voyagé dans ce pays. Le théoièiijji ¿{u’on lui atribue généralement et qui lui fit
le plus d’honneur, est celui par lequel on trouve la quadrature des lunules ou
portions de cercle appuyées sur les côtés d’un triangle rectangle, proposition qui
dérive de celle du carré de l’hypoténuse.
Démocrite, à qui, si l’on en croit les historiens, l’on fut redevable d’importantes
découvertes en géométrie, voyagea cinq ans en Egypte : on a à regretter,
avec la perte de ses traites de géométrie, des ouvrages qu’il avoit composés sur
les hiéroglyphes ; il avoit écrit sur les lignes incommensurables, sur la surface
et sur le volume des solides. On sait qu’Euclide alla aussi en Egypte, et qu’il y
trouva un prince curieux d’approfondir les notions géométriques, mais qui, en
trouvant l’étude trop pénible et ayant demandé au. géomètre une méthode plus
facile, reçut cette réponse si connue : que dans l'étude des mathématiques il n’y
a pas de chemin particulier pour les rois. Archimède lui-même, le plus grand
homme de l’antiquité dans les sciences, crut devoir visiter l’Egypte, toute déchue
qu’elle étoit de son ancienne splendeur. Sans doute on doit à son génie la plupart
des belles découvertes qu’il nous a laissées ; mais on ne peut douter qu’il
n’ait tiré quelque fruit de son voyage. Tant d’habiles hommes seroient-ils allés* en
Egypte pendant cinq siècles de suite, s’ils rffeussent eu l’espérance d’y trouver des
mémoires sur les sciences exactes, ou des hommes instruits des anciennes traditions
scientifiques ! et si les découvertes qu’on attribue aux premiers philosophes
Grecs leur appartenoient réellement, si les notions des Égyptiens n’eussent été
que des élémens grossiers perfectionnés paries Grecs, pense-t-on que, deux à trois
siècles après Pythagore et Thalès, on eût vu leurs successeurs et des hommes tels
que Démocrite, Eudoxe, Platon, Euclide, Archimède, aller tour à tour étudier
l’Egypte! L ’école de Milet ne leur auroit-elle pas fourni plus de lumières, sans qu’il
fût besoin d’entreprendre de longs et de pénibles voyages ! On ne pourra donc plus
désormais regarder les Grecs comme les fondateurs de la géométrie ; il faudra
aussi rejeter des traditions obscures, telles que celle qui attribuoit la découverte des
propriétés du triangle au Phrygien Euphorbe (i), antérieur à la construction du
temple d’Éphèse.
Il est temps de terminer cet aperçu succinct de l’origine de la géométrie,
et de chercher dans les monumens des faits qui viennent à l’appui de l’histoire.
Que de travail et de fatigue l’on s’épargneroit sans doute, si l’on pouvoit lire
les manuscrits Égyptiens, les inscriptions hiéroglyphiques! On y trouveroit probablement
l’exposé des connoissances géométriques de leurs auteurs, et l’on n’auroit
pas à errer dans un champ de conjectures. Toutefois, le voile que les prêtres
de l’Egypte ont étendu comme à dessein sur leurs sciences, peut en partie être
soulevé, si l’on médite profondément les ouvrages qu’ils ont laissés à la surface
du pays. Des proportions qui brillent dans ces monumens, on peut conclure
les règles suivant lesquelles on les a élevés; et, puisqu’ils sont le fruit de la
science Egyptienne, iis doivent en renfenner les élémens, et il ne cjoit pas être
impossible dy découvrir ces derniers.
( i) Diogen. Laërt. in Vit. Thaï. lib. i.
Dans divers mémoires sur les somptueux édifices de la haute Egypte, j’ai fait
remarquer dans les proportions et les mesures la symétrie exacte et la régularité
qui ont présidé à la construction de ces ouvrages ; et le chapitre iv de ce mémoire,
sur-tout, a offert un grand nombre 'd’exemples de ces proportions parfaitement
régulières. C ’étoit peut-être dans ce balancement harmonieux de toutes les parties,
et non dans leur grandeür absolue, que résidoit le principal mérite de cette architecture,
qui n’étoit pas dépourvue, autant qu’on le croit, de grâce ou d’élégance;
et l’on ne peut refuser ce mérite aux Égyptiens, quoiqu’on ait dit avec plus d’esprit
que de justesse, qu’ils aVoient sacrifié à tous lès dieux, excepté aux Grâces. Comment
croire que les immenses lignes de ces bâtimens gigantesques eussent pu être
établies dans les projets des 'architectes, et tracées sur les plans* et sur le terrain,
sans les élémens de géométrie ou sans l’usage du compas, comme on l’a soutenu,
enfin sans les moyens de l’art dont nous-mêmes faisons usage ! Il leur falloit
d’ailleurs des moyens particuliers, appropriés à la dimension extraordinaire des
matériaux.
Les pylônes, ces vastes portails qui précédoient les temples et les palais, avoient
leurs façades inclinées! Ces deux massifs, d’une hauteur prodigieuse, comprennent
entre eux une porte qui a ses montans verticaux. Si les lignes inclinées qui les
terminent eussent tombé tant soit peu en dedans de la porte, il en seroit résulté
un porte-à-faux dont l’oeil eût été choqué, et qui auroit nui à la solidité apparente
de l’édifice. Les constructeurs ont évité avec soin cette faute : ils n’avoient
garde de blesser, même en apparence, les règles de la solidité. ■ En effet, les
grandes lignes des pylônes, étant prolongées, viennent toujours aboutir exactement
à la naissance des montans de la porte, et, après tant de siècles, rien n’a
changé dans cette direction précise, là où les portes et les pylônes sont restés
intacts. Il est évident que l’exécution de ces ouvrages demandoit au moins des
connoissances élémentaires en géométrie et d’excellentes méthodes pratiques, sans
parler de la perfection de leurs moyens mécaniques (i).
C’est un fait constaté par l’accord des auteurs, que le projet de faire communiquer
les deux mers qui baignent l’Egypte, fut différé, chez les anciens Égyptiens,
dans la crainte qu’on avoit d’inonder le pays, les eaux de la mer Rouge étant plus
élevées que le sol. Cette connoissance du niveau supérieur de la mer Rougë fait
honneur aux anciens, si on ne leur suppose pas d’instrumens comme les nôtres;
et si on leur en suppose d’analogues, c’est admettre encore quelque avancement
dans les moyens d’obsérvation : mais, outre qu’ils savoient l’existence de la différence
de niveau, ils en connoissoient encore la quantité. En effet, ce n’étoit pas
seulement une conjecture, une opinion probable ; Pline s’explique de manière à
faire voir qu’il fut fait une opération, une mesure précise : Ultra deterruit inun-
dationis metus, excelsiore tribus cubitis Rubro mari comperto quàrn terrâ Ægypti (2).
On peut être curieux d’apprécier l’exactitude de ce résultat.
Les trois coudées d’élévation de la mer Rouge au-dessus de la vallée d’Egypte
sont une mesure exacte; en effet, elles répondent, daprès notre évaluation de la
(1) Voyez la Description d’Edfoû, A» D . chap. V. (2) Plin. His t. nat. lib. V I , cap. 29.