L'irrégularité du parement actuel de la grande pyramide , l’intention présumée
de ses constructeurs d’en cacher l’entrée, les décombres amoncelés à son pied,
enfin le revêtement de la seconde et de la troisième, revêtement dont l’existence
ne peut être mise en doute, sont autant de probabilités qui, réunies, conduisent
à conclure que la première étoit également, autrefois, recouverte d’un parement
extérieur, dressé suivant l’inclinaison de ses faces ; ce qui s’accorde non-seule-
ment avec le récit d’Hérodote et des historiens de l’antiquité, mais encore avec
celui des auteurs Arabes, que Ziegler, cité plus haut, paroît avoir emprunté.
L'existence de ce revêtement restant incontestablement prouvée , il étoit naturel
d’admettre que son épaisseur avoit été comprise dans la longueur du côté
de la grande pyramide mesurée par les anciens, tandis que les modernes n’y
avoient eu jusqu’alors aucun égard. Il étoit donc nécessaire, pour établir légalité
entre les expressions qu’ils en donnent, et déduire de ces expressions égales le
rapport entre les unités de mesure employées par les uns et les autres, de déterminer
sur le sol l’espace que ce revêtement occupoit.
Ces considérations, et l’intérêt qu’offroient à la curiosité générale les recherches
dont l’emplacement de l’ancienne ville de Memphis pouvoit être le théâtre, firent
proposer d’entreprendre une nouvelle excursion aux pyramides de Gizèh et de
Sackara. L ’Institut d’Égypte indiqua, sur le rapport d’une Commission, les questions
qui paroissoient les plus importantes. Enfin l’un de ses membres, M. Le Père,
architecte, fut chargé, avec M. Coutelle, de diriger les opérations qui devoient
conduire à leur solution.
On doit à leur zèle et aux soins minutieux qui caractérisent leur travail, une
pyramidographie beaucoup plus détaillée que celle de Maillet et du professeur
Greaves. En attendant qu’elle soit complètement publiée,-je dirai, d’après la communication
qu’ils ont bien ■ voulu m’en donner, comment ils sont parvenus à
retrouver les angles de l’ancien revêtement des faces de la pyramide, et quels
procédés ils ont suivis pour en mesurer l’intervalle.
Après avoir fait enlever les décombres dont le sol étoit couvert aux deux
extrémités de la face septentrionale , on reconnut que la surface du rocher
avoit été dressée de niveau à ces extrémités, et qu’on l’avoit creusée d’environ
deux décimètres, pour y former une espèce d’encastrement, dans lequel les pierres
angulaires de l’assise inférieure du revêtement furent posées. Ces pierres ont été
déplacées ; mais l’espèce de mortaise qui les recevoit est d’une conservation parfaite.
Les angles de la première assise, ainsi fixés d’une manière inébranlable, servirent
à régler la pose des pierres intermédiaires de la même assise. Quand celle-
ci fut arasée, on suivit le même procédé pour la pose de l’assise suivante ; c’est-
à-dire qu’on en établit les pierres angulaires dans des mortaises pratiquées sur la
première , et ainsi de suite, jusqu’au sommet de l’édifice. Par cette disposition,
les pierres qui constituoient chacune des quatre arêtes de la pyramide, s’emboîtant
les unes dans les autres, retenoient comme encaissées toutes les assises
horizontales du parement ; ce qui a forcé de les briser avec des coins quand on
Il m’a paru utile dé rappeler ces procédés de construction, afin de lever tous
les doutes qui poui'roiértt rester sur la destination primitive des encastremens
pratiqués aux .extrémités de là face septentrionale de la pyramide : cé sont les'
témoins irrécusables du revêtement dont elle étoit couverte ; il est évident que,
puisqu’ils recevoiént lés pierres angulaires de sa première assise , ils en déterminent
précisément la longueur.
Il ne Sagissoit plus que de mesurer Cette longueur avec là précision convenable
: pour cela, on a tracé d’abord , au moyen de jalons verticaux , une ligne
droite entre les deux angles extérieurs des deux encastremens; e t , comme le sol
h’étoit point de niveau dans toute la longueur de cette ligne , on lui a mené, à
quelque distance , une parallèle égale. Cette parallèle ayant été tracée sur Un
terrain uni, on a tendu horizontalement entre ses extrémités un cordeau , le long
duquel On a appliqué successivement l’unité de mesure qu’on employoit.
Cette opération , aussi simple que rigoureusement exacte , a donné pour la
longueur cherchée 716 pieds 6 pouces dé France, ou 232“ .6678.
Or nous avons trouvé que les 883 pieds attribués par Pline à la même ligne
équivaloient à 232“ .6702, en supposant que ces pieds fussent des lérèths où
des demi - coudées : il existé donc, en admettant cette supposition, uné identité
parfaite entre la mesuré de Pline et celle de MM. Le Père et Coutelle; d’où
il suit, d’après tous les caractères de précision qu’elles offrent l’üne et 1 autre,
quê lâ moitié de la coudée Égyptienne, appelée léret/i par les Hébreux, et désignée
par les Grecs et les Romains souS le nom de pied, avoit de longueur a .2635 ,
c’est-à-dire, que là coudée entière étoit précisément de 0.527, telle que nous
l’avons retrouvée à Éléphantine.
L’emploi du léreth comme unité de mesure se remarque encore dans la
chambre sépulcrale de la grande pyramide. La hauteur de cette chambre est,
de 5'n.52226 £ 17 pieds de France ]; ce qui équivaut à 21 iéreths, la coudée
étant de ôm.5Z58.
Il paroît d’abord étonhant que les constructeurs de la grande pyrâmide aient
donné au côté de sa base un nombre de demi-coudées aussi irrégulier que celui
de 883; mais cette irrégularité dans l’expression de la longueur du côté de cette
base n’est-elle pas la suite nécessaire du dessein des fondateurs de ce monument,
qui voulurent lui faire occuper sur lê sol un nombre exact d’unités de mesure
superficielles! On doit observer, en effet, que parmi les auteurs de l’antiquité qui
ont parlé de la grande pyramide, plusieurs ont rapporté la superficie de sa base
à un certain nombre dé jugères (1).
Quoique ce mot ne soit dans leurs écrits qu’une expression générique par laquelle
ils traduisent l’expression particulière de quelque unité de mesure agraire
usitée en Egypte,on est cependant fondé à conclure, des témoignages dont il s’agit,
que les constructeurs de la pyramide eurent l’intention de renfermer entre les
côtés de sa base une surface déterminée; intention qui deviendra tout-à-fa it
(1) Amplissima ( pyramis ) octo jugera obtinet soli. (P lin . Histor. natural. lib . XXXVI, cap . 1 2 .)