
flanc, Iorfque le combat fera engagé entre les
deux armées. Ceux de ces payions , vivandiers * St
autres, qui auront des chevaux ou mulets , les
monteront, afin qu’il paroiffe que c’efl: de la cavalerie
; les autres repréfenteront de l’infanterie.
Ceux du premier rang St des côtés auront l’habit
de foldat, des fulils luifants ou des épées qu’ils
feront briller au foleil, afin que les ennemis les
voient reluire de loin; ils porteront auflî des morceaux
de toile ou d’étoffe pour figurer les éten-
darts 6c les drapeaux , & auront plufieurs tambours
6c trompettes, comme s’ils' étoient effe&ivement
des troupes. Lorfqu’on les découvrira, publiez
que c’efl là le fecours que vous attendiez, ainfi
qu’auparavant vous en aurez fait courir le bruit.
Cette troupe tiendra la marche par les terreins
les plus élevés , 6c fera fuivié de plufieurs payfans
qui traîneront des branchages; afin que, par la
poüÏÏière qui s’élèvera, on puifle perfuader qu’il
y a encore un plus grand nombre de troupes en
mouvement, ôc que cette même pouflièrene permette
pas à l’ennemi de découvrir ce qu’eft èn
effet ce gros. Il fera devancé par quelque petit
parti de cavalerie , afin d’empêcher que, les ennemis
ne s’approchent à deffein de le reconnoître.
Pour éviter que ce flratagème devienne inutile,
les feuls officiers chargés de le mettre à exécution
en feront inftruits , & le tiendront fecret
pour tout le refte de l’armée , jufqu’à ce que le
fuccès le lui apprenne. Dans ce cas , il faut que
vos foldats pouffent des cris de joie, atffli-tôt
que cette troupe paroît ; 6c vous engagerez auffi-
tôt le combat avec vigueur, afin de profiter du
trouble des ennemis , avant qu’une plus grande
proximité de ce corps fuppofé découvre la feinte.
Tout ce que je viens de propofer fut mis en
pratique par le conlul Lucius Papirius Curfor,
dans un combat contre les Samnites. La feule
chofe que Tite-Live ajoute, e’efl que Papirius,
en exhortant fes foldats avant que les ennemis
puffent reconnoître l’artifice, les excitoit à Faire
de pniffants efforts, pour ne pas partager, leur
difoit-il, la gloire de la viéloire avec les troupes
du fecours. Le dictateur Caius Sulpicius battit
lés Gaulois par le même flratagème.
L’armée romaine, commandée par le conful
Lucius Emiliüs Papus fut intimidée dans un combat
contre les Gaulois , lorfqu’elle apperçut au fom-
met -d’une montagne voifine un grand nombre
de valets, que le rois Congolitan 6c Anéorefte,
qui commandoient les Gaulois, y avoient poffé,
& que les Romains prirent pour des gens de
guerre.
Quintus Fabius Maximus , voulant livrer bataille
aux Samnites, fit un détachement de quelques-
unes de fes troupes, lous les ordres de Scipion.
Celui-ci, ayant pris un circuit convenable, les
conduifk par unè marché fecrette fur les montaÊnes
voifines, qui étoient derrière les Samnites.
>ès que Fabius apperçut ce peu de troupes, il
fit courir le bruit que c’étoit l’armée de l’autre
conful Publius Décius , qui venoit le fecourir. Les
Romains 6c les Samnites , qui découvroient ces
troupes, le crurent égale'ment : cette rufe releva
autant le courage des premiers qu’il jetta de
confternation parmi les autres , qui entendoient
les Romains pouffer de grands cris de joie à l’arrivée
prétendue de l’autre conful, 6c ce flratagème
fit pancher du côté de Fabius la viétoire,
qui jufqu’alors avoit été balancée dans un combat
long 6c opiniâtre.
Cette feinte fut employée en 1528 par Hugues
de Moncade, 6c par le Boffu ; lorfqu’ayant deffein
d attaquer devant Gènes, avec les galères d’Efpagne
, celles de France, commandées par Philippe
Doria, ils mirent à l’arrière-garde plufieurs
bâtiments défarmés, qui fuivoient leur flotte, afin
d intimider Doria par un grand nombre de voiles.
Il ell vrai que le flratagème n’eut pas de fuccès ,
parce qu’il fut mis- en ufàge contre un général très
habile 6c fort expérimenté : cependant Guichardin
nous apprend que cette multitude de voiles donna
de l’inquiétude à Doria ôc le tint en fufpens ju£-
qu’à ce que les Efpagnols s’étant approchés, il
reconnut que les bâtiments qui fuivoient le.s galères
d’Efpagne n’étoient pas armés. Le même
auteur obferve que les généraux efpagnols firent
une grande faute, en ne faifant pas un feu continu,
afin d’empêcher par la fumée que Doria ne
reconnût quels étoient les bâtiments qui formoient
l’arrière-garde de la flotte efpagnole.
Si, pendant le combat, on découvre un corps
de troupes , qui vient renforcer l’armée ennemie ;
faites courir le bruit que c’eft un détachement de
votre armée, que la nuit précédente vous aviez
mis en emtufcade, afin qu’il'vînt attaquer les
ennemis en flanc ou en queue, Iorfque le combat
fèroit commencé. Cette feinte peut fervir à relever
le courage de vos foldats : alors, à l’exemple
de Papirius Curfor, redoublez vos efforts pour
tâcher de -rompre les ennemis, avant qu’ils ayent
reçu ce nouveau, fecours, ou que vos foldats puif-
fènt être détrompés.
Si quelques-unes de vos troupes n’ont pas ap-
perçu ce renfort, dont je viens de parler, parce
qu’elles font trop éloignées, ou parce qu’elles font
poftées dans un terrein bas ;bien loin de le leur
faire obferver, tâchez d’empêcher qu’elles ne lô
découvrent, en jettant devant elles quelques partis
de cavalerie , afin qu’en tenant fous quelque prétexte
ces partis dans un mouvement continuel, la
pouffière cache aux autres troupes, jufqu’à ce que
le combat commence, la vue du renfort qui arrive
aux ennemis.
Tullus Hoftilius , durant la bataille contre les
Véiens 6c les Fidénates, reçut avis que Métius
Suffétius, commandant des Albains qui fervoient
dans l’armée romaine, bien loin de combattre, fai -
foit un mouvement capable dé faire foupçonner
qu’il avoit deffein de paffer à l’ennemi. En effet,
fintention de Métius étoit de fe rendre fimple
fpeéfateur du combat, 6c de fe ranger du côté de
ïarmée qui feroit viâoiieufe. Hoftilius , à cette
nouvelle, dit d’une voix affez haute pour être entendu
de fes ennemis , « que perfonne ne foit fur-
pris du mouvement des Albains : c’eft par mon
ordre qu’ils prennent ce circuit, pour attaquer leS
ennemis en queue ». Ce bruit, fe répandant, ôta
le courage aux Véiens, 6c releva celui des légions
romaines ; elles redoublèrent leurs efforts, per-,
fuadées parle difcours d’Hoftilius, qui avoit.de
plus donné ordre à fa cavalerie de tenir la lance
levée pour empêcher que l’infanterie obfervatla
marche des Albains. '
armée, font encore regardées , pour ainfi dire,
comme étrangères dans la vôtre.
Dès que Daphnée, en combattant contre les
Carthaginois, s’apperçut que fa gauche, compofée
d’Italiens, étoit mife en déroute, il courut a fa
droite , formée des troupes de Syracufe ; &, publiant
Caton, combattant les Ætoliens , découvrit
quelques navires,. 6c leur fit divers fignaux,
comme s’ils étoient des fiefts. Les Ætoliens Je per-
fuadèrent que -c’étoit une flotte romaine, 6c ils
abandonnèrent le combat.
Les Efpagnols, ayant voulu , en 1708, efcalader
la tour de Saint-Jean devant les Alfalqs deTor-
tofe, n’y réufiirent pas. Le hafard fit qu’environ à
quatre ou cinq lieues, il paffa plufieurs galères,
fans que l’on içut de quelle nation elles étoient. Les
Efpagnols firent courir le bruit que c’étoient les
f' alères du roi d’Efpagne , qui n’attendoient qu’un
gnal pour s’approcher & venir battre la tour. Le
nommé Jean Bbxar, qui en étoit gouverneur, prit
dès-lors la réfolution de capituler , 6c defcendit lui-
même pour traiter de la capitulation ; ce qui donna
lieu à un fécond flratagème , par lequel la tour fut
furprife.
Si un corps de vos troupes paffe à l’ennemi
pendant le combat, ou lorlque les armées font
déjà rangées en bataille, ayez recours à quelques-
uns des expédients que vous fourniront les exemples
que je vais rapporter.
Lucullus , voyant les Macédoniens qui étoient à
fon fervice , paffer à l’ennemi 6c * y marcher en
corps entier, fit donner le fignal du combat 6c
fuivre ces Macédoniens par le refte de fes troupes.
Les ennemis crurent que les Macédoniens faifoient
l’avant-garde de l’armée qui venoit les attaquer ;
6c, tournant leurs armes contr’eux , ils obligèrent
au combat comme ennemis ceux qui ne venoient
a eux que comme transfuges.
Vous ranimerez l’ardeur de vos troupes, en
faifant courir le bruit dans une aile que l’autre a
mis lès ennemis en déroute. Ce fut par cet artifice
que Mironidas , capitaine athénien, défit les
•Thebains, 6c que le conful Titus Quintius vainquit
les Volfques. L’aile droite de Camille ayant
été mife en fuite à la bataille contre les Aiitiàtes ,
il la rallia 6c la fit revenir à la charge , en répandant
le bruit que fon autre aile avoit.. battu lès
ennemis, 6c il remporta la vi&ôire..
Ce bruit aura, plus d’effet,. s’il fe: répand dans
vos lignes parmi des troupes d’une.nation différente
de celle que bon dit être viélqrieufe,. ou parmi
celles q u i -étant nouvellement arrivées d’une autre
que fon aile gauche avoit défait l’ennemi, il
ajouta que , fi la droite ne fe hâtoit de vaincre,
elle n’auroit aucune part à la gloire que les Italiens
s’acquéroient dans cette journée : les troupes
de Syracufe firent un nouvel effort:, & les Cartha*-
ginois furent vaincus.
A la bataille d’Aquilonie, le proconful Lucius
Scipion dit à l’aile qu’il commandoit qu’elle n’auroit
point de part à la viéloirè, fi elle ne renver-
foit promptement les Samnites qui lui étoient cp-
poiés ; que Lucius Papirius Curfor les avoit déjà
défaits à l’aile droite. A ces mots, les troupes de
Scipion, animées d’une nouvelle ardeur,, chargèrent
avec impétuofité, 6c mirent en fuite les>
troupes qui leur étoient oppofées.
Si quelqu’un de Vos généraux a réellement mis-
en déroute les ennemis ; il doit, fans perdre un
moment, en faire porter la nouvelle à droite 6c à
gauche par toute la ligne, 6c vous en faire donner
avis au plutôt par un officier,qui puiffevousdétailler
les circonfiances de cet heureux fuccès, afin que
vous donniéz les ordres néceffaires. Les exemples*
fuivants prouveront qu’il eft important de ne pas*
négliger ce confeil.
A la bataille que Brutus 6c Caflius livrèrent à-.
Augufte 6c à Marc-Antoine, Brutus, avec l’aile-
droite qu’il commandoit, mit en déroute la gauche
des ennemis, tandis que leur aile droite repouf-
foit la gauche , où commandoit Caflius, Celui-ci
' ignorant l’avantage de fon collègue 6c le croyant
même battu , abandonna le champ de bataille ,* de
forte que Brutus, refté avec l’aile droite de l’armée,
ne put réfifler à toutes les forces de l’ennemi
: ce qui ne feroit point arrivé , fi Brutus avoit
donné avis de fon heureux fuccès à Caflius, qui
ne quitta le combat que parce qu’il crut la bataille-
entièrement perdue, tandis que Brutus étoit victorieux.
En 17 10 , à la bataille de Villaviciofa, l’aile où:
; commandoit M. le duc de Vendôme, fur battue,-
’ Ce général, croyant que toute l’armée efpagnole
; avoit le même fort, fit retraite vers Torija. Sur les*
avis réitérés que le comte d’Aguilar 6c le marquis*
de Valdeçagnas envoyèrent par divers officiers à-
Philippe V , M. de Vendôme eut ordre de revenir..
Alors, ayant rallié autant dé troupes qu’il lui fut
poflible , il les ramena au champ de bataille. Si les
deux généraux efpagnols n’euffent pas donné avis
de ce qui fe ■ pafîbit, la bataille étoit perdue,
puifquele maréchal de Staremberg conferva cette
même nuit une partie de fon terrein : .s’il eût-vu le
lendemain qu’il n’y avoit plus de troupes - efpagnols,
il s’y fut maintenu plus longtemps, pour s’af-
furerla viùoire,.