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ni cette gravité noble quelle avoit auparavant; les Perses la chargèrent bientôt
de tout lé luxe Asiatique : respectée jadis par les Égyptiens comme un bienfait des
dieux, elle fut dès-lors méprisée par eux, comme n’étant plus propre qu’à amollir
lame, à enerver le courage et a corrompre les moeurs.
Depuis cette époque, les Égyptiens, en effet, durent concevoir une idée désavantageuse
de toute musique étrangère ; mais ils n’ont jamais pu dédaigner leur
musique propre, .tant qu elle leur a été connue : cette musique, dans son premier
état, fondée sur les principes de la plus saine philosophie, étoit dirigée par des lois
trop sages pour ne pas être constamment respectée par eux ; et tout nous démontre
que ce que par la suite ils rejetèrent réellement dans cet art, leur venoit de l’Asie.
Nous savons qu en Egypte les lois relatives à la musique n’y admettoient (i j que
ce qui etoit de nature à élever l’ame, à l’accoutumer à des sentimens nobles , à la
former à la vertu; qu’elles en proscrivoient la trop grande multiplicité et variété des
sons, comme ne pouvant peindre l’état de l’ame de l’homme sage, modéré, tempérant,
ort et courageux; Nous savons, d’un autre côté, que les défauts contraires étoient
précisément ce qui caractérisoit la musique Asiatique, fffuelle étoit fort variée (2),
plaintive (3), voluptueuse, molle et lâche (4)., portoit à la débauche et à la crapule (î) :
c est donc cette musique introduite par les Perses en Égypte, lorsqu’ils s’en furent
rendus maîtres, qui fût rej.etée des Égyptiens.
Mais nous avons avancé que les défauts qui rendoient cette espèce de musique
blâmable, tenoient principalement^ l’abus qu’on faisoit des instrumens ; et c’est là ce
qu’il nous reste à'prouver. Pour cela, il est nécessaire que nous remontions à i’ori-
gmC d- l f eS É f e * ,a source de ,a dépravation de l’art ; que nous signalions la fausse
direction quil reçut, et qui le détourna du but qui lui avoit lté prescrit par la
nature : autrement nous ne pourrions expliquer en quoi consistoit le second état
de 1 art musical des anciens Égyptiens, puisque c’est cette fausse direction qu’il prit
en Asie et qu il continua de suivre en Égypte, dont nous allons observer la marche
et les progrès, qui doit fixer notre jugement.
Il est incontestable, d,abord, que de tous les instrumens de musique le plus naturel
et le premier, c est la voix ; que les autres ne furent inventés que fort long-temps
après la découverte de l’art du chant. L ’harmonie de l’accord de cefS derniers suppose
nécessairement déjà non-seulement l’existence et la connoissance de l’art auquel
ils étoient destinés, mais encore celles de tous les principes de la musique. Le
très-petit nombre et la disposition des sons de l’accord des premiers instrumens
prouvent évidemment qu’ils furent imaginés seulement, les uns, pour donner le
ton à la voix, ou la maintenir dans celui que le chanteur avoit.déjà pris, pour
indiquer à celui-ci les points d’appui sur lesquels il pouvoit porter les diverses inflexions
de ses accens, et pour déterminer les limites dans lesquelles le chant devoit
se renfermer ; les autres, pour marquer le rhythme et la cadence des vers, du chant
(l.) Nous nous sentons provoqués, malgré nous ,‘ i rap- (a ) Apul. Florid. Iib. I.
peler souvent à la mémoire du lecteur des idées sur l’an- (3 ) Jd. ibid. Plat, de Revubl. Iib. a g i
tique musique de l’E gyp te, qui nous semblent tpçp con- ( 4) Plat, ubi supr'a,
traires à nos préjugés pour n’êire pas sans cesse dissipés et . ( 5 ) ld . ibid.
détruits par eux.
OU
D E l ’ A N J I Q U E É G Y P T ?Ê .
ou de la danse. Les mêmes, sons qui composoient l’accord de la lyre à trois cordes,
étoient aussi ceux sur lesquels les anciens avoient fondé les principes et les règles
de la prosodie. « La mélodie (i) du discours, dit Denys d’Halicarnasse dans son
» Traité\de l ’arrangement des mots (2), embrasse pour l’ordinaire'un intervalle de
s» quinte : elle ne s’élève pas au-delà de trois tons et demi vers l’aigu, et ne
33 s’abaisse pas vers le grave au-delà de cet intervalle (3) ; mais ces principes, fondés
33 sur le système de l’accord de la lyre à quatre cordés, des Grecs, étoient’une
33 extension de ceux que les anciens Égyptiens avoient déterminés dans l’acctord
>3 de leur lyre à trois cordes. 33 Dans l’accord de la lyre à trois cordes, le son du
milieu formo'it la quarte avec le grave et avec l’aigu, et les deux sons extrêmes
rendoient l’octave (4); c’étoit la plus grande étendue que la voix devoit parcourir
dans le discours ordinaire.
Tant que les instrumens se bornèrent à ces trois sons, ils ne purent être nuisibles
à la mélodie : mais, dq? qu’on en eut imaginé d’un plus grand nombre de cordes;, et
que l’artiste put en varier les, sons à son gré, on vit naître une autre espèce de musique
qui n’avoit plus rien de commun avec les principes.du langage parlé; et chacun,
pouvant la modifier suivant son goût ou son caprice, ne consulta plus que le seul
plaisir de l’oreille, ou même la vanité d’avoir vaincu de très-grtufdes difficultés sans
nécessité comme sans objet. L ’ignorance, qui applaudit à ces ridicules écarts, força
en quelque sorte le chant à-vs’y abandonner aussi, et bientôt on perdit jusqu’au
souvenir des principes essentiels de la musique-ellc-mcme, par l’habitude que l’on
contracta de ce nouvel art purement factice.
Il s’écoula néanmoins bien 4 **s siècles sans qu’on" songeât à rién changer à la
( 1 ) Ici le mot mélodie est pris dans Son acception étymologique
; il signifie en cet endroit la cadence des
phrases dont se compose le discours.
(2) Ed it. Simon. Bircov. pag. 38.
(3) V o ic i l’accord de l’ancienne lyre à quatre cordes
des Grecs ; nous ferons .-'connoître les difficultés et les
vices qu’a engendrés cette réforme de l’antique lyre à
trois cordes :
(4 ) II est bon dé remarque/ que ces sons étoient les
principaux du mode D o rien , le plus ancien des modes ;
on a f^puis fait commencer le mode Dorien un ton
plus b a s , parce qu’on y a compris la proslambanomène.
V o ic i cet accord dans son premier é ta t ,
qui présente également les principaux sons de la région
moyenne de la voix humaine, tant de celle de la femme
que de celle de l’homme. L e son aigu répondoit à l’é té ,
le son moyen au printemps, et le son grave à l’hiver ; et
fin e ffe t, l’émotion qui produit ces sons lorsque nous
parlons, a beaucoup de rapport à la température de la
saison à laquelle répond chacun d’eux. Le son le plus
a ig u , étant produit par une émotion vive, qui cause
une plus grande chaleur dans le sang, convenoit mieux
A .
qu’un autre à l’ é t é ; le son du milieu,;é tant produit.
paT une émotion modérée,, qui occasionne peu de chaleu
r , devoit appartenir au printemps ; e t le son grave,
qui n’est produit que par des vibrations trè s-lentes ,
ou par un sentiment qui ne câuse qu’une émotion très-
foible et ne' peut occasionner de chaleui^avoit donc aussi
de l’analogie avec l’hiver. .Plùtarque, au neuvième livre
de ses Propos de table, question X IV , nous dit quelque
chose d’ànalogue à c e c i, dans ce passage §? « Les
» Delphiens disent que lés'Muses ne portent ponit les
5?noms de sons ou de chordes envers eu x ; ains que le
» monde univers estant divisé en trois principales parties,
» la première est celle des natures-non errantes, la seconde
33 des errantes , et la tierce^celles qui- son&sous la sphere
» d e la lu n e , et qu’elles sont toutes distantes les unes
» des autres par proppriib'ns .armoniqùes, de chascunc
»desquelles ils tiennént qu’il y a une des Muses qui en
» a la garde : de la première, celle qu’ils nomment
» hypate, de la dernière nite, et mère celle "du milieu,
» qui contient et dirige autant comme il est possible les
» choses mortelles aux divines, et terrestres aux celestes,
» comme Platon nous l’a couvertement donné à entendre
» pa r les noms des Fées ou des Parques, ayant appelé
» l ’une Atropos, l’autre Lachesis, et la tierce Çlotho.
»Q u an t aux mouvemens des huit c ie u x , ils Jeur ont
»attribué autant de Sirenes et non pas de Muses. »
Voy. pour ces sortes de spéculations, le traité de la Créa-
• lion de l’ame par le même auteur, et le Timée de Platon.
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