Euphorion, dans son livre des Poètes lyriques (i), attribuoit à Mercure l’invention
de la flûte simple à un seul tuyau ; et d'autres en ont fait honneur à Seuth
et Ronax, Mèdes. Peut-être le nom de Seuth est-il le même que celui de Thettt,
que Platon donne à Mercure ; peut-être aussi n’est-ce qu’une épithète par laquelle
on désigna le premier homme de génie qui inventa l’usage de la flûte, ou l’art d’en
jouer , ainsi qu’on désigna par cette même épithète le premier qui fixa l’art du
langage et celui de l’écriture.
Juba (2), au quatrième livre de son Histoire théâtrale, nous apprend que le
monaule, ou flûte à un seul tuyau, fut inventé par Osiris, de même que la flûte
photinx (3). Mais, outre qu’il est peu vraisemblable que le même homme ait pu
etre 1 inventeur de deux espèces de flûtes aussi différentes, à cause de la longue
experience, de lart et de la perfection dans la pratique que suppose la seconde,
tout fait croire que la flûte simple fut même de beaucoup antérieure à l’existence
d’Osiris; d’ailleurs les sentimens sont partagés à l’égard de l’espèce de flûte dont
ce roi d’Égypte fin l’inventeur. Pollux (4 ) dit que celle qu’Osiris inventa étoit de
paille d’orge; et Solin parle d’une flûte Égyptienne faite de roseau, dont Eustathe
rapporte l ’invention à ce même Osiris.
Par monaule ou flûte simple à un seul tuyau, Euphorion et Juba ont sans
doute voulu désigner la flûte sans trous pour la doigter, c’est-à-dire, celle dont
on se servoit seulement pour avertir ou appeler, ainsi qu’on l’a fait d’abord, suivant
ce que nous rapporte Apulée (y).
Cependant Homère (6) sembleroit nous faire entendre que Mercure inventa
aussi 1 art de jouer de la flûte : mais il est probable qu’il n’a voulu parler que de
l’art de produire avec cet instrument un son agréable, qui se fàisoit entendre
de loin ; cest même le seul sens que l’on puisse donner aux vers où ce poëte
fait mention de la flûte inventée par Mercure.
Cette flûte simple et à un seul tuyau fut vraisemblablement celle qu’on nomma
lotus ou lotos (7), du nom de l’arbuste dont on la forma. On lui donna aussi le
nom de flûte Libyque (8).
Suivant Duris, dans son Histoire des actions d ’Agathocle (9) ,.ce fut un certain
Seirites, Libyen nomade, qui en fut l’inventeur, et qui le premier accompagna
avec cet instrument le chant d’un hymne à Cérès. Il étoit de la nation des Syrtes
dans la Cyrenaïque, pays où croissoient les plus beaux lotus, et par conséquent
ceux qu on preféroit pour faire des flûtes. Ce pays en produisoit même en si
grande abondance et d’une si bonne qualité, que les habitans en faisoient presque
leur unique nourriture ; ce qui les avoit fait appeler Lotophages, c’e st-à -dire ,
mangeurs de lotus (10).
( 1 ) Axh tn .D e ip n o s . lib . l v , cap . 2 5 , pag. 84. H e r a c lii. v . 892. P iin . H i s t . m l . lib . X I I I ," c a p . i 7 .
(2 ) J d .ib id . c a p .2 3 ,pag. 1 7 5 ; « E u s t a th e sur l’ I l ia d e , E u stath. ad I lia d . lib. X V I I I , v. ; z 6.
lib . X V I I I , v. p . 6 , pag. „ ¡ y . .(8) E u rip id . lphigen. in A u lid . v . 1 0 3 6 ; Traad.
(3) G ru te r rapporte ces d eu x espèces d e f lû t e s ,37/, 2 7 . v . 543 et seqq.
(4) Onomast. lib . i v , cap. 1 0 , de specieb. org. - (9) A th en . Deipnos. lib . X IV , cap . 3 , pag. 6 18.
{>) A p u I .-Flor. Iib .-I. . (10) S t ra b . Geogr. lib . X V I I , p. 969. P iin . [ l i n . m l .
(6) Hÿm n. in H e n n . v . -588 et seq q. lib . V , cap . 3 , pa g. 6 7 . I I croissoit aussi en. É g yp te u n e
(7) E u ripid. B a c choe , v . 135 , 160 e t seq q , e t 3 7 9 ; plante d e c e n om , d o n t les É g yp tien s .faisoient d u pain
Dans la suite, on fit des flûtes courbes ou recourbées, en bois de lotus, suivant
ce que nous apprend Ovide (i). Toutefois il ne nous paroît pas vraisemblable
quelles fussent entièrement de ce bois, qui, étant sec, devoit plier difficilement.
La partie courbe de cette espèce de flûte étoit sans doute formée d’un
bout de corne de vache, ainsi que l’étoit celle des autres flûtes en bois de même
forme, et, c’est pourquoi les poètes les ont ordinairement désignées par l’épi-
thète Sadunco cornu (2).
On composa aussi des flûtes lotines, ou de lotus, de deux tuyaux, auxquelles on
donna en Egypte le nom de photinx, et que les Grecs ont désignées par le mot
7rAa.3fci.uA05 pplagiaulosJ, et les Latins par celui de obliqua.
Cependant toutes les espèces de photinx ou de flûtes doubles ne furent pas
obliques ; il y en eut de formées de deux tuyaux attachés l’un près de l’autre ,
semblables à celles qui sont encore aujourd’hui en usage en Égypte, et qui sont
connues sous le nom Sarghoul J y L y l .
Les flûtes photinx devinrent jadis fort en usage parmi les Alexandrins, qui
acquirent une très-grande célébrité dans l’art d’en jouer. On réunissoit quelquefois
le monaule et le photinx dans les festins ; on s’en servoit encore pour
accompagner la danse et les autres plaisirs. Mais ce n’est pas ici le lieu de parler
de tous les divers usages auxquels on fit servir ces instrumens : il nous suffît de
savoir, en ce moment, qu’il y eut deux espèces de flûtes Égyptiennes faites de bois
de lotus; l’une qui, sans doute, fut la plus anciennement connue, et que les
Grecs nommèrent lotos monaulos, laquelle consistoit en un seul tuyau droit; l’autre
connue sous le nom de lotos photinx, qui étoit double et recourbée, et c’est
vraisemblablement cette dernière qu’Apulée a décrite comme un instrument Égyptien
propre aux prêtres de Sérapis (3).
A R T I C L E I I I .
Du Nom , en langue Egyptienne, de la Flûte droite ; de son effet et de son
usagOe.
E u s ta th e (4 ) parle d’un instrument à vent appelé en égyptien %*»« [chinouê] : il
le désigne comme une trompette recourbée, et en attribue l’invention à Osiris
(y). La description qu’il fait de cet instrument lui donne une telle analogie
avec la flûte courbe des prêtres de Sérapis, dont parle Apulée (6), et avec celle
qu’Athénée (7) nomme photinx, dont Juba attribue l’invention à Osiris, que
Jablonski a pensé que ce pouvoit bien être une seule et même espèce d’instrument
qui avoit été en usage pour convoquer les Égyptiens dans les cérémonies
qu’ ils mangeoient. Herodot, Hist. lib. i l . Diod. Sic. (3) Apul. Metamorph. lib. XI.
Biblioth. hist. lib. I ,c a p . 34, pag. 99. Ils attribuoient à (4) In Iliad. lib. x v m , v. 495j pag. 1139.
Isis l’invention de cette nourriture. Id. cap, dfj, pag. rj/f., (5) Id. ad v. 526 ejusd. lib. Iliad. pag. 1157.
( i) Ovid. Fast. lib. IV, v. 18 9, 190. (6) Metamorph. lib. I l , pag. 371..
C2) Id. ibid. v. 181 et 189. Id. de Ponto, lib. I , ep. 1 , (7) Deipnos. lib .'IV. cap. 2 3 , pag. 175.
v. 39. Stat. Thebtüd. lib. VI, v. 131,