desorateurs et des poetes (i) dans les discours préparés et faits, pour être chantés,
cest-à-dire, pour être prononcés en public, remonte à une époque très-reculée,
i-a-lyre/ dans son principe, et pendant très-long-temps, n’eut pas d’autre
utilité que celle du tonarion dans les temps postérieurs. II ne 'seroit pas raisonnable
de supposer que cet instrument, qui, pendant tant de' ¡Scies, ne fut monté
que de trois cordes seulement, dont les sons étoient distans l’un de l’autre de -
intervalle d une quarte, eût jamais pu servir à former un chant de l’espèce de ceux
que nous, modulons avec tant d’art. L ’art musical étoit alors trop sévère et trop
grave pour se prêter à ce genre frivole et insignifiant où la vérité et l’énergie de
I expression sont sacrifiées au futile et vain plaisir de l’oreille ; plaisir purement
sensuel, fait pour amollir 1 ame, désavoué par l’esprit et la raison, qui n’y peuvent
prendre aucune part, capable de distraire et même de détourner absolument l’attention
du principal objet, enfin diamétralement opposé au but de l’antique murique.
La musique, la poésie et l’éloquence ne faisant, dans la haute antiquité, qu’une'
seule et meme science qui embrassoit tout ce qui'étoit du ressort de la voix et de la
parole dans le discours (2), les musiciens étoient, par conséquent, les seuls poètes
es seuls orateurs et iesseuls historiens. On exigeoit d’euxqffils se distinguassent par
leurs vertus(3) ; on les honoroit souvent des titres de devins, dp prophètes et d’inter-
pretes des dieux. Tels étoient ceux qui composoient la classe des .chantres parmi'les
ievitejxhez les Hébreux, parmi les hiérophantes chez les Égyptiens, ceux qui fbr-
moient la classe des bardes parmi les druides chez les Gaulois. Tels'étoient Thamvris
Melampe Musée, Orphée, chez les Thraces; Phémius, Démodocus, Homère ’
esio e, Olympe, Terpandre, chez les Grecs. Ils méritoientces- titres respectables
puisque, mieux instruits que tout autre des événemens passés (4 ), ils les offroient
dans leurs .poemes comme une utile leçon de l’expérience, en.perpétuoient sans
. cesse la mémoire, en co n sen ten t toujours un souv.enirfidèle, ettransmettoientavec
autant de force que de vérité jusqu’aux impressions que ces événemens avoient
produites sur ceux qui y avoient participé (y), et qu’ils faisoient même éprouver
d avance le¡ sentiment des impressions que devoient produire.les événemens dont
s annonçaient que la postérité étoit menacée, si, par une coupable insouciance, elle
negJigeoit leurs avis (6). Ils méritoient encore ces titres, parce que leurs poëmes,
remplis de maximes profondes et sages et de précepteaexcellens (^'servoient en
tout temps de leçon aux hommes, étoient consultes quand i f s’agisioit dé régler
es intérêts des nations ou ceux des particuliers, (8^,. disposoient à la civilisation
( 0 Dans l'antiquité, les poëtes étoient tout-â-Ia-fois
orateurs, historiens, philosophes.
( - ) Plat- de Rep. I ib .'n et lib. m .
(3 ) Plat. deLegib. lib. i l et lib. V I I ; de Rep. lib. n i ;
J o ,v e l de Furore poetico. Strab. Geogr. lib. I ,p a g . 14 ,
et irb. x , p,ag. 533, edit. sup. Iaud. Aristïd. Quint, de
M u s ica , lib. 1 1 , pag. 7 4 , inter M u sic. Auctores septem,
edit. Meibom. Amstelod. 1 7 5 2 , jn-4.0 ■
{4) JVam qui est cognitione prceditus, novit antiqua
et conjicit futura. Scit strophas oratïorium, et xnigmatum
soLutiones ; proesck signa et prodigia et eventus temporum,
Clem. Alex. Strojfi. lib. v i , pag. 660.
( j ) i Voye^j dans l’Odyssée, ce qu’Homère%ous rap-
porte de l’effet des chants de Démodocus et de Phémius.
( ^) V°y^z, dans là Bible, "Ies-effets que*produisoient
les prophéties sur le peuple Hébreu.
(7 ) Pla.t. de Legib, lib. n et lib. v u . „
( 8 ) Aristot. Rhetor. cap. XV. Aristid. Quint, de.Mu -
s ica , lib. n , pag: 39 - 7J.
_ V oyez aussi nos Recherches sur l'analogie de la musique
et des arts qui ont pour objet l ’imitation du langage,
part, i v , chap. IV , D,- l ’universalité d t la- tradition orale
et chantée chei tous les anciens peuples du .monde, ii partir
des premiers patriarches.
D E L ’A N T I Q U E E G Y P T E . 3 7 5
les peuples barbares (i ) , adoucissoient les moeurs des peuples sauvages .(2). Ces
poëmes d’ailleursfétoiënt d’un très-grand secours pour apaiser les séditions, pour
faire cesser les divisions entre lés hommes, dissiper leurs inimitiés et'rétablir entre
eux la cqncorde (|jî:ils fortifioient l’ame (4) et la formoient à la vertu (y) ; en un
mot, toutes ces poésiês donlse composoit la tradition orale et chantée , la seule dont
l’usage fûtreçu pendant un grand nombre de siècles chez-tous les peuples du monde,
étoient. un moyen sûr et infaillible de propager sans danger et d’une manière inaltérable
la connoiSSânc,e'de,la religion, des. lois, des sciences et des arts (6).
Plutarque/dont lé témoignage? est?d’un grand poids et doit faire foi dans ce qui
concerne 1 antiquité, s’exprime à cet égard sans équivoque; il nous assure quç les
anciens, pour perpétuer les çonnoissances,;n employoient que la poêlie chantée.
Voici'comment s’exprime cet auteur dans le traité qui a pour titre, Des Oracles de
laprophetessePythie \y): « L ’usage du langage paroît être sujet à changer, de même
» que celui de la monnoie : l’un, et l’autre ont une valeur différente en différens
31 temps, et alors on n’admet que ëë qui ejst connù'et Usité ; car, assurément, il a été
» un temps où, la mesure, lp cadencé et Je chant* étant comme l’empreinte du dis-.
» cours consacré par l’usagé , toute histoire, tout enseignement philosophique j une
» simple sentenceisen uni m’ot tout ce qui avoit besoin d’être énoncé avec un ton
33 de t'oix plus gravês- oh le subordonnoi’t à la poésie et à la musique. Ainsi ce
33 que peu deigen’â conçoivent à peine maintenant, tout le monde le comprenoit
33 et se plaisoit à Lentendre chanter, bergers, laboureurs et oiseleurs* comme le dit
33 Pindare; etpar.la gçande facilité qu’ils avoient en ce temps pour la poésie, iis
33 réfôrmoient les moeurs au’ son de la lyre et par des chants ; ils haranguoient,
33 ils exhortoient’ en se servant de fables et de proverbes. Les hymnes mêmes,, les
33 voeux qu’ils adressaient aux dieux,' et les péans, ils les soumettoient àia mesure et à
33 la cadence rceux-là guidés par,un heureux génie, les autres en suivant l’usage. C’est
33 pourquoi nulle part Apollon n’envia jamais cette grâce et cet ornement à la pro-
33 phétie, ni né voulut é'çàrter'du trépied laMus'ê quil’honoroit; mais il l’encouragea
33 plutôt, aimant et recherchant la nature poétique : lui-même, s’y attachant, l’animoit
33 et en excitoit là verve par cles conceptions sublimes, comme étant alors’ une chose
33 bfelle et admirable. Mais, un changement s’étant opéré dans'les moeurs en même
33 temps, qu’il avoit lieu dans les fortunes et dans les goûts, l’usage, repoussant toute
33 superfluité, fit abandonner les .cheveux bouclés, les ornemens en or et les fas-
33 tueux manteaux; il retrancha les Iqngues tresses et supprima le cothurne. Bientôt
( i ) Aristote et Aristi.de -Q u in tilien , ibid. Plutarque, . que la philosophie n'est quune excellente musique, àç <pt\o-
(Euvres moatales, Que- l'on 11e saurait vivre joyeusement * ¡as »wf /Utyiinç /¿xgimç. Dans le troisième livre
selon la doctrine d ’Epicure, .pag,--2$z ; de la Vertu morale, de sa République, Platon dit encore que le seul musicien
pag. 3 1 , F \ de la Musique, pag. 6 67, édit. déjà citée. est philosophe, oit /MvoçhMnxoç 0 tpoéwpoç.
Horat. de Arte poètica. ,!1 (6) C ’étoit d’un poëriie semblable à ceux dont.il.s’agit,
(2 ) Jid. ibid. a * * que Théogriide disoit ( Sentent, v. 18 ) :
(3 ) Jid. ibid. Plutarque, OEuvres morales, Qu'un phi- * Tout’ tmç ¿faveimy Sià. ço/jutiarfif,-
losophe doit cçnverser avec les princes, pag. 134 , G . Hoc camen immortalia venitper ora. |
(4) Plutarque, de la Musique, pag. 662. Plat, de (7) Plutarch. Chæronensis Qppimoralia, tom. I I , de
Legib. lib. I l , lib. VU ; Prot agoras. Pythiæ oraculisy.^. 4o6., B , C , D , E , gr. et Iat. G. Xy-
( 5 ) ibid. Plutarque, de la Musique, page 664. Iandro interprète,'Lutetiæ Parisiorum; 1624, in-fol.
Socrate, dans le Phcedon de Platon, dit positivement
A. _ B b b