
camp, parce qu’elle vouloir prendre Luzara &
Guaftalla, qui étoient derrière la gauche de l’armée
du roi, & que l’on prit effeâi veinent : ce qui ne
laiffe pas de marquer un avantage décidé ; puifque
l’ennemi, qui refta dans fon porte , ne tenta rien
les jours fuivants pour fauver Guaftalla.
Ce projet de M. le prince Eugène étoit beau ; il
ne lui mahquoit que d'être exécuté aufifi heureu-
fement qu’il avoit été judicieufement concerté. Ce
n’a même été qu’un hafard, que M. le prince
Eugène ne pouvoit prévoir , qui fauva l’armée du
roi dans cette occafion , & qui mérite d’être fçu.
L’armée de l’empereur étoit, comme je l’ai dit,
cachée derrière la digue du Zéro, & M. le prince
Eugène, qui n’avoit pas été découvert par le corps
de cavalerie qui précédoit l’armée, parce qu’il
s’étoit arrêté à la hauteur du front du camp fans
porter fon attention plus loin, fe trouvoit ainfi à
portée de l’armée du roi fans qu’elle le fçut. Ce
prince compta donc que l’armée du r o i, en arrivant
fur fon terrein, poferoit les armes & fe cam-
p e ro it, que la cavalerie iroit au fourrage, l’infanterie
à la paille & à l’eau ; & que prenant ce
temps favorable pour marcher de front au camp
de l’armée du ro i, dont il étoit fort près, il en
prendroit toutes les armes aux faifceaux & une
partie des chevaux au piquet ; ce qui auroit en un
moment produit la perte entière de toute l’ar-
inéeri
Ce projet fe trouvoit au moment d’être exécuté,
& M. le prince Eugène attendait cet heureux
inftant, lorfque le hafard fit que ce prince
fut découvert affez à temps pour y. porter remède,
& avant que l’infanterie fe fût écartée.
Voici quel fut ce hafard. La digue du Zéro n’eft
pas droite , parce qu’elle fert à contenir les eaux
dans le canal qui va du Po au - deffous du Seraglio
au Po du côté de Rovère, & qu’elle fuit les niveaux
du terrein pour le cours des eaux. Dans
quelques endroits du front du camp , cette digue
s’en trouvoit fi proche qu’un aide-major crut ne
pouvoir mieux porter la garde du camp de fon
régiment que fur cette digue. Ce fut donc en
conduifant cette garde que cet officier monta
fur la digue, par le fimple defir de voir, le.pays
au-delà : il y découvrit toute l’infanterie ennemie
fur le ventre contre le revers de la digue, &
la cavalerie en bataille derrière l’infanterie. Cette
découverte donna fur-le-champ l’alarme fur toute
la ligne, qui eut affez tôt pris les armes pour s’op-
pofer à un ennemi qui avoit, comme je l’ai dit,
entre lui & le camp un pays couvert de haies,
qui l’obligeoient à défiler. L ’ennemi découvert
marcha cependant en avant, efpérant mettre du
défordre en affez d’endroits du front de la ligne,
pour en pouvoir profiter : mais , comme je l’ai
d it , fon efpérance fut vaine , & il ne put en aucun
endroit parvenir jufqu’au front du camp.
Ce récit me fournit plufieurs remarques importantes.
La première eft qu’un général ne doit
jamais marcher , ni faire aucun mouvement fai#
avoir examiné touts les moyens de faire cette
marche ou ce mouvement avec toutes les précautions
requifes. M. de Vendôme marchoit vers
un ennemi fage , vigilant, &. habile , qui 9 par
la fituàtion du pays, pouvoit lui ôter la connoif-
fance d’un mouvement. Il ne devoit donc pas fuf-
fire à M. de Vendôme de commencer fa marche
avec attention ; il falloit la finir de même ; & le
plus circonfpeét de fes officiers généraux ne
ï’étoit pas trop pour être chargé du commandement
du corps qui devoit non - feulement éclairer
la marche des ennemis, mais affurer fon camp juf-
qu'à ce que les gardes fuffent portées, & même
les fourrageurs revenus. Cela ne fe trouva pas
ainfi : lorfque l’armée du roi arriva fur le terrein
où l’on avoit réfolu de la faire camper, ce corps
détaché ne fe trouvoit point avancé , & n’avoit
penfé à vifiter ni la digue, ni le terrein qui étoit
au-delà.
La fécondé remarque eft qu’une armée qui arrive
fur le terrein de fon camp ne doit pas pofer
les armes que les gardes ne foient pofées & aflii-
rées dans leurs portes , principalement lorfque lé
pays qui eft à la tête du camp n’a pas été vifitê
& bien reconnu.
La troîfième remarque à faire eft- qu’une armée
peut être furprife en arrivant dans fon camp ,
lorfque l’ennemi a pu faire un mouvement pour
s’en approcher, qui n’ait point été connu , & que
la nature du pays lui a fourni un terrein à la tête
ou fur les flancs de l’armée , derrière lequel' il ait
pu fe cacher.
Ainfi il ne faut ni marcher fans précaution, ni
camper fans avoir reconnu les environs du camp ,
parce qu’il ne faut pas combattre fans y être préparé
, ou fans avoir eu le temps de fe préparer à
combattre : ce qui feroit arrivé à Luzara , fi le
hafard dont j’ai parlé n’avoit fait découvrir l’ennemi.
B A T A I L L E D E F R I E D L IN G H E N ;
M. de Villars, ayant été détaché de l’armée
principale du roi en Alface, pour veiller avec un
corps de troupes à la confervation de l’ouvrage
que l’on avoit rétabli pour couvrir le pont d’Hu-
ningue, que les ennemis paroiffoient vouloir attaquer,
campoit en-deçà d’Huningue, à portée de
protéger l’ouvrage extérieur, & de profiter du
décampement de l ’ennemi, s’il lui en donnoit oc-
cafion.
L’armée ennemie étoit campée dans la plaine
qui eft entre le Rhin & la montagne, vis-à-vis
l’ouvrage qui couvroit le pont, fa gauche proche .
du territoire de Baffe , & fa droite s’étendant vers
le village de Friedlinghen, au-devant duquel elle
avoit une groffe redoute, conftruite depuis la
guerre pour la fureté du pays contre les partis de la
garnifon d’Huningue,
Dans cette difpofition refpe&ivè, M. de Villars
étoit attentif à la manière dont l’ennemi décampe-
roit, lorfqu’il fe retireroit pour aller prendre fes
quartiers d’hiver. L’ennemi, préfumant que, lorfqu’il
voudroit décamper, il pourroit faire ce mouvement
, fans craindre d’être fuivi dans fa retraite ,
& qu’il pourroit être affez tôt hors de portée , pour
n’avoir pas à appréhender qu’une armée qui avoit
l'è Rhin à paffer fur un feul pont pût être affez diligente
pour troubler fon arrière-garde, fe négligea
dans les füretés à prendre en décampant, & crut
pouvoir , en quittant fon camp, féparer fon infanterie
de fa cavalerie. Il fit marcher fon infanterie par
le derrière de fon camp, le 14 oftobre 1702, fur
les hauteurs par lefquelles il lui vouloit faire prendre
fa marche , & fa cavalerie par fa droite, pour entrer
dans le défilé de Friedlinghen, au-devant duquel
étoit la redoute dont j’ai parlé.
Dès le commencement de ce mouvement, qui
fe faifoit à la vue de -M. de Villars, ce général avoit
donné fes ordres pour faire paffer le Rhin à l’armée
du roi ; ce qui fut exécuté avec toute la diligence
poflible. Quand l’armée fut paffée,il la partagea
pour marcher à l’ennemi, comme il avoit vu partager
la marche de l’ennemi pour fa retraite.
L’infanterie, (bus la conduite de M. Desbordes,
marcha devant elle à la hauteur par laquelle l’infanterie
ennemie prenoitfa marche.Celle-ci, négligeant
de revenir s’oppofer à celle du roi, qui avoit
beaucoup de peine à monter, trouva peu à près fon
arrière-garde approchée par la vivacité, même
trop grande, de la marche de notre infanterie , qui
fut obligée de s’arrêter pour reprendre haleine.
Si l’ennemi avoit marché pour lors à nos bataillons,
fort éfoùfflés & en défordre, il y a beaucoup
d’apparence qu’il auroit eu de l’avantage- fur notre
infanterie. Mais M. de Villars, qui avec beaucoup
de raifon craignit cet inconvénient, s’y porta en
perfonne, & fit prendre à fon infanterie le temps
de fe former.
Ces deux corps ne fe chargèrent pourtant point
en ligne. Notre infanterie fuivit de près celle de
l ’ennemi, dans fa retraite-, fans pouvoir l’engager à
combattre de front. Ainfi ôn ne peut pas dire qu’elle •
ait été battue en cette occafion.
Le combat de la cavalerie fut beaucoup plus décidé
, par la faute de l’officier qui commandoit celle
de l’ennemi, & par la fageffe & la capacité de M. de
Maignac qui commandoit celle du roi. Comme la
conduite de cet officier général dans cette occafion
, m’a paru fort judicieufe & fort fenfée, j’en
ferai un détail exaéi , qui pourra peut-être un jour
fervir d’inftruélion.
J’ai dit que la plaine où l’armée ennemie étoit
campée s’étendoit jufqu’au village de Friedlinghen ,
dont le paffage faifoit un défilé confidérable, &
qu au-devant de ce défilé il y avoit une redoute ,
ou 1 ennemi avoit du canon & un porte d’infanterie.
L ’officier général qui commandoit la cayalerie
ennemie crut, en fe mettant en marche, qu’il auroit
le temps de faire paffer le défilé à fa cavalerie 9
avant qu’elle pût être jointe par la nôtre, qui
n’avoit pas encore achevé de paffer le pont du
Rhin : mais il fut trompé par la vivacité de notre
marche, qui fut telle que l’ennemi fut obligé de
faire reffortir ce qui étoit entré dans le défilé, & de
fe mettre en bataille, pour recevoir notre cavalerie
qui s’avançoit pour le charger. Cette cavalerie
ennemie, en fe formant, auroit pu appuyer fa
droite à la redoute ; & fa gauche pouvoit être couverte
par un pays ferré & impraticable à la cavalerie,
qùi fe trouvoit au pied de la hauteur par
laquelle l’infanterie ennemie marchoit.
Dans cette difpofition, l’ennemi pouvoit être eu
bataille fur trois ou quatre lignes, & recevoir la
charge de notre cavalerie, dont la gauche auroit
effuyé le feu de l’infanterie & du canon de la redoute
avant que de pouvoir charger. Mais M. de
Maignac, par un mouvement d’un officier expérimenté
& habile, fçut déranger la difpofition où
l’ennemi auroit pu fe mettre, & l’obligea de perdre
fon avantage. Prêt à charger, il feignit de craindre
de s’engager, & fit repaffer. fa première ligne dans
les intervalles de la fécondé, comme s’il eut voulu
fe retirer avec précaution & fans combattre.
L’ennemi, préfomptueux & fupérieur, prit ce
mouvement de M. de Maignac pour une crainte de
combattre avec un ennemi dont il n’avoit eu deffein
que de troubler la retraite, en trouvant fa tête engagée
dans le défilé ; & , perdant par cette pré-
lomption l’avantage de fa difpofition, il marcha en
avant, en s’ouvrant pour faire entrer fes lignes
redoublées dans fa première & fécondé ligne.
Ce mouvement ne pouvoit fe faire fans danger ,
fi près d’un ennemi qui cherchoit à combattre.
M. de Maignac en profita avec beaucoup de capacité
; il faifit l’inftant du changement de l’ordre de
bataille de l’ennemi, qui, en étendant fa droite,
venoit de perdre l’avantage de la proteéfion du feu
de la redoute ; & il le chargea fi à propos, lorfqu’il
n’étoit point1 en bataille, qu’il renverfa la première
ligne fur les autres qui n’étoient pas encore-formées,
& le je t ta en confufion dans le défilé; fans
crainte du feiyde l’infanterie de la redoute , qui ne
pouvoit plus le diriger fur nous, parce qu’elle auroit
également tiré fur fes propres troupes mêlées
avec les nôtres , au lieu que celles-ci auroient pu
effüyer ce feu en flanc.
Du récit de la bataille de Friedlinghen: il faut
tirer une réflexion , oppofée à celles que j’ai faites
fur la bataille de Luzara, & dire qu’une armée peut
être aifément battue, quand elle décampe à portée
de fon ennemi, & quand elle croit pouvoir marcher
en arrière , fans avoir pris, les précautions
néceffaires en pareil cas.
Il eft certain que, fi Finfatiterre ennemie, an lieu
de remonter les hauteurs précifément derrière fon
camp , avoit occupé celles qui étoient fur la droite,
à portée de protéger la cavalerie, pifqu’à ce