
semblé d’ailleurs plus utile de rassembler dans un même écrit, à cause de l’affinité
du sujet, tout ce qui concerne les changemens arrivés anciennement dans l’état
des côtes voisines de 1 Egypte. Ce Mémoire renfermera quelques développemens
que nous sommes forcés d’omettre ic i, pour nous en tenir aux observations de
géographie physique nécessaires au but que nous nous sommes proposé, de faire
connoître l’état actuel de i’isthme.
C H A P I T R E I I I .
Description de l Isthme de Sueç . — Discussion géologique sur les anciennes
L im ites de la Jüer Routore.
C e qui frappe d’abord en entrant dans l’isthme, c’est son contraste avec la
contrée voisine. Tant que vous n’avez pas quitté l’Égypte, malgré les feux d’un
soleil ardent, vous voyez une plaine rafraîchie, traversée de tous côtés par des
eaux courantes, ombragée de palmiers, revêtue de verdure, de fleurs ou de riches
moissons; une contrée riante et animée, où tout n’offre à la vue, tout ne rappelle
à l’esprit que des idées d’abondance et de fécondité. Pénétrez-vous dans l’isthme,
sous le même cie l, tout change autour de vous : nulle trace de culture, nul vestige
dhabitation ; point d’ombrage, point de verdure; jamais d’eaux vives; en un mot,
rien de ce qui peut servir à des êtres vivans. A mesure qu’on s’avance, on cherche
avec inquiétude dans l’éloignement quelques portions de terre plus heureuses :
mais l’oeil parcourt en vain l’immense étendue de l’horizon ; jusqu’aux deux mers
c’est toujours un pays sec et inanimé, des rochers dépouillés, des sables brillans,
des plaines absolument nues.
Ces traits sont communs à tous les déserts de l’Afrique : il fkiit entrer dans quelques
détails sur ce qui est propre à celui-ci. Tout ce terrain de l’isthme est généralement
peu élevé au-dessus des mers voisines. Souvent ce n’est qu’une plaine rase,
et les couches solides du terrain se dessinent à peine sous les sables par de légères
ondulations : mais quelquefois, plus saillantes, et rompues de distance à autre,
elles se montrent à découvert comme de grands degrés ; quelquefois, s’élevant,
se prononçant davantage, elles forment de véritables collines qui se prolongent
au loin, toujours escarpées d’un côté, et de l’autre s’unissant à la plaine.
Des tonens qui se forment une ou deux fois l’année, et qui passent en un
moment, ont tracé des ravins larges, peu profonds, la plupart à demi remplis de
débris de roches et de cailloux roulés.
Dans 1 intérieur de 1 isthme, et loin des routes suivies par les caravanes, on
trouve une vaste plaine toute hérissée de dunes de deux ou trois mètres de
hauteur, fixes quoiqu’en partie sablonneuses, et, au milieu de cette nudité générale,
toutes couronnées d un peu de végétation. Par-delà, vers l’orient, c’est un
terrain plein d’aspérités, entrecoupé de collines arides; et en déclinant vers le
sud, on voit l’isthme dans ieloignement, borné par un long rideau de montagnes
blanches : mais, vers le nord, jusqu’aux rivages de la Méditerranée, ce ne sont
que
que des sables mobiles, que les vents soulèvent et déplacent sans cesse; et dans
les lieux les plus bas, quelques lagunes et quelques lacs d’eau saumâtre.
On trouve aussi vers le centre de 1 isthme des lacs d’une grande étendue, plus
salés qu’aucune.des deux mers; on marche aux environs sur des amas de sel,
sur un sol caverneux et retentissant. Quelquefois on se trouve arrêté par une
terre friable et sèche à la surface, mais spongieuse et tout imbibée d’eau à l’intérieur,
laquelle s’enfonce sous les pieds, cède, pour ainsi dire, sans fin, et où les
hommes et les animaux finiroient par s’engloutir s’ils venoient à s’y engager fi).
Si, faisant abstraction de tous ces accidens particuliers du terrain, on veut saisir
maintenant sa disposition générale, qu’on se représente, couverts des irrégularités
dont no.us venons de parler, deux plans inclinés, qui descendent d’une
maniéré insensible depuis les frontières de l’Égypte et depuis les collines de l’Asie
jusque vers le milieu de 1 isthme, et, dans toute l’étendue de leur ligne de jonction,
une dépréssion plus ou moins large, plus ou moins profonde, précisément dans
le prolongement du golfe Arabique, et qui s’étend depuis une mer jusqu’à l’autre.
Cette cavité est sur-tout considérable depuis le centre de l’isthme jusqu’à trois my-
riamètres (2) de Suez : dans cet intervalle, le sol est inférieur au niveau des deux
mers; mais vers le nord, depuis le centre de l’isthme jusqu’au lac Mcnzaleh, la
pente est' plus uniforme.
Ainsi cette longue dépression qui partage l’isthme, présente dans ses deux moitiés
un caractère très-différent, qu’il est important de remarquer. La partie septentrionale,
celle qui s’incline vers la Méditerranée, malgré quelques bas-fonds et
quelques lagunes, peut être regardée comme ayant une pente continue; et, sous
ce rapport, elle se rapproche des vallées ordinaires : mais l’autre portion, celle qui
s’étend vers la mer Rouge, ayant au contraire sa plus grande profondeur, dans sa
paitie moyenne, inférieure au niveau de la mer de quarante à cinquante pieds;
offre un bassin bien caractérisé, qui a la même direction que le golfe Arabique,
dont il est séparé par un terrain peu eleve. Je désignerai dans la suite ce bassin de
1 intérieur de I isthme par le nom de bassin des lacs amers qu’il a porté dans l’antiquité,
selon Pline et Strabon.
On concevra clairement les facilités qui ont toujours existé pour mettre en
communication le Nil et la mer Rouge, si l’on donne un moment d’attention à
l’observation qui suit.
Vers le centre de. 1 isthme, en face de 1 endroit même qui sépare ces deux
( i) Plusieurs autres parties de l’isthme sont revêtues quelquefois d’un grès rouge ou brun, d'une nuance v iv e ,
d efflorescences salines, et semblent au loin un terrain et d’une dureté égale à celle du granit. Ailleurs ils sont
blanchi par une légère couche de neige. Des cailloux jonchés de silex et d’une espèce de cailloux particulière
aplatis, semés dans les parties les plus basses de la plaine . à ces lieux, laquelle présente des herborisations et des des-
et recouvertes de lichen, offrent quelquefois à l’oeil une sins variés à l’infini. On voit briller, dans d’autres endroits,
vaste surface teinte d’un vert grisâtre. des plaques minces et polies de gypse cristallisé. Souvent
Sans vouloir entrer ici dans des détails d’histoire natu- on trouve des coquillages fossiles, intacts, disséminés ou
relie, qui seront développés ailleurs, nous ajouterons seu- accumulés en monceaux , et quelquefois des fragmens,
Iement que les sables qui recouvrent la plus grande partie des branches, des trônes entiers d’arbres pétrifiés, à demi
du terrain, sont mêlés de débris de roches d’une grosseur enfouis dans les sables,
médiocre, et dont la nature varie comme celle des col- (a) Six à sept lieues,
lines environnantes : la plupart sont de nature calcaire,
A . S