§. I ."
Strabon.
D ’a b o r d on remarquera que Strabon , d’accord en ce point avec les autres
écrivains, dit formellement, dans le second livre de sa Géographie, qu’à Bérénice,
comme à Syène, le soleil darde verticalement ses rayons au solstice d’été, et que
le plus long jour de l’année y est de treize heures et demie; ce qui ne convient
rigoureusement qua la latitude du tropique. Ce passage du second livre est donc
en contradiction manifeste avec ceux du dix-septième que nous avons rapportés.
Mais, dans ce dix-septieme livre, Strabon parloit d’après ses renseignemens particuliers
et comme voyageur : dans le deuxième, il se borne à compiler des observations
générales ; il répète sans examen une opinion commune et accréditée de
son temps. La parfeite conformité de cette opinion avec ce que rapportent Pline et
les autres compilateurs, montre assez que la source où ils avoient puisé, devoit
être la même; et, à la forme sous laquelle elle est présentée, il seroit facile de s’apercevoir,
quand même Pline ne l’indiqueroit pas aussi clairement (1), qu’elle venoit
oi iginairement d un grand travail qui n’est point parvenu jusqu’à nous, mais qu’on
sait avoir été entrepris par Ératosthène, le même qui fut chargé, sous le règne de
Ptolémée Philadelphe, de former la fameuse bibliothèque d’Alexandrie.
Cet ancien astronome, regardé généralement comme le plus savant des Grecs
depuis Aristote, et doué, à quelques égards, du même génie que ce philosophe,
avoit entrepris de faire pour les sciences exactes à-peu-près ce qu’Aristote avoit
fait à l’égard des sciences morales et des sciences naturelles, de les ramener à
certains principes fixes, et d’en lier les résultats, pour former sur chaque partie un
corps de doctrine complet. Dans cette vue, il avoit réuni toutes les connoissances
acquises jusquà lui sur la géographie; et pour rendre les observations comparables
entre elles, il les avoit réduites à une forme commune. Ayant partagé la terre,
à partir de 1 équateur, par zones ou par bandes parallèles, qu’il appeloit climats,
et quil distinguoit d’après la longueur du plus grand jour de l’année ou d’après la
longueur de 1 ombre à midi, à 1 époque du solstice, il y rapportoit tous les lieux
alors connus, traduisant ainsi toutes les indications des voyageurs, sous quelques
formes quelles eussent d abord été présentées; car par lui-même il n’a fait qu’un
très-petit nombre d observations astronomiques. De telles déterminations n’étoient
donc point susceptibles de rigueur ; et des lieux où le plus grand jour différoit d’un
quart d’heure, pouvoient être rapportés au même parallèle, quoique la différence
de leur latitude fût de plusieurs degrés.
À Syène le plus grand arc semi-diurne, suivant les observations astronomiques
de M. Nouet, est de six heures quarante-sept minutes; et à Coptos, ville un peu
moins septentrionale que Bérénice, il est de six heures cinquante-deux minutes
( !) Cim m Bérénice, quam primamposuimus, ipso die ibi deprebenso , cùm indubitati. ralione umbrarmn Era-
solsntn, sextâ hora, umbroe m lo,um absmnanmr, . . . r e s toethenes mensuram terra- prodere inde coeperie. ( Pli,,
wgentis exempt, , locusquc subtilitaiïs immensoe, rnundo His t. nat. 11b, V l.c ap . 20.)
trente secondes. Cette différence d’environ six minutes ne pouvoit guère être
appréciée ni par les marchands, ni par les soldats Grecs et Égyptiens qui fréquen-
toient seuls Bérénice à l’époque où écrivoit Ératosthène. Ajoutons que sous cette
latitude l’ombre n’est point sensible à midi vers le solstice d’été, comme j’ai eu
occasion de le vérifier. Non-seulement Ératosthène a dû ranger Syène et Bérénice
sous le même climat, mais encore les croire exactement sous le même parallèle,
puisque toutes les circonstances qu’il consultoit pour juger de leur position,
sembloient les mêmes dans les deux endroits.
§. II.
Ptolémée.
L a latitude de 23° y' que Ptolémée attribue à Bérénice, n’est pas un renseignement
plus précis que le précédent. En dressant ses tables, Ptolémée n’a fait
autre chose que de présenter sous cette forme nouvelle les observations faites
avant lui, les unes par des procédés exacts, et le plus grand nombre par des
moyens assez grossiers, tels que ceux dont nous avons parlé : c’est ce que l’on
auroit pu conclure des observations faites récemment en Égypte, si cette vérité
n’eût déjà été établie par les judicieuses remarques de M. Gossellin et de divers
savans sur les travaux de Ptolémée. La parfaite conformité de cette latitude; de
Bérénice avec celle de Syène doit donc faire soupçonner que Ptolémée a copié
ici Ératosthène sans aucun examen ; et j’en vais donner une preuve irrécusable,
en montrant que la longitude qu’il attribue à cette ville maritime, ne peut convenir
à un point de la mer Rouge situé vers le tropique. Le méridien qui marque
cette longitude (6 4 ° 6’) que Ptolémée donne à Bérénice, coupe le parallèle de
Syène dans l’intérieur des déserts, à plus de vingt lieues à l’ouest delà mer. Ce qu’il
faut encore remarquer, c’est que cette même longitude (64° 6') est précisément
celle du fond du golfe Acarhartus, ou de l’extrémité de l’isthme de Coptos : nul
autre point de la côte au sud de ce golfe ne peut lui convenir, parce qu’en remontant
vers le sud, cette côte décline toujours vers l’est. Cette coïncidence, comme
on le sent très-bien, n’est pas l’effet du hasard.
Ptolémée, je 1 avoue, n’a pas plus observé par lui-même les longitudes des lieux
que leurs latitudes: Selon toute apparence, il a traduit sous une forme rigoureuse
les itinéraires des caravanes, et il a écarté le méridien de Bérénice de celui de
Coptos de toute la longueur de la route qui conduisoit jadis d’une ville à l’autre :
aussi l’intervalle d’environ quarante lieues qu’il met entre ces deux méridiens ,
est parfaitement égal à la largeur de l’isthme, eu égard aux sinuosités de la
route.
On ne s’étonnera point que cette contradiction entre la latitude et la longitude
de Bérénice, quoique très-grossière , soit échappée à Ptolémée. Dans les travaux
de ce genre, les méprises ne s’aperçoivent qu’autant que quelques motifs particuliers
appellent sur elles l’attention, et Ptolémce a bien pu laisser échapper, dans un