec toute fon armée : il ne réftoit plus dans les
défilés que Y arrière-garde qui marchoit fans crainte
& fans précaution. Les Gafcons , embufqués dans
un bois , la chargèrent brufquement, la mirent
en déroute , tuerent les principaux chefs ,, du
nombre defquels étoit le célèbre Roland, & pillèrent
touts les bagages. ( An. 778. ).
Ces anciens faits lontfi abrégés dans nos premiers
hiftoriens qu’on n’en peut tirer que peu de leçons :
les faits modern.es , plus détaillés, nous fourniront
plus d’inftruftions. Un des plus célèbres eft l’a&ion
de Sénef en 1678. Condé avoit pris fur le ruiffeau
du Piéton une poiïtion avantageufe 3 §l s-’y étoit
fortifié. Le prince d’Orange, qui commandoit l’armée
des alliés^,, s’approcha de celle des François,
afin d’en reconnoître la pofition., &. vint camper
à Sénef , en laiffant ce village en avant-de fa
droite, qui étoit vers Famille-à-Reux ; fa gauche
vers" Arquenne. Il n’y avoit pas plus, d’une lieue
entre les deux armées.
Le général des alliés , n’ofant pas attaquer Condé
dans la pofition., réfolut de pourfuivre le projet
qu’il avoit; adopté, celui de pénétrer dans la Flandre
ou dans le Haynaut françois , & d’y affiéger une
place confidérable. Deux routes pouvoient y conduire
; celle de Mons , plus longue &. plus-difficile,
avoit une journée de plus , & Condé pouvoit
exécuter de grands deffeins dans une feule journée.
O11 voulut le prévenir en prenant la route- de
Binche. Mais cette marche , parallèle au front de
l’armée françoife , & à une lieue d’elle , n’étoit
pas bien fure. Quelques généraux alliés, & en-
tr’autres le marquis. d’Olfentar. défap prouvèrent
dans le confeil la témérité de ce mouvement ;
mais le vieux comte de Souches , général des
troupes impériales, en méprifa les dangers en jeune
homme , & infifta vivement pour qu’il fut exécuté.
Le flanc gauche de la marche é toit, il eft v ra i,
couvert par des bois- &. des- ruiffeaux. La défenfe
de ce terrein, jointe aux fages précautions qui
pouvoient être prifes pour protéger le flanc , y
rendoit difficile une attaque ; ce n’étoit. donc pas
là qu’étoit le plus grand danger...
L’armée des alliés marcha par fa droite , le i i
août 1674 , fur trois colonnes , à peu de diftance
l’une de l’autre. La cavalerie forma celle de gauche,
la plus voifine des François ; l’infanterie occupa le
centre ; l’artillerie & les bagages marchèrent à la
droite.. Le prince de Vaudemont fut chargé de faire
l’arrière-garde avec un corps de quatre mille chevaux
tant impériaux qu’efjpagnols &. hollandois.
Condé , inftruit de leur marche , va lui-même
reconnoître, & voit défiler les colonnes. Il juge
auffitôt qu’ayant à paffer un pays coupé , difficile,
couvert de bois, elles s’allongeront beaucoup ,
que s’il en attaque une partie , les autres n’y
porteront du fecours qu’avec difficulté, lenteur ,
& confufion ; enfin , que la cavalerie, arme plus
nombreufe dans l’armée alliée que dans la françoife
, manoeuvrera avec peine dans ces ter-
reins étroits & fourrés. De plus , les généraux ennemis,
jaloux l’un de l’autre , incertains dans le
confeil, lents dans l’exécution, tantôt timides,
-tantôt téméraires , n’agiffoient jamais de concert ;
les troupes de trois nations différentes dévoient
être moins empreffées à fe donner du fecours,
& celles de France étoient plus aguerries. A Tinf-
tant Condé réfoud d’entreprendre fur l’arrière-
garde..
Le régiment- d’infanterie de la Reine., celui de
la F e r e ,la brigade de Tilladet, cavalerie, campées>
à la droite du camp , près du village de G o u y ,
ont ordre de paffer le Piéton , & de fe former
derrière une hauteur occupée par un pofte avancé».
L e régiment de Navarre le premier bataillon des-
fufiliers , les gardes-du-corps., gendarmes, & che~-
vaux-légers, le régiment de dragons colonel général
, les cuiraffiers &. la réferve , paffent le même
ruiffeau , & viennent fe former à la droite*- des
premières troupe-s , toujours mafquées par les hau--
teurs. L’infanterie menoitfix. pièces de canon. L e
refte de l’armée , s’approchant auffi- de G o u ÿ , s’y
tint prête à paffer le ruifleau au premier ordre ,,
&. ;à foutenir l’attaque aubefoin. Cependant , pour
allarmer l’ennemi,. & attirer fon attention d’un
autre côté, M. de Saint- C la r, déjà, en avant de.
l’armée avec quatre cens chevaux eut ordre de fe
porter vers la tête des colonnes ennemies , de les
harceler, & défaire les démonftrations capables-
de leur faire accroire que fa troupe étoit nombreufe
, afin d’empêcher ou de retarder l’envoi des-
fécours..
Tandis qu’on faifoit ces- difpofitions', l’armée'
alliée continuoit. fa marche dans les défilés qu’elle
avoit à paffer ; & Condé ne vouloit commencer
l’attaqüe que lorfqu’elle y feroit pleinement engagée.
llf étoit dix heures du matin , lorqu’il jugea
que. leurs colonnes étoient affez- étendues & aidez
loin de Varrière-garde, pour l’attaquer avec fuccès^
Le prince de Vaudemont, voyant qu’il alloit
être attaqué , fit demander de l’infanterie au prince-
d’O range, qui lui envoya trois bataillons , corn—
I mandés par le prince Maurice de. Naffau. Ils furent