Ce furent aussi les prêtres Égyptiens qui, pour donner à Hérodote une juste
idée du privilège dont ils jouissoient, de posséder chacun douze aroures exemptes
des redevances auxquelles les autres propriétés étoient sujettes, lui apprirent
que l’aroure étoit un carré de cent coudées de côté(i). Il est manifeste que cette
définition s’appliquoit à Xaroure primitive, c’est-à-dire, à celle qui étoit en usage
lors de l’établissement du privilège dont il s’agit. Il étoit inutile d’ajouter à ce
renseignement le récit des changemens que l’on avoit fait subir depuis au premier
type des mesures agraires, à:- dessein d’abréger les opérations de l’arpentage ; il
ne lé.toit pas moins de décrire les instrumens employés à ces opérations: ces
détails de pratique ne pouvoient intéresser un étranger; et s’ils furent donnés
a Herodote, il est probable quil ne les jugea pas dignes d’être écrits.
A u reste, ce que nous n avons présenté jusqu’à présent que comme de simples
conjectures, acquerroit le caractère de la certitude, si l’on parvenoit à faire voir
qu’antérieurement aux plus anciennes époques connues, il existoit en Egypte une
unité de mesure superficielle dont le côté étoit formé de vingt cannes de sept
coudée,s chacune. Or il suifiroit pour cela de retrouver, entre des limites invariables,
une surface qui contînt un nombre exact de ces mesures, si d’ailleurs
on étoit suflisamment fondé à conclure de l’étendue et de la figure de cette
surface l’intention de la régulariser par ce moyen.
Nous avons rapporté, dans notre Mémoire sur le nilomètre d’Éléphantine ,
plusieurs observations qui prouvent que les constructeurs de la grande pyramide
avoient eu 1 intention de donner aux dimensions des principales parties de ce monument
un nombre rond de 1 unité de mesure linéaire qu’ils employaient (2). Cette
considération, à l’aide de laquelle Newton avoit déjà été conduit à la détermination
de la coudée Égyptienne (3), ne doit-elle pas conduire à déterminer l’unité de mesure
agraire, en supposant que la base de la grande pyramide contienne un nombre
rond de ces unités de mesures superficielles ! La précision avec laquelle le côté
de cette base a été mesuré par MM. Le Père et Coutelle, garantit l’exactitude
du résultat quon obtiendroit en admettant cette hypothèse, si en effet elle est
conforme à la vérité.
La longueur du côté de la base de la grande pyramide a été trouvée très-
exactement 2 32“ ,67 ; la superficie de cette base est par conséquent de j 4 13 5 mètres
carrés.
Supposons que l’on ait voulu donner à cette superficie dix unités de la mesure
agraire qui étoit alors en usage : chacune de ces unités auroit été de y4r 3“ ,y; et
le côté du carré qu’elle représente, de 73™,57.
Supposons encore que ce côté ait été composé de vingt cannes d’arpentage ;
on trouve pour la longueur de cette canne 3 m,6y/.
Supposons enfin que cette mesure portative ait été elle-même formée de sept
coudées : la longueur de celle-ci sera de om, ; 25, c’est-à-dire, précisément égale à
celle que nous avons déduite des dimensions de la chambre sépulcrale pratiquée
J I > eap.168. ' (3) Newtôni Opuscitla mçithematica et pltilosopliica
(2) .Mémoire sur le nilomètre d’Éléphantine. Vid. sup. tom. I I I , pag. 493.
dans l’intérieur de la grande pyramide, et que nous avons retrouvée dans le nilomètre
d’Éléphantine (1).
Nous voilà donc parvenus, par une suite d’hypothèses sur l’unité de mesure
agraire, à découvrir une valeur de la coudée Égyptienne absolument identique
avec celle que l’on connoissoit déjà, et sur l’exactitude de laquelle jl ne pouvoit
rester aucun doute (2) : d’où il suit que ces hypothèses sont conformes à la vérité,
et qu’à l’époque de la construction des pyramides,, il existoit en‘Égypte une unité
de mesure agraire double de l’espace que l’on pouvoit labourer en un jour ; que
cette unité étoit un carré dont le côté contenoit vingt cannes, d ’arpentage ; enfin,
que cette canne d’arpentage avoit sept coudées de longueur.
Nous avons fait voir ailleurs comment, avant l’invention des mesures portatives
, les Égyptiens furent conduits naturellement à se servir d’une coudée composée
de sëpt palmes (3). Nous venons de montrer comment les premières notions
(1) Voyez le Mémoire sur le nilomètre d’Éléphantine,
déjà cité; f . - p|f|
(2) J’ai rapporté,, dan s mon Mémoire sur le nilomètre
d’ËIéphantine, diverses preuves qui constatent l’existence
et l’usage en Egypte d’une cb.udée de sept palmes, 'c’est-
à-dire 4,d’un palme plus longue que la coudée naturelle
dont les Grecs avoient adopté l’emploi. Depuis la publication
de ce Mémoire, j’ai eu occasion d’en recueillir de
nouvelles à l’appui de'celles q u e j’ai citées; comme elles
sont propres à jeter un nouveau jour sur ce point fondamental
de métrologie, elles trouvent naturellement place
icK
cc Sésostris, dicDiodore de Sic ile, Iaissa^n quelques eny
:» droits sa statue en pierre , ayant des traits et une lance
» à la main, et de quatre palmes plus haute que les quatre
î> coudéesjide sa taille naturelle. » (Livre I, page 120,
traduction de l’abbé Terrasson.)
On savoit que la stature humaine étoit de quatre coudées
naturelles; : si donc *on suppose que l’usage d’u,ne
coudée de sept palmes de longueur fut établi en Egypte,
et que cette mesure, .devenue portative, fut entre les
mains des sculpteurs Egyptiens, il falloit nécessairement
que les figures auxquelles ils do.nnoient quatre de ces
coudées pour conserver les proportions du corps humain,
eussent quatre palmes de hauteur de plus que les quatre
coudées naturelles. Peut-être aussi^ tandis que la coudée
naturelle servoit de module aux statues des autres hommes,
par une exception que commandoient la puissance de
Sésostris et le rang qu’il occupoit dans- l’ordre sacerdotal,
prit-on .pour module de ses statues la coudée- sacrée de
sept palmes, de même que l’on exprima en coudées septénaires
les dimensions des édifices sacrés des Hébreux.
L ’accord que présentent l’observation de l’historien Grec
sur les statues de Sésostris, et les prescriptions du prophète
Ezéchiel à l’occasion du temple et de l’au te l, dont il
donne les dimensions, mérite d’être remarqué.
Nous voilà donc conduits, par le témoignage de D io -
dore de S ic ile , à reconnoitre une coudée de sept palmes,
employée en Égypte du temps de Sésostris. Un .témoignage
plus récent va nous indiquer sa longueur absolue.
Ëdouard Bernard (Deponderibuset tnensuris, lib. n i ,
pag. 2 1 7 ) compte parmi les différentes coudées Arabes,
dont il donne la définition d’après I(alkachendy, la coudée
noire, et la coudée dite de'Joseph", laquelle est de deux
tiers de doigt plus courte que la coudée noire. Celle-ci
étant, comme on sait, la coudée nilométrique du Meqyâs
de l’île de Roudah^ se trouve aujourd’hui parfaitement
connue; il ne reste,-par conséquent,«qu’à déduire de sa
valeur celle de la coudée de Joseph, d’après le rapport
qui vient d’être donné entre ces deux unités de mesure.
Observons d’abord que ieshabitans actuels de l’E g yp te ,
J uifs, Chrétiens ou Mahométans, attribuent généralement
à Joseph les anciens monumens ou les anciens usages dont
ils ignorent l’origine. Ainsi un ancien canal qui se rend
de Ia.Thébaïde dans la provincede Fayoum,. est appelé le
canal de Joseph. L é mode actuel d’irrigation de cette province
est particulièrement attribué à Joseph. Le puits de
la citadelle du Kaire est appelé./e puits de Joseph. Une
grande salle de ce château s’appelle le divan de Joseph.
Les magasins du vieux Kaire où l’on dépose les grains
.provenant de l’ impôt en nature levé dans la haute Égypte,
sont désignés sous le nom de greniers de Joseph. Ils attribuent
à Joseph'le mode de perception des impôts et
l’ invention du papier : quelques auteurs O rientaux disent
même que ce fut Joseph qui construisit les pyramides. C e
préjugé général, qui rapporte à ce-patriarche tout ce dont
l’origine est inconnue, ne fonde-t-il pas à conclure de
la dénomination même de coudée de Joseph , .que cette coudée
est la coudéë, Egyptienne antique, dont l’usage remonte
au-delà des périodes connues de l’histoire! Il nous
reste à montrer comment le calcul le plus simple justifie
cette conjecture.
Nous avons fait voir ailleurs (Mémoire sur le nilomètre
d’Eléphantine) que la longueur de la coudée noire est de
o ‘",5412. Elle est divisée en 24 doigts de o",022^
chacun, dont les deux tiers' sont par conséquent de
o “',ot 50. La coudée de Joseph, de deux tiers de doigt
plus courte que la coudée noire, est donc de om,526, c’est-
à-dire, précisément égale à la coudée du nilomètre d’É lé phantine
et des pyramides. Ainsi cette preuve s’ajoute
à toutes celles que nous avons déjà données de l’authenticité
de cette unité de mesure.
(3) Mémoire sur le nilomètre d’Éléphantine , section
11, pag. /j.