creuser le canal qui devoit apporter dans le lac les eaux du N il, et aussi le lac lui-
même , aux abords des canaux ; ce qui aura fait dire qu’il avoit creusé le lac tout
entier : car, comme nous l’avons remarqué, le Birket-Qeroun est creusé par la
nature même ; c’est un bassin formé par la chaîne septentrionale du Fayoum.
Quoi qu’il en soit, Moeris n’en aura pas moins de droits au souvenir des
hommes, pour avoir créé une riche province et un lac aussi utile, là où il n’y
avoit avant lui- qu’un stérile marais, ou des plaines de sable (1). Soit que le nome
Arsinoïte fut dans l’origine un pays marécageux, comme le Delta, et qu’il ait
fallu le dessécher pour y amener ensuite les eaux du Nil, soit que cette province
fut-un desert sablonneux, 'et qu’il ait fallu creuser un large canal à travers les
sables, quelquefois dans les rochers, pour le faire communiquer avec le fleuve,
ce prince aura également rendu à l’Égypte un service signalé, en procurant une
déchargé aux eaux du Nil dans les grandes inondations,- et en ajoutant une province
à ce royaume.
Je pense donc que Moeris fit creuser un canal qui partoit de la branche du Nil
appelee aujourd’hui Bahr- Youstf, à l’ouverture de la gorge du Fayoum, et qu’il
le conduisit jusquà 1 emplacement du lac par deux branches de trois cents pieds
de large, branches que l’on voit encore aujourd’hui (2).
Les pyramides qu’Hérodote apporte en preuve de ce que le lac avoit été creusé,
ne le prouvent pas, puisqu’elles ont pu être construites dans le bassin naturel
dont on a parlé : on n’en voit plus de restes aujourd’hui (3), quoi qu’en dise Paul
Lucas, qui prétend que, dans les années où le Nil se déborde foiblement, on
peut voir les superbes ruines des pyramides qui sont bâties au milieu des eaux (4) ; ces
ruines devroient être bien plus apparentes qu’au temps de ce voyageur, aujourd’hui
qu’il vient si peu d’eau du fleuve. Il suppose, ainsi que Granger, qu’elles
étoient construites sur une île qui renferme plusieurs ruines, et qui a une ou deux
(1) C ’est ce que rapportent les auteurs Arabes. Mur-
tadi, parmi ces auteurs, est celui qui donne.le plus de détails
sur l’ancien état du Fayoum; mais l’histoire y est
mêlée avec tant de fables, et son ouvrage est si plein ¿ ’absurdités,
qu’il est bien difficile d’asseoir une opinion sur de
pareilles bases. II raconte à ce sujet quatre traditions. La
plus remarquable est celle-ci, que la terre d’A lphiom[ le
Fayoum], avant d’être cultivable, s’appeloit la Géoune,
c ’est-à-dire, le marais, et ne servoit que d’égoutà la haute
Egypte et de passage à l’eau. II apprend ensuite qu’on
creusa trois canaux pour détourner l’eau de la Géoune;
mais il est impossible de comprendre dans Murtadi comment
l’on en vint à bout. Il raconte encore q u e , suivant
tin auteur versé dans les antiquités de l’E gyp te, Alphiom
étoit jadis un pays environné de tous cotés comme d ’une
mer; qu’on entreprit de creuser le canal du Manhi jusqu’à
Alphiom, mais qu’on l’abandonna ; ce qu’on voit aux
traces qui en sont demeurées. J’ai trouvé, en effet, sur
plusieurs points du canal de Joseph, entre el-Lahoun et
Medynet el-Fayoum, les traces de l’excavation du rocher
qui sert de lit au canal. V o y e z YÉgypte de Murtadi, tra-
duct. de P. Vattier; Paris, 1666; pag. 2.03 et seq.
(2) L opinion que j’émets dans ce Mémoire, composé
au Kaire en 18 0 1 , ne s’éloigne pas de celle que le major
Rennell publioit dans le même temps à Londres ( The geo-
graphicalsystem o f Herodotus ; London, in-4.0; pag. y 03
et seq.). Le général Andréossy conjecture également que
le lac de Moeris a été formé, et non creusé (voyeç les
observations sur le lac Mçeris,.insérées dans le Moniteur
du 13 brumaire an 9 ) ; mais il pense qu’il a été formé au
moyen d’un barrage fait en des temps très-reculés, à la
tête du•Eahr-belâ-mâ, o ù , suivant lu i, couloit jadis une
branche du Nil. Rennell croit au contraire que le N il n’a ’
jamais passé.à travers ce bassin, parce que, dans les premiers
temps, le lit du fleuve étoit trop bas pour faire
couler les eaux dans le terrain qui renferme aujourd’hui
ce lac.
(3) D ’après le rapport unanime d’Hérodote, de D io -
dore et de Pline, on hésite à nier l’existence de ces pyramides
de cent orgyies de hauteur, q u i , portant chacune
une statue colossale assise sur un trône, devôient produire
au milieu du lac un grand effet. Savary a tort de dire que
du temps d’Auguste elles n’existoient plus ( Lettres sur
l’E gypte, tome I I , let, 4 ). L e silence de Strabqn ne le
prouve pas, puisque P lin e , qui écrivoit sous Vespasien,
en parle d’une manière positive, comme on l’a dit plus
haut.
(4) P. Lucas, troisième V o y ag e, t. I I I ,p . j y .
lieues de tour; cette île prétendue n’a semblé à Pococke et à nous qu’un cap
arrondi, que l’on aperçoit, une lieue avant d’arriver au Qasr-Qeroun. II paroît
néanmoins quil existe là des restes d’antiquités», comme l’assurent les Arabes; et
ce-lieu meriteroit detre visite : le défaut absolu de barques nous a empêchés de
nous y rendre. Nous n’avons pu également prendre connoissance de la profondeur
du lac. Hérodote et Diodore la portent, comme on a vu, à cinquante orgyies
ou deux cents coudées [deux cent quatre-vingt-cinq pieds]; d’Anville, Rollin, et
d autres écrivains, remarquent avec raison que cette mesure n’est pas admissible (i).
Paul Lucas, qu’il faut toujours citer quand il s’agit d’exagération, donne à cette
profondeur^ cinquante brasses,- quoiqu’il n’ait pu la mesurer, puisqu’il avoue ne
s être pas embarqué, et que la profondeur d’un lac n’est pas une chose susceptible
d’être estimée comme sa longueur ou son circuit.
V I I . Nature des Bords du Lac.
Le dernier trait de ressemblance entre le Birket-Qeroun et le lac de Moeris, se
tire encore d’Hérodote : « Les eaux de ce lac, dit-il, ne viennent pas de source;
» le terrain qu’il occupe est extrêmement sec et aride; il les tire du Nil par un
» canal de communication. » Quiconque a vu le lac du Fayoum, sur-tout dans sa
partie occidentale, connoît l’aridité de ses bords; et, si ce n’est à l’approche des
canaux, on n’y trouve presque pas de végétation : les montagnes qui l’enferment
du côté du nord, sont, comme toutes celles de l’Égypte, de la plus grande sécheresse
; e t , en plein hiver, la chaleur qu’elles renvoient est extrême, aussi-bien que
celle qui est reflechie par le sable. Quant aux sources qui pourroient alimenter
le Birket-Qeroun, nous n’en avons pas connoissance ; mais il est vraisemblable
quil n y en a pas d autres que les pluies, bien que Paul Lucas prétende qu’il renferme
deux sources considérables, qui l’empêchent de se dessécher entièrement (2).
U est a croire que, n ayant pas connoissance des pluies qui alimentent régulièrement
le lac, et ne trouvant pas d’autre moyen de l’entretenir, il lui aura créé deux
sources tout exprès.
Si Hérodote ne parle pas des eaux pluviales, c’est qu’elles étoient en trop petite
quantité pour entrer en comparaison avec les eaux que le lac recevoit du canal de
communication. Nous avons dit plus haut quel étoit ce canal : Hérodote se contente
d’en faire mention. Diodore, qui en parle plus positivement, dit « qu’il
» avoit quatre-vingts stades de long, et trois plèthres ou trois cents pieds de
» large (3). » Or il y a, du pont d’el-Lahoun, où, selon moi, l’on aura commencé
a creuser le canal, jusqu’à l’origine des grands ravins, quinze mille mètres (4),
qui font quatre-vingts stades Olympiques : nous avons vu aussi que ces ravins
etoient larges de trois cents pieds; mais le canal lui-même n’a guère aujourd’hui
tome I I , page jo . V o y e z aussi le troisième Voyage.
(3) Diod . /. 1 . ( V o y e z infrà, p . i t i . )
(4) V o y e z page 88.
N a
que cent pieds Égyptiens de largeur.
(1) D ’Anville, Mémoires sur l’É g yp te ,p . 156; Rollin,
Histoire ancienne, tome I .n
(2) Paul L u ca s , premier V o y a g e ; P a r is , ¡7x2 ;