Si maintenant on se rappelle que la coudée du nilomètre d’Éléphantine se
retrouve divisée en quatorze parties, on sera naturellement conduit à y recon-
noitre les sept palmes et les vingt-huit doigts qui composoient l’unité de mesure
primitive; et cette division, toute singulière quelle paroît au premier aperçu,
offrira, d’après l’analyse précédente, un témoignage irrécusable de sa haute an-
ticfuité.
Les proportions du corps humain, dont les anciens avoient fait une étude particulière,
s’il est permis d’en juger par les statues admirables échappées à l’injure
des siècles, fournissent une nouvelle preuve de ce que je viens d’avancer. On
sait, en effet, qu ils regardoient la coudée naturelle comme la quatrième partie
de la hauteur du corps (i). Il s’ensuivroit tle là que le type de la coudée d’Éléphantine,
de y 27 millimètres, auroit été fourni par un individu haut de 2 mètres
108 millimètres [6 pieds 8 pouces], stature véritablement gigantesque , tandis
que , si l’on diminue cette coudée d’un septième, ou du palme additionnel, on
la réduira à 4yo millimètres; et la hauteur de l’individu qui l’aura fournie, ne
sera plus que de 1 mètre 80 centimètres [5 pieds 6 pouces 6 lignes], taille avantageuse,
a la vérité, mais qui na rien d’extraordinaire.
Voilà donc la division de l’unité de mesure primitive en sept parties j ou l’addition
d’un palme à la coudée naturelle, attestée tout-à-la-fois et par le procédé
qu’on fut obligé de suivre en l’employant, et par les justes proportions de la stature
humaine.
A ces preuves nous devons ajouter les traditions qui constatent l’emploi de
la coudée septénaire. Plusieurs passages des livres Hébreux dans lesquels ces traditions
sont conservées, n ont point échappé aux recherches de ceux qui se soni
occupés de la détermination des mesures anciennes : mais les uns ont négligé d'en
faire usage; et parmi les autres, les passages dont il s’agit ont reçu des interprétations
différentes.
L ’identité des mesures Égyptiennes et des mesures Hébraïques est un point
sur lequel on est plus generalement d’accord (2). La plupart des critiques conviennent
que les Juifs, pendant leur captivité, adoptèrent les usages des Égyptiens,
et qu ils les transportèrent dans la Palestine. Si donc la tradition d’une coudée septénaire
se retrouve parmi eux , il est tout simple d’en conclure qu’ils avoient
emprunté cette coudée dun peuple plus ancien, aux moeurs duquel ils avoient
été obligés de se conformer, et dont ils avoient si fortement contracté les
P a h i t '",inh te rp eis sexta, cubitus quana. des anciens, par Frêret (Mém. de I’A cad. des Inscript,
r T a c - 1 1 ‘ ‘ CaP ‘? '’ ] tome X X I V , page 47$). L’opinion admise par tous les
\z)AnEssaytoucardstheTecovetyof the Jewish measures critiques qui viennent d’être cités, sur l’identité des cou-
anduteights, by Richard Cuntberland ( Lond. .6 8 6 ) ; dées Égyptienne et Hébraïque/se trouve encore ap-
Jsaact Newton, Opuscula, tora. I I I , pag. 493 et s e ,. ( Lan - puyée par le passage d’Hérodote ( 1ht. 1 1 >, dans lequel il
sa note et Genevte, 17 4 4 ) ; Johannis Eisenschtnidii D e dit que la coudée d’Égypte étoit la même que celle de
pondes,bus et mensuels, pag. 116 (Argentorati, .7 0 S ) ; Samos. Samuel Bochart a prouvé, en effet que cette tle
D e tabernáculo fiederis, & c . auct. Bern. Lamy (Parisiis, avoi, été peuplée par une colonie de Phéniciens, qui se
1 /20i ’ Arbuthnotit Tabula, antiquorumnummonnn, servoient probablement des mêmes mesures que celles qui
mensuraeumetponderum,pag. 6 * etseq. (T ra je e n ad Rhe- étoient usitées en Palestine et dans toute la Syrie. (C e o -
nUm, I75 h Gratte des mesures itinéraires, par d’A n v ille , graphite sacra, pars atura, de cobniis et sermone Phoenipag.
29 et sutv. Paris, 1769); Essai sur les mesures longues cum, Cadomi, 1646; lib. 1 , cdp. 8-, pag. 406 et seq.)
habitudes, qu’ils ne purent jamais y renoncer tout-à-fait, malgré les menaces
de leur législateur et les punitions qu’il leur infligea (i).
C ’est pour exprimer les dimensions d’un temple et d’un autel, que les livres
Hébreux font mention de la coudée septénaire.
« Je vis, dit Ézéchiel (2), un homme qui tenoit dans sa main une canne ou
a, mesure longue de six coudées ; chacune de ces coudées contenoit une coudée et
aa un palme, aa
Il dit ailleurs (3), après avoir indiqué les dimensions de l’autel des holocaustes :
« Ces mesures de l’autel sont exprimées en une coudée qui contient une coudée et
aa un palme. »
Or il est évident que la coudée qui, augmentée d’un palme, formoit la coudée
sacrée d’Ézéchiel, est la coudée naturelle ou virile. Cette coudée virile et la coudée
du sanctuaire sont, en effet, les seules que l’on trouve définies dans les livres Hébreux
(4) : d’où il suit naturellement qu’elles étoient les seules usitées parmi les
Juifs ; et comme la première est de six palmes, il reste démontré que la seconde,
d’un palme plus longue, étoit la coudée septénaire des Égyptiens, telle que nous
l’avons retrouvée à Éléphantine.
On conservoit un étalon portatif de cette coudée du nilomètre dans les temples
de Sérapis, divinité à laquelle les anciens Égyptiens attribuoient le bienfait des
inondations (y). Soit que la garde de ce type sacré de la coudée donnât quelques
privilèges à ceux qui en étoient chargés, soit que le lieu où il étoit déposé
(1) L ’adoration du veau d’or est évidemment un
retour du peuple Hébreu au culte des animaux sacrés de
l’E gypte : Rursusque ait Dominus ad Mohen : Cerno quod
popvlus iste dum cervicis sit. ( Exod, cap. x x x n , jf. 9. )
(2) E t ecce murus forinsecùs in circuitu domûs undique,
et in manu viri calamus mensuræ sex cubitorum et palmo.
( C ap. X L , jt. 5.) H ebraici in cubito et palmo, id est, qui
cubitus continebat cubitum vulgarem cum palmo, ( Biblia
V a tab li, Salamanticæ, 1564; loin. I I , pag. ¡60.)
(3) Istæ au levi mensuræ a l tari s in cubito verissimo,
qui habibat cubitum et palmum. (Cap. X L i i i , y . 13. )
H ebraici cubitus , cubitus et pugillus, q. d. Cubitus de quo
loquor est cubitus sacer, qui profanuni pugillo excedit.
( Biblia Vatab li, tom. I I , pag. 63.) On peut voir aussi,
sur ces passages d’E zéchiel, les Commentaires de Dont
Calmet. II regarde la coudée sacrée des Juifs comme
étant d’un palme plus longue que la coudée naturelle.
Cette opinion, fondée sur le texte même de la B ib le ,
a été suivie par Robert Ceneau , George A g r ico la,
Daniel Engelhardt et Charles Arbuthnot. V oici comment
ils s’expliquent :
Cubitus vero sanctuarii, qui verissimus et perfectus ab
Ezechiele vocatur, cap. X L I I I , septem palmos habet. (D e
vera mensurarum ponderumque ratione opus de integro
instauratum à Roberto C en a li, Parisiis, 154.7; p. 40.)
Cubitum autem Hebroeis fu it duplex : alterum sex pal-
morum, alterum septem palmorum, ( Georgius Agricola
de mensuris quibus intervalla metimur, p, 224.) Qui pm -
terea cubitum dicunt esse quinque palmorum, in ejus longitudine
lapsi sunt de via : etenim vulgare sive commune
cubitum Hebraicum pariter cum Crceco et Romano fu i t
sex palmorum, augustum vero illud et perfectum septem.
( Ib id .p . 223 '} Basileæ, 1550.)
Cubitum autem Hebræisfuit duplex: alterum sex palmo-
rum , quod amah nominant, vel simpliciter, vel ad mensuram
cubiti virilis manùs (Deuteron, cap. IH , jr. 1 1 ) ; alterum
septem palmorum, sive X X V i l l digitorum, atque ita uno
digito longius quam regium H erodo t i , quod idcirco amah
vatopah, cubitum et palmum, sive palmi cubitum, vocant.
Hieronymo verissimum et perfectum cubitum appellatur.
(Danielis Angelocratoris [Danie l Engelhardt] Doctrina
de ponderibus , mensuris et monetis , Marpurgi Cattorum,
16 1 7 ; p. 29.)
JVobis quidem manifestum videtur dupli ceni eos ( H e -
broeos) cubitum, sacrum habuisse atque profanimi sive vulgarem..................
Vulgarem cubitum sex palm is aut X V I l i
pollicibus constitisse à vernine in dubium revocatur; quæ
ratio sacro V I I palmos sive X X 1 pollices attribuii. (C a roli
Arbuthnotii Tabuler antiquorum nummorum , mensurarum,
Ù"c. p. 64 et 65.) Nous aurons bientôt occasion
d’indiquer comment quelques autres métrologues, entraînés
par l’autorité du rabbin Moïse Maimonide et
d’Arias Montanus, ont fait la coudée naturelle ou vulgaire
de cinq palmes; ce qui réduisoit à six palmes seulement
la coudée du sanctuaire.
(4) Solus quippe Og rex Basan restiterat de stirpe gigan-
tum. Monstratur lectus ejus ferreus, qui est in Rabbath
filiorum Ammon, novem cubitos habens longitudinis, et
quatuor latitudinis, ad mensuram cubiti virilis manûs.
(Deuteron, cap. 1 1 1 ,jr . n . )
(5) Mensuræ servabantur in tempio Serapidis ; quod
constat de cubito quo incrementum JVili mensurabatur :