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en pareil cas à la voix sans nuire à là mâle et noble simplicité du style, ainsi qu’à
l’imposante et majestueuse grandeur des pensées.
Le cantique que Moïse chanta (i), et que répétèrent avec lui les Israélites après
le passage de la mer Rouge, est celui dont le noble et véhément enthousiasme
paroit le plus étonnant. Dans le ravissement extrême qu’éprouve Moïse après avoir
eu le bonheur de passer avec les Israélites cette mer à pied sec, et avoir Ïiêureu-
sement échappé comme eux à la pouriuite des Égyptiens, qui, voulant les ramener
pour les retenir captifs chez eux (2), furent submergés et engloutis par les eaux,
cédant a 1 élan de son ame et pressé par le besoin de son coeur qui le porte à
rendre grâces à l’Éternel, tous ses esprits étant comme absorbés par le sentiment de la
reconnoissance.il élèveavec énergie sa voix, et dit : Je chanterai (3) iÉternel; il vient de
se montrerdans toute la grandeur de sa puissance ; il a renversé le cheval et le cavalier dans
la mer. L Etemel est ma force ; c'est lui que je chante; je lui dois mon salut: c ’est là mon
Dieu, je lui éleverai des autels ; c’est le Dieu de mon père, je publierai sa majesté.
Tout le reste de ce cantique magnifique est conçu dans cet esprit et avec cette
maie vigueur. Moïse ne voit plus que l’effet de la main toute-puissante de Dieu ;
il ne peut suffire à l’admiration que lui cause le miracle de sa délivrance et de'
celle des Israélites : ceux-ci ont en quelque sorte disparu à ses yeux, il continue de
chanter comme s’il étoit sejd. Son enthousiasme se communique subitement à tous,
les transporte également; chacun répète ce cantique à mesure que Moïse le chante,
et les femmes expriment par leurs danses les sentimens dont elles sont émues.
L e second cantique commence ainsi : d eu x , prêtez une oreille attentive, je vais
parler. Qiie la terre écoute les paroles de ma bouche; ma doctrine va-se répandre comthe
la rosee, comme la pluie sur les semences, comme les gouttes d'éau sur l ’herbe, parce
que je vais invoquer l ’Éternel. Reconnaissez la grandeur de notre Dieu, ire. Nous ne
chercherons pas à nous excuser de l’aridité de cette traduction littérale ; il nous
suffit d avoir rendu exactement les idées pour faire concevoir, non la beauté du
style original, qu’on ne peut que défigurer en lui prêtant une parure étrangère,
mais la beauté et la grandeur des pensées, ainsi que la douceur et la grâcq, des
images : elles n’ont pas besoin d’ornement pour flatter l’imagination ; elles reportent
toujours 1 esprit à la contemplation des merveilles de la nature, en excitant notre
admiration envers la toute-puissance ineffable qui les produit sans cesse. ®
Demandera-t-on maintenant si le génie qui dicta une telle poésie à Moïse,
dut lui inspirer un beau chant, un chant d’une expression fortement sentie, à lui
qui étoit si profondément versé dans toutes les parties de la musique des anciens
Égyptiens! Demandera-t-on si 1 art musical dans l’antique Égypte eut jamais cette
mâle vigueur que les législateurs avoient voulu lui donner ! Toutes les règles presto
L historien J u if Joseph et Zonaras [Corp. By&nte esclavage, s’appeloit Paissomma* il avoit près de lui les
tom. X , pag. 24 ) pensent que ce cantique étoit en vers de | deux mages tannes et lambris.
six pieds; mais plusieurs raisons nous portent à expire qu’ il ( 3 ) C e mot, qu’on a traduit en latin par cantemus,
n existott point alors de vers métriques, et qu’on ne c o u - ' est à la première personne du singulier dans le texte
noissott encore que le rhythme. Nous aurons occasion de Hébreu. Nous nous en sommes tenus au sens, littéral
deveiopperet deprouverailleurs cette opinion. persuadés qu’on ne peut que l’affoiblir en s’en écarv2
) É,e Pharaon qui voulut retenir les Israélites en tant-.
d e l ’ a n t i q u e é g y p t e . 4 0 1
crues par les lois en ce pays ne sont-elles pas obs.ervéesidans- ces cantiques, quant à la
poésie au moins; celles sur-tout qui enjoignoient au poëte de ne jamais s’écarter
de ce qui étoit beau, honnête et juste, de diriger vers l’ordre les affections de plaisir
ou de douleur, d’élever et de fortifier l’ame! Celles de la musique devoient donc
y être suivies également, puisqu’alors la musique et la poésie ne faisoient qu’un seul
et même art ; et si les instrumens de musique eussent pu s’accorder avec une mélodie
aussi puissante, Moïse n’auroit pas manqué de les y employer.
Hérodote nous a lajssé la description des honneurs funèbres rendus à un simple
particulier en Égypte ( i ) ; la seule différence qu’il y.aitjentre son récit et ce que Dio-
dore nous apprend à l’occasion des funérailles d’un ro i, c’est que le deiiil n’est pas
général, et qu’à cette cérémonie il y a moins de monde : il nous dit aussi que les
parens du mort faisoient des lamentations en chant, et il ne fait en cet endroit nullement
mention de musique instrumentale. Il n’en est pas question davantage dans
une autre cérémonie funèbre dont parle Diodore (2), et qui avoit lieu dans l’île de
Philæ (3), au-delà de la première cataracte du Nil, où, chaque jour, les prêtres du
lieu alloient remplir de lait trois cent soixante urnes qui environnaient le tombeau d ’Osiris
dans cette île , et se rangeoient ensuite alentour pour chanter des thrènes. On répondra
peut-être qu’une semblable circonstance pouvoit faire exception à la règle générale
pour tous les autres chants (4) ; et ce qui donne encore plus de poids à
cette objection, c’est qu’il paroît que. c’étoit, en effet, un usage constant chez les
ancien? Grecs, de suspendre tQiute espèce de divertissemens, ainsi que l’emploi
des instrumens, pendant un certain temps, à la mort de leurs rois.
Euripide, dans,:sa tragédie d’Alceste, où il nous retrace les moeurs des premiers
temps de la G rèce, de ces temps où les institutions religieuses de i’Ëgypte devoient
y être,, encore maintenues , nous rappelle également ( acte 11 , scène / ) l’usage
dont il s’,agit, lorsqu’il fait dire à Admète pleurant son épouse qui s’est dévoilée
à‘4 a mort pour lui ; « Mes doigts ne tireront plus de ma lyre ces sons
» enchanteurs qui charmoient autrefois mon oreille ; ma voix ne se mêlera plus
» aux doux-sons ae la flûte Libyenne ; toutes les délices de ma vie périront avec
» vous Secondez-moi, je vous prie, et chantez alternativement des airs lugubres (y)
( i ) Les G re c s , qui avoient emprunté des Égyptiens
ia plupart de leurs cérémonies fuiiebres, n’employoient
point d’instrumens de musique en pareil cas. Dans les
temps;-reculés, ils accompagnoient seulement le mort au
tombeau en chantant des hymnes appelés thrènes ou
nénies. V oyez Alexander ab Alexcindro, lib. I l I , ca'p. 7 ,
pag. 1 18 , Lugduni, ¡61y ,
(2 ) Bibl. hist. lib. 1 , cap. 2 2 , pag. 63.
( 3 ) Cette île s’appeloit le Champ sacré.
(4) Musica in luctu importuna. Salomon, Ecclesiastic.
cap. 2 2 , v. 8.
(5) Hàfiçi, £ /xivovnç (un^ozcn
Tlaiettct Ttfi xaTu9iy àamrS'u Stco.
Adeste, et uttà per vices canite■
Lugubre car mat inferorum implacabili dco.
La traduction littérale de cesftyers seroit : « A c cou re z ;
» que par vos efforts réunis les péansjetentissent jusque
» dans la sombre demeure du dieu des' énfers. » L ’épithëte
A .
lugubres et lés mots en l ’ honneur ne se trouvent point dans
le grec. On verra par ce que nous dirons du péon, dans
la suite, que Tes expressions de lugubres et en l ’honneur ne
conviennent point ici. Le péan étoit une invocation à
Apollon, le dieu de la lumière, de l’ordre et de l’harmonie,
celui qui répand la* vie et la santé, le vengeur
des maux qu’avoit causés Python ou Typhon, génie
du mal, qui causoit toute sorte de désordres, et quiocca-
sionnoit la mort. C ’étoit pour obtenir la protection et
le secours d’Apollon dans les maladies, dans les dan-
g e r s o u dans les calamités, qu’on lui adressoit ces
prières qu’on appeloit pêons, ou bien pour lui rendre
grâces de l’assistance qu’on en avoit reçue. O r ici c’est
plutôt jtmç invocation pour prier ce dieu de rendre
Alceste a la v i e , qu’une imprécation ou une prière,
comme on voudra l’entendre, qu’on adressoi£-au.dieu
des enfers. Comme imprécation, les mots en l’ honneur ne
peuvent convenir; et comme péon, le mot lugubres n’est
£ ce 2