
L arpentage annuel des terres de 1 Égypte n ayant éprouvé aucune interruption
depuis un temps immémorial, et les Égyptiens ayant toujours pté religieusement
attachés à leurs anciennes coutumes, il est extrêmement probable que les procédés
du mesurage de leurs terres ont été transmis d’âge en âge aux .arpenteurs actuels,
sans éprouver de modification. Ce qu’ils pratiquent aujourd’hui semble par conséquent
devoirjdonner une idée exacte de ce qui se pratiquoit dans l’antiquité.
O r voici à quoi se réduit aujourd’hui leur procédé de mesurage : l’arpenteur,
tenant d’une main un long roseau qui lui sert de mesure, se place à l’extrémité
.de la ligne qu.il <|oit mesurer ; il applique sur le sol, dans-la direction de
cette ligne, le roseau qull tient à la main, et trace avec son extrémité antérieure
un léger sillon transversal pour indiquer le point auquel cette extrémité correspond;
cela fait, il releve sa mesure, et s avance dans- la même direction jusqu’à ce qu’il
soit parvenu au-dessus de la première trace dont on vient de parler; il y soutient,
le plus près possible du sol, l’extrémité postérieure du roseau; pendant qu’il le
tient dans cette position, il trace de son extrémité opposée un second sillon transversal;
il reporte le bout postérieur de la canne sur ce second sillqn, et ainsi de
suite, en continuant de marcher, la mesure en avant,'jusqu’à ce qu’il ait parcouru
toute la ligne dont il falloit déterminer la longueur.
On voit que ce procédé de mesurage est de la plus* grande simplicité, et
n exige, de la part des hommes habitués à l’employer, guère plus de temps qu’ils
n en mettroient à parcourir, en marchant au pas, l’intervalle qu’ilsMoivent mesurer.
Si ce procédé n est pas rigoureusement exact, parce que l’arpenteur est obligé
de tenii a une certaine hauteur au- dessus,du sol l’extrémité de la canne àlaquelle
sa main est appliquée, ce qui diminue l’unité de mesure de la différence qui existe
entre la longueur absolue de cette canne et sa projection horizontale, on comprend
aisément que cette différence est trop foible pour avoir une influence notable
dans le résultat de 1 opération, et que les inconvéniens qui pourvoient provenir
de cette inexactitude sont amplement compensés par l’avantage que présente un
procédé aussi expéditif. Il faut considérer de plus que la différence entre la longueur
absolue de la canne et sa projection horizontale sur le sol est d’autant
moindre, que cette unité de mesure est plus longue; ce qui a dû.porter à lui
donner toute la longueur dont elle étoit susceptible, sans devenir trop flexible
ou trop pesante. Le choix de la matière dont on de’voit la former netoit donc
point indiffèrent : il falloit quelle.iût tout-à-la-fois rigide et légère; double propriété
dont jouissent, exclusivement à toute autre substance, les grands roseaux
qui croissent sur les bords du Nil et des canaux dont l’Égypte est entrecoupée.
Il seroit donc naturel de croire que la mesure portative employée dans l’antiquité
pour lés opérations de Iarpentage étoit, comme aujourd’hui, fabriquée avec un
roseau, quand Je nom qui sert à la désigner dans les langues Orientales n’en four-
niroit pas la preuve (1).
Puisque 1 unité de mesure agraire étoit un carré de cent coudées de côté, il
est évident que la longueur de la canne d’arpentage dut être primitivement l’un
f l j . L e m ot qassâb, par lequel on désigne la canne actuelle des arpenteurs Égyptiens, signifie un roseau.
des facteurs de ce nombre.' On avoit à remplir, dans le choix de ce facteur;,
deux conditions essentielles : la première, de donner à l’instrument la plus.grande,
longueur possible, afin d’abréger les opérations du mesurage; la seconde, de limiter
cette longueur, de telle sorte que l’instrument ne fléchît pas sous son propre
poids et conservât sa rectitude. Un roseau de cinq coudées remplissoit ces deux
conditions. Il étoit d’ailleurs facile de s’en procurer par-tout. On en forma donc
uné mesure usuelle, laquelle, appliquée vingt fois de suite sur le terrain dans
la même direction, donnoit le côté de l’aroure. L ’unité de mesure agraire de.
dix mille coudées superficielles fut ainsi transformée en une autre de quatre cents
cannes carrées; expression qui, se trouvant plus simple et plus appropriée àT.éten-,
due des surfaces quelle devoit servir à déterminer, fut la seule que l’on conserva.
Nous ferons remarquer ici que ce nombre de quatre cents cannes superficielles
a quatorze diviseurs (1) ; ce qui permet de le sous-diviser exactement en autant de
parties, et le rend très-propre à faciliter les conventions dont le partage des
terres peut être l’objet.
Rendre les opérations de l’arpentage plus expéditives dans un pays où elles
se renouvellent continuellement, c'étoit résoudre un problème de la plus haute
importance. Les prêtres Égyptiens, qui, comme on sait, étoient chargés de ces
opérations; dirigèrent probablement leurs recherches de ce côté. Le besoin de
l’art qu’ils exerçoient, les conduisit aux propositions élémentaires de la géométrie
spéculative, et ils trouvèrent une nouvelle canne, qui, aussi facile à employer que
celle de cinq coudées, l’emportoit sur elle par l’avantage qu’elle procuroit d’abréger
beaucoup la pratique de l’arpentage, sans altérer sensiblement la valeur de la
mesure agraire primitive. S’il nous est permis de hasarder ici quelques conjectures
, voici comment on fut conduit à faire cette substitution.
Que l’on divise par sa diagonale un carré tracé sur un plan ; les deux n iangles
auxquels cette ligne sert de base commune, sont évidemment égaux entre eux.
Que l’on construise ensuite sur cette diagonale un deuxième carré, en dedans
duquel les côtés du premier soient prolongés ; ces côtés formeront les diagonales
du second, et le partageront en quatre triangles, dont chacun sera précisément égal
à chacun des deux triangles du premier carré. Le simple tracé de cette figure
démontre donc qu’un carré quelconque est précisément la moitié de celui qui seroit
construit sur sa diagonale. Cette proposition, qui n’est qu’un cas particulier du fameux
théorème dont la démonstration est attribuée à Pythagore ( 2), porte par son
évidence le caractère d’un axiome , et ne put échapper aux premiers géomètres ,
c’est-à-dire, aux arpenteurs Égyptiens. II leur fut aisé d’en conclure que, la diagonale
(1) Ces diviseurs sont les nombres i , 2 , 4 , 5 ,8 3 10, tous les trois à dire qu’il apprit la géométrie et l’astrono-
16 , 20, 25, 40 80, 100, 200, 400. mie des prêtres Égyptiens, avec lesquels il demeura p.Iu-
(2) C e théorème est celui qui énonce l'égalité entre sieurs années enfermé, se faisant initier aux mystères de le carré formé sur l'hypoténuse d'un triangle rectangle, et leur religion. (Diogène Laërce, liv. VI il. Porphyre, la somme des carrés formés sur les deux autres côtés de ce de Vita Pythagorce. Jamblique, de Vita Pythagoroe, cap. 4 triangle j théorème pour la découverte duquel on raconte et 29.) Pythagore ayant fondé son ecole en Italie, après
que, transporté de joie et plein de reco.nnoissance envers s’être instruit dans les diverses sciences de I Egypte et de
Jes dieux qui l’avoient si bien inspiré, Pythagore leur im- tous les pays de l’Orient où il avoit- voyagé, put bien
mola cent boeufs. Diogène Laërce, Porphyre et Jam- s’attribuer, pour donner une plus grande célébrité à cette
blique, qui ont écrit la vie de ce philosophe, s’accordent école, le fameux théorème dont il est question ici.
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