s'étonner des changemens qu’il a subis, que de l’abondance dont il jouit encore ,
malgré tant de maux et de ravages. Aussi le silence des écrivains du moyen âge, à
l’égard du lac de Moeris, n’a rien qui doive surprendre.
Pierre Martyr, qui fut envoyé d’Espagne en Egypte pour négocier avec le sultan
«1-Ghoury, et qui voyageoit en 1502 (1), rapporte, dans les mémoires de son
ambassade, que, pour remédier aux trop grands débordemens du Nil, le sultan
. Kayd-bey dit le Vieux (2) avoit creusé un nouveau canal qui recevoit les crues
excédantes et les portoit sur des terres désertes,.,qui alors devenoient fertiles (3).
Il est probable, comme le soupçonne Fréret, que Pierre Martyr veut parler du
même canal qui portoit les eaux surabondantes dans le lac de Moeris (4 ). L’histoire
des Mamlouks nous apprend que les sultans av.oient fait divers travaux de
cette espèce long-temps avant el-Ghoury (y) ; il y a lieu de croire qu’on avoit
donné plus de profondeur au Bahr-Yousef, et que, dans les crues extraordinaires,
l’on se débarrassoit par son moyen des eaux superflues, qui alloient s’écouler dans
le Birket-Qeroun. Les terrains éloignés qu’indique Pierre Martyr, pourroient-bien
n’être autre chose que la mer sans eau ; mais on ignore encore la possibilité d’une
communicatio'n entre le bassin du lac et la vallée du Bahr-belâ-mâ. La géographie,
la géologie et l’histoire naturelle réclament un voyage dans cette partie
de la Libye, et jusqua l’Oasis d’Ammon, où il n’est pas très - difficile de pénétrer,
au moyen des renseignemens déjà donnés par les Arabes.
Fréret propose une opinion assez singulière sur le Bahr-belâ-mâ : il. compare
sa direction et son étendue avec celles qu’Hérodote a assignées au lac de Moeris;
et comme il y trouve quelque rapport, il fait entendre que c’est là son emplacement.
Il seroit superflu de réfuter cette idée, qui est destituée de tout fondement,
et à laquelle son auteur ne paroît pas beaucoup tenir, puisqu’il semble indiquer
ailleurs le lac du Fayoum.
Il faut conclure que, depuis Auguste, le lac de Moeris perdit successivement ses
avantages, par la négligence apportée à l’entretien des canaux; mais que, vingt ans
avant la conquête d’Egypte par les Turks, il servoit encore à recevoir les eaux
surabondantes, de l’inondation. Depuis cette époque, le sol de la vallée du
Fayoum s’élevant sans cesse, comme le reste de l’Egypte, dans un rapport plus
considérable que le lit du canal, il a fallu diguer les deux grands.ravins, et faire
refluer les eaux du Bahr-Yousef vers le milieu de la province : alors le lac, cessant
de les recevoir, a dû se rétrécir dans les limites actuelles, et arriver à l’état de
dégradation où on le trouve aujourd’hui.
en détail; mais cet auteur n’est pas traduit. II est bien à
souhaiter que les savans orientalistes, M M . de Sacy et
Langlès, fassent jouir enfin le public de l’ouvrage de
M aqryzy, le plus exact et le plus judicieux des auteurs
Arabes qui ont écrit sur ce pays.
(1) Mariana, Histoire d’Espagne, t. V , l. X X V I I .
(2) C ’est le même qui a fait exécuter le grand pont
près de Q e ly o u b , et d’autres ouvrages du même
genre.
(3) lÈ p % l’ouvrage de Pierre Martyr , intitulé D e
rébus oceanicis et de Babylonien Iegatione ; Colonise, 1573;
t. I I I y p. 44 ° (*)•
(4) Mémoires de l’A cadémie des inscriptions, t. X V I .
(5) Mémoire de M. Fourier sur le gouvernement des
Mamlouks.
(*) Pierre Martyr fut envoyé au Kaire par Ferdinand et Isabelle, pour
apaiser le sultan, irrité de ce que Ferdinand avoit expulsé les Maures de
Grenade, et pour empêcher qu’on ne chassât les Chrétiens de l’O rient;
mission délicate, qu’il remplit avec succès. Il a laissé par écrit les mémoires
de son ambassade, avec l’histoire d e là guerre de Grenade, et
celle de la découverte du nouveau monde et des Indes,
VI.
VI. S i ce L ac a été creusé de main d’homme.
O n a vu, par tout ce qui précédé, que le Birket-Qeroun convient avec le
Moeris, pour les conditions géographiques, et quil avoit pu remplir les autres
conditions rapportées par les anciens. II faut maintenant examiner ce qui a pu
donner lieu à 1 opinion qu’il étoit creusé de main d’homme. Voici ce qu’en dit
Hérodote . « Ce lac a cinquante orgyies de profondeur [ environ quatre-vingt
d o u z e mètres et demi, ou deux cent quatre-vingt-cinq pieds] (i) à l’endroit où
» il est le plus profond; on l’a creusé de main d’homme, et lui-même en fournit
v la preuve. On voit en effet, presque au milieu du la c , deux pyramides, qui
» ont chacune cinquante orgyies de hauteur au-dessus de l’eau, et autant en-
» dessous (2). »
Dioclore dit que « Myris creusa un lac pour lecoulement des eaux superflues :
» sa profondeur, dans les endroits les plus creux, est de cinquante orgyies ; on
» commença à le creuser à dix schoenes au-dessus de Memphis (3). »
Pline dit aussi, comme on l’a vu , qu’il fut fait de main d’homme, et qu’il
porte le nom du roi Moeris, qui l’avoit fait faire (4 ).
Selon Pomponius Mêla, il étoit assez profond pour recevoir de grands vaisseaux
chargés. Strabon se contente de dire qu’il portoit le nom de Moeris, mais
n’ajoute pas qu’il ait été creusé (y).
. ' Ptolémée ne s’en explique pas non plus, ni les autres écrivains.
Presque tous les modernes qui ont parlé de ce lac, ont répété qu’il étoit l’ouvrage
des hommes : mais on n’a pas fait assez d’attention à lenormité d’un pareil
travail, et 1 on a trouve plus court et plus facile de l’admirer, que d’en expliquer la
possibilité. Il auroit fallu, dans le calcul le plus modéré, enlever plus de trois
.cent vingt milliards de mètres cubes, à ne supposer qu’un circuit de trois mille
six cents petits stades, et cinquante orgyies de profondeur; et si l’on suppose.de
grands stades ou stades Olympiques, ce seroit plus de onze cents milliards de
métrés cubes. On.peut calculer la quantité prodigieuse d’hommes, de temps et
dargent qu’eût exigée cet ouvrage, qui est indépendant de celui du canal de communication
(6). Il y a donc lieu de croire que ce n’étoit qu’une opinion populaire
qu’Hérodote rapportoit sur la bonne foi de ses guides. Il est vraisemblable que le
roi Moeris a profité de la disposition du terrain, et que son travail s’est réduit à
( 1 ) Voyej le Mém o ire sur le système métrique i ? c .
(2) Herod.7. i r , c . iqy. ( V o y e z infià, p. n o. )
(3) D io d -1. I . (V o y e z in fià , p. n i . )
(4) Plin. /. v , c . y. (V o y e z in f ià , p. 114. )
(5) Pomponius M ê la , l . i t c. y . Strab. I. x v i l . (Voy.
infià, p. 114. et p. 112..)
(6) II eût fallu, dans le premier cas, le travail de trois
cent mille hommes pendant sept cent quarante ans environ
, en estimant le travail d’un homme à quatre mètres
cubes ou une demi-toise par jour; et dans le second, celui
d ’un million d’hommes pendant sept cent soixante ans,
c’est-à-dire, cent vingt-sept fois autant d’ouvrage qu’à la
A .
construction de la grande pyramide. Si l’on suppose que
Moeris ait fait exécuter ce travail pendant quarante ans de
son règne, il auroit fallu occuper continuellement dix-neuf
millions d’hommes. Quant à la dépense, on peut l’évaluer
en partie d’après celle de la pyramide,qu’Hérodote et Pline
portent à seize cents talens d’argent, rien qu’en légumes,
pour la nourriture des ouvriers; mais le premier observe
que ce n’est qu’une foible portion de la vraie dépense : en
la portant à six fois autant, on en cpncluroit que Moeris
eût dû employer une somme de plus de neuf cents milliards
de notre monnoie, en fixant le talent, comme Pauc-
ton, à 7500 livres tournois. ( Métrologie de Paucton.)
H . N