
dite ours que l’hiftorien entendoit par embolos un
corps large par fa bafe, & qui ,d u côté oppofé,
fe terminoit en pointe-, foit aiguë, (oit émo-uffée.
Telle étoit , en effet, la difpofition de l’armée
romaine. Les deux vaiffeaux montés par les confias
furent placés en tête ,. & fe joignant de front ,
chacun, d’eux étoit fuivi d’une longue file de vaii-
feaux formée par la première & la fécondé ef-
cadre. Ces deux files , dont les bâtiments avoient
la proue en dehors , s’ éloignèrent infenfiblement
l’une de l’autre en augmentant de plus en plus l’intervalle
qui les féparoit, à mefnre_ qu’elles, appro-
choient de la queue, & formèrent comme les deux
côtés d’un triangle aigu. La troifième efeadre en
faifoit la bafe , s’étendant de l’extrémité de la première
à la queue de la fécondé, &. laiffantl’efpace
du# milieu vuide. A in fi, continue î’hiitorien, cet
ordre de bataille étoit un véritable embolos.
Un paffage auffi formel ne laiffe aucun doute
fur la vraie figure-de Ÿ embolos • 8c , comme ce
mot , ainfi qu’on le voit ailleurs dans le même
auteur, fignifioit certainement l’éperon d’une galère
, machine que les monuments anciens font
reffembler à une forte de triangle, il eft tout
.fimple de conclure que fi ce mot embolos n’étoit
pas toujours pris dans ce dernier fens, on ne s’en
fervoit du moins que pour défigner ou une figure
triangulaire, ou un corps dont la forme eut quelque
rapport à fa fignification primitive ; & , lorfque les
hiftoriens appliquent Amplement le même terme
à une évolution militaire , fans entrer dans un plus
.grand détail, il doit être plus naturel de fe la re-
préfenter fous une forme peu différente de celle
qui lui a donné fon nom , que de lui en attribuer
une tout-à-fait oppofée.
Cette conjeâure prend toutes les apparences
de la certitude , quand on la trouve appuyée fur
le témoignage de deux auteurs plus voifins que
nous de feize cents ans, des temps dont il s’agit,
8c qui vivoient dans un fiècle où la langue grecque
n’étoit pas moins répandue que la latine.
Xénophon, dans la defeription qu’il a faite de
l ’ordonnance des Thébains à la bataille de Man-
tinée, fait ufage du terme embolos. Mais, loin que
le récit de l’hiftorien puiffe autorifer l’opinion de
ceux qui donnent à la colonne tout l’honneur de
cette journée , les expreflions qu’il emploie font
fi claires qu’on ne peut, fans prévention , les détourner
de leur fens ordinaire , ni. les ^entendre
de plufieurs façons. Qu’il me foit permis , pour
juftifier mon fentiment, de mettre fous les yeux
du lëfîeur, les propres termes de Xénophon.
<t Epaminondas étant réfolu d’attaquer les Lacédémoniens,
commença par ranger fon armée en
bataille, 8c la difpofer de la manière dont il fe pro-.
pofoit de la faire combattre- La remettant enluite
en ordre de marche , il la çonduifit fur une feule
colonne à portée de l’ennemi- Mais , pour mieux
cacher fon. deffein , au lieu de fuivr-e le chemin:
fe plus court* il dirigea fa route vers. la. partie du
tnont T ég é e , qui regarde le couchant : arrivé au
pied de cette montagne , il s’arrêta ; 8c, fans rien
changer à l’ordre où étoient fes troupes, Til leur
fit pofer les armes , 8c feignit de vouloir camper
en cet endroit; les Lacédémoniens qui l’attendoient
en bonne contenance , fe iaifsèrent tromper à fa
manoeuvre , 8c ne comptant plus qu’il voulut combattre
pour ce jour-là , plufieurs quittèrent leurs
rangs , 8c rentrèrent dans le camp. Alors Epaminondas
, certain du fuccès de fon ftratagème, fit
reprendre le,s armes à fes gens , les remit en bataille
au moyen d’un quart de converfiom par di-
vilion , 8c formant un coin très fort & très ferré
du corps d’élite, à la tête duquel il devoit combattre,
il s’avança à grands pas vers l’ennemi.
Lès Lacédémoniens , .étonnés de ce brufque
mouvement, coururent aux armes avec précipitation
, 8c tachèrent à la hâte de reprendre leurs-
rangs, 8c de fe réformer ; mais, à demi vaincus
par la furprife , ils ne purent exécuter ces mouvements
qu’avec trouble & confüfion.
Cependant le général thébain s’approchoit toujours
, ne doutant point qu’au moyen de la pointe
formidable que fa troupe, femblûble à Véperon Hune
galère , pféfentoit à l’ennemi, il ne parvînt à le
rompre au premier choc, en quelque endroit qu’il
donnât, & que le-défordre venant à fe communiquer
d’une troupe à l’autre , la déroute ne fût
bientôt générale. Ce qui redoublait fa confiance ,
c’eft qu’il n’alloit fondre fur les Lacédémoniens
qu’avec ce feul corps extraordinairement ferré , &
dans'dequel étoient fes meilleurs foldats, tandis
que le refte de fon infanterie devoit demeurer
toujours hors de la portée des traits.
Quant à la cavalerie, celle des Lacédémoniens
étoit en bataille fur autant de profondeur que la
phalange des hoplites, 8c fans qu’il y eut de fantaf*
fins mêlés entre ces différentes troupes. Epaminondas
, au contraire , dont le but étoit de faire un
grand effort , forma fes efeadrons, en triangle , &
jetta dans leùrs intervalles des armés à la légère
perfuadé que toute la cavalerie ennemie prendroit
la fuite, dès que le premier rang feroit renverfé-
Voulant d’ailleurs empêcher que les Athéniens x
qui avoient la gauche de l’infanterie ennemie »
n’allaffent au fecours de la droite , il leur oppofa ,
fur des hauteurs voifines, quelques troupes de
cavalerie & d’infanterie, prêtes à les prendre en
queue s’ils venoient à fe dépofter. Tout réufîit
comme ce grand homme l’avoit prévu : la partie
de l’armée lacédémonienne, où il donna , fut
ouverte , enfoncée , mife en défordre ; mais une
bleffure mortelle qu’il reçut dans la mêlée empêcha
les Thébains de profiter d’un avantage dont
ils: étoient bien plus redevables à la fupériprité
des talents de leur général , qu’au nombre. 8c à
l’habileté de leurs troupes.
Rien, de plus, précis que cette narration de Fhïf-
torien grec. Le terme embolos s’y trouve accompagné
des exprefiions les plus propres à earaâérif eir
l’ordonnance qu’il défigne, 8c il eft clair que la
comparaifon qu’il fait de celle-ci avec, l’éperon
d ’une galère ne tombe pas moins fur la figure que
fur fettet de cette difpofition. On croiroit même
.qu’il a affe&é de rapprocher exprès ces deux chofes
Lune de l’autre , afin que l’on* comprît mieux ee
•qu’il a voit en vue , & que l’on prît une idée
plus jufte de l’évolution qu’ilprétendoit repréfenter.
S’il ne s’agiffoit en cet endroit que d’un corps
dont la difpofition eut imité la figure d’un quarre
lo n g , on ne voit pas pourquoi Xénophon n’auroit
pas défigné ce quarré par le nom qu’il lui.donne
ordinairement dans touts fes ouvrages , & lui
auroit préféré une exprefîion d’autant plus équivoque
qu’elle a moins de- rapport à celle donf il
avoit accoutumé de fe fervir en pareil cas.
Une autre raifon très forte concourt encore à
prouver que le mot cmbalon , au fens de l’hiftorien,
ne peut fignifier ici un quarré long , un corps
rangé fur beaucoup de profondeur, en un mot ,
une. colonne. C ’eft que Xénophon applique ce
terme à l’ordonnance de la cavalerie thébaine -,
tout de même qu’au corps d’infanterie qui combattit
fous Epaminondas , & qu’il oppofe tout
de fuite la difpofition de la cavalerie de Sparte
À celle des efeadrons thébains. Or l’auteur qui
veut décrire deux difpofitions différentes, difant
pofitivement que les efeadrons Lacédémoniens fe
mirent en bataille fur une très grande profondeur,
il faut bien que le mot embolos ait eu une toute
autre fignification , puifqu’il n'eft employé que
pour exprimer la différence qu’il y avoit entre la
manière dont la cavalerie de Thébes étoit rangée ,
8c celle dont les Lacédémoniens avoient formé
la leur. Il étoit donc néceffaire , pour que le texte
grec foit intelligible, de' rapprocher le mot em-
iolos de fa fignification naturelle , en lui laiffant
défigner des efeadrons triangulaires, & non oblongs ;
8c, puifque ce terme eft appliqué dans la même
occafion à l’infanterie tout comme à la cavalerie ,
il eft très apparent que la difpofition de l’une 8c
de l’autre étoit femblable , 8c qu’elles préfentoient
toutes deux à l’ennemi un front étroit, appuyé
fur une plus large bafe.
Jufqu’à préfent les deux hiftoriens grecs , les
plus fçavants dans l’art militaire , n’ont rien dit
qui ne s’accorde très-bien avec le fentiment d’Æ-
îien ; mais en attendant que de nouvelles preuves
viennent à l’appui des précédentes, je vais ha-
farder de mettre ici ce'que je penfe, fur une
méprife qui eft imputée à cet écrivain par touts
fes commentateurs.
Ælien affure que ce fut par Vembolos qu’Epa-
ininondas vainquit à Leuiftres. Cependant Xénophon
ne s’eft fervi de cette exprelfion que dans
le récit de la bataille de Mantinée ,. & conféquem-
ment on a cru que notre taâiçien avoit confondu,
les faits en citant l’une de ces deux a étions- pour
l’autre-
E a admettant cette: conjecture % Ælien auroit.
Jait au meme endroit deux fautes groflïères ; la
première, en nommant Leuflres au lieu de Mantinée
; la fécondé , en donnant à Epaminondas
moins de troupes qu’aux Lacédémoniens ; ce qui
ne convient encore qu’à la bataille de Leuélres,
puifque ‘les Thébains étoient à Mantinée très fupé-
rieurs en nombre à leurs.advèrfaires.
.. Loin d’imputer cette double méprife à Ælien ,
J ofe croire qu’il a eu réellement intention de pro-
pofer 1 exemple de Leuélres, & qu’en prétendant
que l’infanterie thébaine y combattit ordonnée
en coin, il avoit pont lui le témoignage de plufieurs
auteurs militaires, dont les ouvrages n’étoient point
encore perdus de fon temps.
Ce n’eft point chez Xénophon feulement qu’il
faut s’inftruire du détail de cette affaire : il en dit
■ peu de chofe, & peut-être n’eft-ce pas fans quelque
apparence de raifon qu’on lui reproche de n’y avoir
pas même nommé Epaminondas : comme f i , pour
diminuer la honte des’ Lacédémoniens , il avoit
voulu ravir au général thébain une portion de
la gloire qu’il s’acquit en cette journée:
Cependant-la narration ne dément point Ælien :
au contraire , en la comparant avec celle qui nous
refte du même fait dans Diodore de Sicile &
Plutarque, il réfulte du parallèle s que l’infanterie
thébaine combattit à Lcuftres dans le même
ordre qu’à Mantinée ; & , puifqu’il eft confiant
par le texte de Xénophon , que dans ce dernier
combat Epaminondas forma en coin une partie de
fon infanterie , ainfi que fa cavalerie , on eft éti
droit de conclure que la même manoeuvre avoit •
déjà procuré le fuccès de Leaélres, où fix mille
Thébains défirent une armée triple an moins de
la leur : voilà donc Ælien juftifié,
, Xénophon dit que les files des Lacédémonien»
n’etoient que de douze hommes / & que les Thébains
firent les leurs de cinquante ; perfuadé que
s’ils venoient à bout d’enfoncer le milieu de l’aile
où étoit le roi, la déroute de cette partie ne manquerait
pas d’entraîner celle de tome la ligne -.
il ajoute que , l’attaque ayant commencé par le
combat des deux cavaleries , l’infanterie de Sparte-
fut d’abord- mife. en défordre par fes propres efea-
drons, qui fe renversèrent fur elle en fuyant - :
que néanmoins, elle ne laiffa pas de foutenir quelque
temps l’effort des Thébains ; & il en donne pour
preuve que le roi Cléombrote ayant été bleffé, oit
eut le temps de l’emporter, hors du combat, encore
en. vie.
On lit dans Plutarque , qu’Epaminondas’ con-
dmfit obliquement fon armée vers la gauche des.
ennemis, toute compofée de Lacédémoniens , afin
de les obliger à feféparer de l’autre a ile , & pour
donner enluite avec toutes fes forces à l’endroit où:
etoit le roi Cleombrote ; que les ennemis r prévoyant
fon deffein , voulurent alors étendre leur
droite, & formèrentun croiffant pour envelopper
le». Thébains, mais qu’ils en furent empêchés par
l’extrême célérité de Pélbpidas qui tomba fur eu s