dans cette supposition, je dirai encore que ce passage de l’Itinéraire a quelque
chose de fort étrange, puisqu’aucun écrivain Romain ou Grec ne place Héroo-
polis dans cette position. Au lieu d’accorder à ce passage une confiance aveugle
examinons quelles peuvent en être l’origine et la vraie valeur.
Il faut d’abord admettre, de toute nécessité, que l’Itinéraire, dont la première
origine peut être assez ancienne, a reçu, dans les âges suivans et jusque dans
le Bas-Empire, des additions nombreuses (1). Il faut admettre encore, avec
un des critiques qui ont Je mieux connu ce monument, qu’à cette époque où
le christianisme commençoit à se répandre dans tout l’Empire et dominoit
depuis long-temps en Egypte, plusieurs additions relatives à cette province ont
ete faites d après l’autorité des livres et des traditions Judaïques (2), très-révérés
chez les Egyptiens.
A la seule inspection de cette route de Babylone à Clysma et à Péluse, on peut
de,a reconnoître cette influence des autorités Judaïques; et ce n’est pas la seule
chose singulière.
Lorsque l’on jette les yeux sur une carte de l’isthme, n’est-on pas surpris que
dans Itinéraire les deux routes qui conduisoient de Babylone à Clysma sur la
mer Rouge et à Péluse sur la Méditerranée, se trouvent les mêmes, à la dernière
distance près .' N est-il pas visible qu’à défaut de renseignemens sur la véritable
route, on a voulu au moins rattacher Clysma à une de celles qui étoient connues
sans se mettre en peine si l’on doubloit ainsi le chemin strictement nécessaire
(3) ! L inconséquence devient pourtant bien frappante, quand on place
- comme d Anville, Clysma à l’une des embouchures de la vallée de l’Égarement et
Babylone à l’autre. *
Mais comment l’Itinéraire fait-il mention d’Héroopolis à une époque où
Clysma etoit déjà devenue la principale ville du golfe | Quiconque a examiné
avec quelque suite l’histoire du commerce, sait qu’Arsinoé étoit encore florissante,
et Clysma un simple château [xiçpot], qu’Héroopolis n’existoit déjà plus
encore bien que le golfe eût retenu le nom d’Héroopolitique : à plus forte raison
nen devoit-ii pas être mention à une époque où Arsinoé , déjà oubliée, se
trouvent remplacée par Clysma. Aussi l’on chercheroit vainement Héroopolis
dans les Tables de Peutinger, aussi anciennes, pour le moins, que l’Itinéraire,,
ou bien dans la Notice du grammairien Hiéroclès, qui ne lui est postérieure que
de très-peu. 1
Toutes ces raisons confirment que, s’il est vraiment question d’Héroopolis,
( i) L ’Itinéraire Romain es t, sans contredit, l’un des
monumens les plusimportans pour l’ancienne géographie;
mais ni l’auteur ni la date n’en sont bien connus. I l a été
attribué tantôt à l’empereur Antonin , à cause du nom
qu il porte; tantôt a Jules-César, dont le nom s’est trouvé
aussi en tête de quelques manuscrits: mais on croira aisément
que Jules-César n’eût point parlé des routes de
1 Egypte, qui, de son temps, n’étoit pas réunie à l’empire
R oma in; il n eut pas fait mention sur-tout des villes de
Trajanopolis, d Arsinoét à'Hadrianopolisj & c . C e n’est
pas davantage l’empereur Antonin qui auroit tracé les.
Itinéraires de Diocletianopolis, de Constantinople, et de
tant d’autres villes qui ne furent bâties que long-temps
après lui.
(2) Histoire des grands chemins de l’empire Romain,
par Bergier.
(3) II faut encore faire attention que la route directe
indépendamment de sa brièveté, étoit encore la plus
belle et la plus constamment praticable.
sa position a été admise dans l’Itinéraire, non sur des observations directes
»aïs-d’après des autorités qu’il nous sera facile d’examiner; car elles se réduisent
à deux, toutes deux venant d’écrivains Juifs.
I. Flavius Josephe , dans ses Antiquités Judaïques (.), rapporte qu’à l’arrivée
de Jacob en Egypte, le patriarche Joseph étant parti de Memphis, vint à sa rencontre
dans Héroopolis ; ce qui suppose effectivement, comme dans l’Itinéraire,
que cette ville étoit sur la route de Babylone à Péluse. Mais où Flavius
Josephe avoit-il puisé ces renseignemens sur un fait passé il y avoit déjà deux
mille ansI C e ne pouvoir être que dans la Genèse. En effet, son passage est touta
fait conforme a la version des Septante ; mais cette version renferme ici une
erreur bien singulière.
II. On sait qu’en général les Juifs qui ont écrit en grec, et en particulier ceux
qu, ont fait la version de la Bible, étoient fort ignorans en géographie; les plus
habiles commentateurs de l’ancien Testament, divisés d’opinions sur tant'de
points se trouvent au moins réunis sur celui-ci (2). L ’un des plus savans Pèrei
de 1 Eglise, S. Jerome, bien supérieur à tous égards aux écrivains Hébreux, et qui
a en juger par divers renseignemens très-justes épars dans ses écrits, »voit de¡
connoissances particulières sur ce lo cal, a relevé le premier la méprise des Septante,
dont Origène, si prévenu en faveur de la version Grecque, ne s’étoit pas
aperçu. Il nest point du tout question dans l’hébreu, dit S. Jérôme, d’Héroo-
polis ni de Ramessès, mais seulement de la terre de Gossen (ou Gessén) ln le-
broeo nec urbem, habet Heroum, nec terrant Ratnesses., sed tantummodo G o J n .
Ainsi il est indispensable de recourir au texte Hébreu. On y verra que le mot
traduit par Heroon ou Héroopolis chez les Septante n’est pas même un nom de
ville, mais un verbe qui, en hébreu, signifie annoncer [ le-horoth, m in 1? , qu’on
■explique ainsi, ad proeparandum, ou ut nunciaretj. Il n’y a là-dessus qu’une seule
opinion chez les interprètes-; et voilà pourquoi la Vulgate, qui a été faite sur
ihebreu, ne parle point du tout d’Héroopolis, et. rend ce verset de cette
maniéré :
Misée àutem Judam ante se ad Joseph, ut mndaret et et oemneret lu Gessen.
« II en v o y a J u d a en a v an t v e r s J o s e p h , afin d e lu i an n o n c e r ( so n a r r iv é e ) , e t q u ’il v in t h sa
33 r en c o n tre d an s la ter re d e G e s s e n . » 4 l i a s a
Il est étrange sans doute que la consonance de ce mot horoth avec celui
d hcroon ait pu en imposer à tant d’hommes versés également dans les langues
Grecque et Hébraïque, et que soixante-dix rabbins se soient trouvés d’accord
pour faire une telle méprisé ; mais le fait est bien constaté.
1 hebaide « o n dans la terre de Gessen. Nonnulll