Mais par quelle; singularité, dira-t-on, la côte, sous le parallèle de Syène,
présente-t-elle, dans sa configuration, des rapports si marqués avec tes anciennes
descriptions des côtes de Bérénice, que les géographes modernes aient
pu s y méprendre! Je répondrai que cette ressemblance n’existe pas; un coup-
ci oeil sur une carte quelconque de la mer Rouge convaincra que l’on n’a pas
ete plus difficile sur ce point que sur tout le reste. Au lieu de ce golfe profond
dans lequel les anciens plaçoient Bérénice, la côte est tout-à-fiùt droite sous
le parallèle de Syène; et c’est ainsi qu’elle est figurée dans la carte même de
d’Anville.
Aussi dautres géographes, choqués d’une contradiction si frappante, ont pris
le parti de reculer encore davantage Bérénice vers le sud, et beaucoup au-delà
du parallèle de Syène, où se trouvent effectivement un golfe assez profond et
meme un port : mais cette dernière circonstance est opposée au témoignage formel
des anciens, qui ne donnent point de port à Bérénice; de plus, l’île qui
représenteroit ici Ophiodes, au lieu d’être beaucoup au sud de cette ville, se
trouverait précisément un peu au nord. Du reste, toutes les raisons que j’ai apportées
contre 1 opinion de d’Anville, s’appliqueroient à celle-ci. Mais il est bien
évident quon na pas cherché à établir ici une opinion nouvelle; on a voulu
seulement faire disparoître dans les cartes une contradiction trop manifeste avec
les témoignages des écrivains anciens.
C H A P I T R E IX.
Des M ansions militaires construites sur la route de Coptos a Bérénice,
par Ptolémée Philadelphe.
S a n s doute le lecteur n’a point perdu de vue que dans cette ancienne route
avoient été construites des mansions militaires fortifiées, renfermant des puits,
une enceinte pour les bagages des caravanes, et même des logemens pour les
voyageurs. Ces constructions vastes et nombreuses, élevées au milieu des déserts,
sont des monumens uniques en leur genre, et que l’histoire a célébrés comme
une des opérations utiles qui ont illustré le règne de Ptolémée Philadelphe.
Sous un climat conservateur comme celui d’Égypte, où l’on retrouve des monumens
bien plus anciens, et sur-tout dans un désert qui les met à l’abri des ravages
es hommes, il est impossible que de telles constructions aient disparu entièrement
; le silence des voyageurs à cet égard auroit donc pu former une objection
contre notre opinion : mais on conviendra aussi que, ces monumens venant à être
retrouves semblables en tout aux descriptions des anciens, en même nombre,
offrant encore les puits, les fortifications, les logemens et les autres accessoires
dont ils ont parlé, il ne sauroit plus rester le moindre doute sur la route des
anciennes caravanes, ni sur la situation de Bérénice.
En me rendant à Cosseyr par la route ordinaire, je consultai les Arabes Ababdés
conducteurs des caravanes, touchant une autre route,suivie par Bruce, et dans
laquelle se trouvoient des fiagmens d’obélisques d’une proportion gigantesque (1).
Us n’avoient aucune idée de ce que je leur demandois; mais il existoit, disoient-ils,
dans une autre route, au nord de celle que nous suivions, des bâtimens très-grands,
renfermant de fort beaux puits et quantité de chambres. Je crus qu’il falloit
ranger ces détails parmi les contes que débitent si souvent les Arabes sur de vastes
monumens qu’ils prétendent exister dans l’intérieur des déserts ; mais, quelque
temps après, M. Bachelu, colonel du génie, étant parti de Cosseyr pour se rendre
à Qené, accompagné seulement de quelques Arabes, abandonna la route ordinaire
à trois lieues environ de Cosseyr, descendit un peu vers le nord, entra dans
une grande vallée parallèle à celle qu’il venoit de quitter, et y trouva effectivement
ces constructions que les Arabes avoient indiquées.
Elles consistent à l’extérieur en une enceinte carrée d’environ quarante à cinquante
mètres de côté, haute de trois à quatre, et flanquée , dans deux angles
opposés, par des tours de trois mètres d’épaisseur, massives dans presque toute
leur hauteur. L ’intérieur de l’enceinte renferme quatre rangées de petites chambres
toutes égales, disposées parallèlement aux quatre murs d’enceinte, dont elles ne
sont séparées que par des couloirs étroits, qui permettent de circuler librement
le long de ces murs garnis de banquettes, afin de dominer le dehors. La plupart
de ces chambres sont maintenant en ruine ; mais on en voit suffisamment pour
bien juger de tout ce qui a existé. Dans deux angles de l’enceinte, il n’existoit,,
au lieu de chambres, que des rampes étroites qui conduisent au sommet des tours,
Ces quatre corps de bâtimens enferment entre eux un espace carré, dont le
centre est occupé par un puits circulaire d’une largeur considérable , autour
duquel descend en hélice une rampe fort large, destinée autrefois à conduire
jusqu’au niveau de l’eau. Actuellement ces puits sont en partie comblés ; mais
on aperçoit dans le fond de plusieurs une végétation fort abondante , indice
certain du voisinage de l’eau. Il est probable qu’on pourroit encore, avec fort
peu de dépenses, les mettre pour la plupart en état de servir. Tous ces monumens
sont construits sur le même plan, ou du moins n’offrent que de légères
différences.
Le premier a été rencontré à six heures de marche de Cosseyr (environ trois
myriamètres) ; le second à trois heures de marche du premier, et ainsi de suite
jusqu’au septième, qui se trouve à trois heures des puits de la Gytah, lesquels for-
moient eux-mêmes, autrefois, une semblable station. Les constructions de la
Gytah ont été totalement rasées par les T u r c s , qui ont construit avec leurs
débris un tombeau de santon ; mais les puits sont parfaitement conservés, et l’on
distingue encore les fondations d’une des tours qui flanquoient l’enceinte.
L’intervalle compris entre les points extrêmes de ces huit mansions est d’environ
vingt-trois heures de marche (onze myriamètres); ce qui donne, pour la
distance moyenne d’une mansion à l’autre, trois heures un quart.
(1) On remarque encore, dans cette route, des cons- placés dans tous les endroits où la route a besoin d’être
tractions plus multipliées ; mais c’est un autre genre: ce indiquée; ce qui prouve assez qu’ils ont été construits
sont de petits massifs de maçonnerie de forme cubique, dans la vue de servir de termes.