
Le premier de ces deux parus étoit le plus naturel : mais il auroit indiqué aux
contribuables, sans qu ils eussent besoin de recourir à aucun calcul, l’augmentation
de charge que 1 on auroit fait peser sur eux, et par cela même il auroit provoqué
de leur part des plaintes qu il importoit de prévenir dans un pays où le peuple,
extiemement attaché à ses anciens usages, étoit naturellement porté à la sédition,
et dans lequel les Romains n entretenoient que trois garnisons assez éloignées les
unes des autres.
On continua donc de lever la même quantité de grain sur l’unité de mesure
agi ah e; mais on substitua a la double aroure Égyptienne le double jugère des
Romains (i), lequel, représentant aussi la surface de terre qu’une paire de boeufs pouvoir
labourer en deux jours, étoit moindre que la double aroure , précisément
dans le même rapport que les terres d’Égypte sont plus faciles à labourer que
celles du Latium et du reste de l’Italie. On obtint ainsi l’avantage de cacher en
quelque sorte aux simples cultivateurs la véritable augmentation d’impôt dont
on les surchargeoit, puisqu ils n’auroient pii déterminer cette augmentation, et par
conséquent motiver leurs plaintes, qu’à J’aide de raisonnemens et de calculs au-
dessus de leur portée.
A u reste, a quelques causes que 1 on attribue l’introduction du jugère Romain
en Égypte, cette introduction est un fait sur lequel le témoignage positif de Héron
d Alexandrie ne peut laisser aucun doute. Nous allons rappeler ici le passage dans
( i) II seroit difficile d assigner l’epoque précise à laquelle
cette introduction du jugère Romain eut lieu en
Egypte. C e qui est constant, c’est que, suivant le témoi-
gnage de Phi Ion ( D e plantations JSfo'èJ , l’aroure de cent
coudées de côté et de dix mille coudées superficielles y
étoit encore une unité de mesure agraire à l’époque où il
é c rivoit, c’est-à-dire, environ quarante ans après Jésus-
Christ.
Le meme auteur, dans son discours contre Flaccus,
rapporte que ce gouverneur de l’Égypte parvint en très-
peu de temps à en connoître l’organisation intérieure, et
rendit ainsi inutile un nombre considérable d ’écrivains.
O r on ne pouvoit parvenir à pénétrer l’espèce de mystère
dont ces écrivains s’enveloppoient dans l’assiette et
la perception des impôts en nature, qu’en traduisant en
mesures Romaines les anciennes mesures du pays. Lorsque
le rapport en fut bien établi, on put se servir indifféremment
des unes et des autres pour exprimer les mêmes
quantités. Aussi, dès la fin du i n . e siècle, les auteurs qui
traitent par occasion de cette matière, comprennent-ils
dans une même nomenclature les mesures originaires
d e l’E gypte et celles qui y avoient été introduites par les
Romains. Voilà pourquoi S . Épiphane, dans le tableau
qu’il a donné des poids et mesures ( Yaria sacra, cura
et studio Stephani Le Moyne, tom. I , pag. 470 et seq. ) ,
présente, avec les mesures Egyptiennes, l e sextarius, le
congius de six sextant, et la livre de dou-y onces, qui
étoient d’origine Romaine.
Quoiqu’il soit très-probable d’après cela que l’usage
en devint général en Egypte, au moins pour les opérations
du fisc, dès les premiers temps qui suivirent la
réduction de ce pays en province, ce n’est cependant
que par une loi des empereurs Valenttnien, Théodose
et Arcadius, promulguée en 386, que cet usage, formellement
prescrit dans tout l’Empire, dut être spécialement
ordonné en Égypte, d’ôù l’on tiroit en diverses denrées
l’approvisionnement presque entier de Constantinople.
Cette loi porte qu’il sera pla c é, dans toutes les villes
ou mansions, des étalons fabriqués en airain ou en pierre,
de modii, de sextarii et de poids, afin, y est-il dit, que
chacun des contribuables ait sous les yeux le type de cè
qu’ il doit payer aux percepteurs.
A i odios æneos vel lapídeos cum sextariis atque ponderibus
per mansiones singulasque civitates jussimus collocqri, ut
unusquisque tributarius, sub oculis constituas rerum om-
nium modis , sciât quid debeat susceptoribus daré ¡ ita ut
siquis susceptorum , condiforum modiorum, sextariorumvel
ponderum nonnam putaverit excedendam, pcenam se sciât
competentem esse subiturum. (C o d . lib . x , tit . LXX.)
Antérieurement à cette époque, l’empereur Théodose
avoit fait transporter dans les églises les coudées sacrées
qui servoient à mesurer l’accroissement du N il, et qui
étoient auparavant dans les temples de Sérapis. (Th eo-
phanes, Chronographia, pag. 13.) L ’ancien ordre sacerdotal
étoit depuis long-temps tout-à-fait sans crédit :
Diocletien 1 avoit enveloppé dans ses proscriptions ; et
craignant qu’ il ne reprît quelque influence sur le peuple
par l’exercice de l’astrologie, il la défendit par une loi.
Cette même loi encoùrage au contraire l’exercice de la
géométrie, c’est-à-dire de l’arpentage, par des motifs
d’interet public. Artem geometría: discere atque exercere
publici ínteres\t : ars autan mathematica damnabilis est et
interdicta omnino, ( Loi de D io c lé tien , Cod, lib. i x ,
tit. X V I I I .)
D E S A N C I E N S E G Y P T I E N S . 3 3 9
lequel cet auteur indique les différentes unités de mesure qui composoient le
système métrique des Égyptiens sous les Romains, à une époque antérieure au
règne d’Héraclius, sous lequel il vivoit (i) : ces'mesures étoient,
L e p ie d royal o u philétérien, d e q u a tr e p a lm e s o u d e s e iz e d o ig t s ;
L e p ie d Italiq ue , d e t r e iz e d o ig t s e t u n t i e r s ;
L a coudée, d e s ix p a lm e s - o u d e v in g t -q u a t r e d o ig t s ;
L a canne d'arpentage o u acene, d e s ix c o u d é e s d e u x t i e r s , e t , p a r c o n s é q u e n t , d e d ix pieds p hilé -
têriens, o u d e d o u z e pieds Italiques,
L a lo n g u e u r d u ju g m , c o n t in u e H é r o n , e s t d e v in g t cames d e c e n t tr e n t e - tr o is coudées u n
t i e r s , d e d e u x c e n t s p ieds phiiêtériens., o u d e d eu x c e n t q u a ra n te pieds Italiques,
S a la r g e u r e s t d e c e n t v in g t pieds Ita liq u e s , o u d e c e n t p ieds phiiêtériens-, d e s o r te q u e la
su r fa c e d e c e q u a d r ila tè r e e s t é g a ie à v in g t -h u i t m i lle h u it c e n t s p ied s Italiques ca r r é s .
11 s agit de faire voir que le jugère de Héron n’est autre chose que le jugère
Romain ; et comme celui-ci étoit également un rectangle de deux cent quarante
pieds de long sur cent vingt de large, la question se réduit à prouver l’identité du
pied Italique et du pied Romain.
Aux preuves que j’ai données de cette identité dans mon Mémoire sur le nilo-
mètre d’Éléphantine, j’en ajouterai une sans réplique ; elle est fournie par un
manuscrit Grec (2) de la Bibliothèque du R o i, dans lequel se trouve un fragment
sur la cubature des pierres et des bois, attribué à Didyme d’Alexandrie.
(1) Voyez la Bibliothèque Grecque de Fabricius, et Ies
Mémoires de I’Académie des inscriptiorts, tome X X I V ,
'Pag‘ 559-
Voici le passage de Héron :
*0 mvg ó /m i ßumbixog, xsd <pibircue/.og bt^ójMvog, íyti
TOAaifttf DuxTOAOt/f tf'm 0 J t 'lT«A/Xflf mùg iy il cfttxro-
bovg ty re/fMiQpv...........
'O 7ny>c tyti mbcugu.g r , Jkiavbovg x j { ‘ xabí7ta\ Si xa¡
57RVIf..................
O kcLkojms &Sgt 7m%if r Si/Mt^yv, imSite fihìraieJ-cuq Í ,
Ira xmv g iC. . . . . . .
*H Si cattva. mlitg <fib.ira.1eJ.0vg 1 , ii-ro/ Jkxrvbovg p%. . .
Tc iovjtpßv ípfti 7¡AsOgjs. C , ouuvetg x , tn w g pby reJfiot-
Qpy, mdu.g fibircuejLoug /MìXùvgpjtv <r, xboimug Sì p ‘ ‘ir a b i-
xovg Si 7» pAv fMtxog, mlbcg rm Sí xbàrog px' àg ynSttf
tpCaSbùg ìv nrfctyéyù), 'Chcù.. . . . .
Abba. r a v r a pav xa.ru. 7»V mbcücu tx%<nv" thy Si vi¡V xgjt-
•nvmty Sbvapuv, ìv ib i g /Qesoipioig n v bóytv umm^apty.. . .
Pes qui regius et phileteerius vocatur, habet palmos 4 ,
.dígitos 16¡ Italicus vero pes habet dígitos i j et tertiam digiti
partem............
Cubi tus habet palmos 6 , dígitos 24 ¡ vocatur quoque
xyloprísticus, sive Ugni sectilis cubi tus. . . . . .
Calamus habet cubitos 6 cum duabus tertiis partibus,
.pedes philetterios 10, Itálicos ¡2, . . . . . . .
Aceña autetn habet pedes philetterios 10, sive dígitos río...
Jugerum habet plethra 2 , aceñas 20, cubitos i j j chin
tertia parte, pedes philetterios longitudinequidem ducentos,
latitudine vero centum ¡ Itálicos autem longitudine pedes
240 , latitudine 120, : ita ut in tetragono siut aubadi seu
arete 28800............
Sed htec quidem ju xta antiquata expositionem; cani vero
qute jam obtinet dimctiendi rationem, in liujus libri principio
exposa ¡mus. ( Analecta Græca, pag. jo 8 et seq. C e
fragment de Héron a été traduit sur lé manuscrit de
la Bibliothèque du R o i, coté 1670. V
(2) C e manuscrit de la Bibliothèque du R o i porte le
n.° 2475. L ’ indication du passage important qu’il contient,
m’a été donnée par M. Eisenman, ingénieur des
ponts et chaussées, l’un des professeurs de notre école.
Voici ce passage :
O mryig 1 mbaiçdç <?• Jkxmbovç xJ\J’ mJit IlTBbt-
[uuxSv tva. , yfuot) • 'Papcüxùv Jï mlht, iyct, tjpuov , xipiSor,
JÎXOTBY.
'O x o v g 0 JIiBb ifju tïx o g t% i x a .b a.ig d g <f{.
O o í íeo pu ü x ág m v ç t% i x a b a i ç d ç y c r m *
O m v ç 0 ÜT tb iju aix og v y y i J d x iv b o v ç iV .
O J i 'Teojbuuxoç m v ç t j ç i J it xm b o v g ly , n<tv.
E ^ t/ S i' x a i Aojpy ô ü -m b ip a ix ig m v ç t r ç l g 7i r ßccabixov
■myiv, ag (¡> nppg y .
'O Pquaïxog mvç trQ$g 7iv ßaatbixiv mfyv bóy>v í%i, cog i
t r ^ g ■§?'.
( AiSbjuov Ábí%atJpiú)g meJ fjutpfjutpuiY rgï xttvniav £Jbar. )
Cubitus habet palmos 6¡ dígitos 24.; pedan Piolemaicum
unutn et dimidiumj pedem Romanum unum, dimiditnn,
quintam, decimam.
Pes Ptolemaicus habet palmos 4.
P es vero Romanus habet palmos j et trientem.
Pes Ptolemaicus habet dígitos 16.
Pes vero Romanus habet dígitos i j et trientem.
Habet quoque pes Ptolemaicus ad cubitum regiutn eam
proportional! quam duo ad tría.
Pes Romanus ad cubitum regium eam proporcionan
habet quam quinqué ad novem.
( 1) id y mi Alexandrin i Opusculum de laptdum et omnis
generis lignorum mensura, foi. 74 verso. )