C H A P I T R E V II.
A ntiquité de la Latitude d ’Héroopolis; ses rapports avec d ’autres déterminations
géographiques.
L ’ex tr êm e précision que nous avons remarquée dans cette ancienne latitude
dHeroopoiis, l’une des limites de la mer Rouge, n’est pas un effet du hasard ;
elle est dautant plus digne d’attention, qu’elle se retrouve également dans les
points extrêmes de la Méditerranée, et en général dans les positions anciennes qui
pouvoient servir à mesurer les principales dimensions des mers et des continens:
travail qui fait l’étonnement des plus savans astronomes de notre âge, et qu’on a
ete forcé de reconnoître pour bien antérieur à l’école d’Alexandrie, car il suppose
des connoissances qu’on n’avoit pas alors.; et il a été établi d’ailleurs par divers
rapprochemens (.) , que ce qu’il y a de plus exact dans les déterminations géographiques
transmises par les Grecs, ne peut être le résultat d’observations qui
eur soient propres. Il existe au contraire une inexactitude choquante dans la
plupart des positions intermédiaires qu’on est forcé de leur attribuer, et cela est
remarquable sur-tout pour les lieux qui n'ont commencé à jouir de quelque célébrité
que postérieurement au temps d’Alexandre.
C ’est une opinion fort singulière sans doute, mais à laquelle plusieurs savans
sont arrivés par des voies très-différentes, que Bailly a développée avec un grand
détail dans son Histoire de l’astronomie, et que M. Gossellin a portée jusqu’à
levidence en analysant les travaux des géographes Grecs, qu’antérieurement aux
temps connus par l’histoire, il a existé un peuple chez lequel les connoissances
géographiques et les connoissances astronomiques que celles-là supposent ont
ete poussées beaucoup plus loin qu’à aucune des époques dont les écrivains Grecs
et Latins nous ont conservé la mémoire.
On ignore quel pouvoir être cet ancien peuple. Parmi les savans qui ont tenté
de le découvrir, les plus célèbres sont Olaüs Rudbeck et Bailly : tous deux ont
rapporté l’origine des anciennes connoissances à ce peuple dont Platon fait
mention sous le nom A’Atlantes; mais l’immense érudition de Rudbeck, qui voyoit
dans la Suède, sa patrie, l’ancienne Atlantide et l’origine de tous les arts, de toutes
les connoissances, na pu sauver du ridicule ni son opinion ni son ouvrage.
Les importantes modifications adoptées par le savant historien de l’astronomie
adresse qu’il a mise à développer la marche des connoissances, et les agrément
qu il a su répandre sur son opinion (2), ont réussi à la faire regarder comme un jeu
d esprit fort curieux, comme une ingénieuse hypothèse; mais on n’en est pas
moins resté dans le doute sur le fond de la question.
Dans le nombre des choses qui peuvent conduire à la résoudre, il faut compter,
je croîs, les éclaircissemens sur la géographie comparée, qui feront reconnoître lé
S , l 2 o n Z h ! Z Z l S M- G ° SSe,li" ’ P S C Î ° W hi‘ B C » « ï systltnes d ’É r a toM n e , de
‘ J compares entre eux et avec no, connoissances modernes.
(-) royci son Histoire sur l’astronomie et ses Lettres sur l’A tlantide.
pays où les positions importantes ont été dérerminées antérieurement au temps
d’Alexandre : à mesure qu’ils se multiplieront, il deviendra de plus en plus vraisemblable
que c’est au peuple qui a habité jadis cette contrée et qui s’y regardoit
comme indigène, qu’il faut rapporter ces connoissances si avancées.
Les probabilités s’accroîtront, si, par la nature de ses institutions, ce pays étoit
fermé aux étrangers; elles s’accroîtront, si l’on peut démontrer d’ailleurs que les
arts, les sciences exactes, sur-tout celles qui ont une application directe à la géographie,
s’y trouvoient portés dès-lors à un très-haut degré d’avancement : mais si,
en même temps, 1 on faisoit voir que toutes ces connoissances liées entre elles, et
montrant à divers caractères quelque unité de but, avoient encore, par certaines
formes particulières, des rapports avec le so l, avec le climat, avec les phénomènes
naturels, et aussi avec ce qu’on sait de plus certain touchant l’histoire civile
et religieuse de la contrée, alors la certitude deviendroit complète, et enfin le
voile tomberoit qui couvre encore l’origine première de nos connoissances et l’une
des plus intéressantes questions que la curiosité des hommes ait jamais agitées.
Aucun pays ne remplit les conditions dont nous venons de parler, aucun n’offre
dans son intérieur des positions anciennement déterminées avec précision ; aucun,
dis-je, si ce nest 1 Egypte. Létude approfondie de ses monumens justifiera ce que
jai avancé sur 1 ancien état des sciences; et par des rapprochemens-rigoureux il
sera possible de constater, en beaucoup de points importans, la transmission des
connoissances, et en particulier des connoissances géographiques, de l’Égypte à
la Grèce. Ce n est pas le moment de se livrer à cet examen : je veux seulement
prévenir une objection.
f Les Égyptiens, dira-t-on, netoient point navigateurs ; à aucune époque ils
n ont parcouru l’intérieur de la Méditerranée : comment leur devroit-on les observations
lointaines qui embrassent toute l’étendue de cette mer 1 Cette objection
est spécieuse et a paru sans réplique ; nous avons vu cependant, par l’antiquité du
commerce sur la mer Rouge, que les Égyptiens peuvent être comptés parmi les
plus anciens navigateurs. Quant aux preuves qu’ils aient navigué sur la Méditerranée
, on en pourroit donner plusieurs : mais, pour ne pas sortir de notre sujet je
me bornerai à une simple remarque, c’est que, Nécos, Sésostris, et peut-être d’autres
rois antérieurs, ayant fait de grands efforts pour ouvrir une communication entre
les deux mers, il seroit vraiment étrange qu’à ces mêmes époques les Égyptiens
n eussent aucune pratique de la Méditerranée ni aucun désir d’y naviguer; je ne
vois pas trop dans quel but alors un canal de communication auroit été creusé.
Avant de passer à des temps moins anciens, j’ai arrêté un moment le lecteur
sur ces considérations, parce qu’elles montrent, ce qui importe sur-tout pour
la suite, qu il ne faut pas confondre les observations qui ont pu être faites sous les
anciens rois Egyptiens, avec celles qui n’ont pu l’être que sous les Lagides; elles
montrent aussi qu’indépendamment de ses rapports, soit avec l’histoire des chan-
gemens du globe, soit avec la navigation actuelle, l’ancien état de la mer Rouge
mérite d être approfondi pour ses relations avec un des points les plus intéressans
de 1 histoire civile ; et elles serviront à justifier les détails longs et pénibles dans