Nil g ! lac, et en cela il est conforme à Strabon et à Diodore : il ne donne pas au
tout le nom de lac Moeris, comme le dit son savant traducteur (1), et la description
du lac est presque achevée quand il parle du canal de communication (2) ; il
ïi est donc pas exact d avancer « qu’Hérodote ne dit que deux mots du lac proie
prement dit, et qu il- s étend sur la partie creusée de main d’homme, le canal. »
Quant à Gibert, il faut convenir que son hypothèse, neuve et hardie, étoit
bien supérieure à tout ce qu’on avoit dit jusqu’alors sur le même sujet. Il faut aussi
ajouter, à l’honneur de cet académicien, qu’il avoit parfaitement senti l’insuffisance
et l’inexactitude de l’opinion de d’Anville.
C e t illustre géographe a été entraîné par quelques circonstances que les relations
du P. Sicard et de Granger lui ont présentées. Le premier a indiqué le lac
de Mceris dans une lagune ou bas-fond qu il appelle Bathen, et qui se trouve entre
■ le Nil et le Bahr-Yousef (3). Granger le place dans une fosse qui partoit, selon lui,
de Cynopolis, et finissoit à Héracléopolis, et lui donne vingt-cinq lieues de long
sur une de large, avec plusieurs écluses qui servoient à donner de l’eau au canal de
Joseph et aux terres voisines (4 ). Il ne parle pas de l’état actuel de cette prétendue
fosse, et ne lui donne pas le nom de Bathen; ce qui me fait croire qu’il n’avoit pas
même été sur les lieux, et qu’il n’en parle que d’après le P. Sicard. Au reste, ce
voyagéur se contredit plusieurs fois dans ce qu’il dit sur le Birket-Qeroun, qu’il
appelle lac de Mendès, quoique Strabon, ni Ptolémée, ni aucun géographe,“ne
parlent d’un lac de ce nom.
D Anville se servit de ces deux relations pour autoriser son hypothèse : quoiqu’elle
ait été combattue par Gibert (y), par M. de Pauw (6) et par d’autres, je
vais 1 examiner de nouveau, parce que l’autorité de d’Anville est d’un grand poids,
et qu’elle a déterminé plusieurs personnes, entre autres M. de Lalande , qui a écrit
dans 1 Encyclopédie 1 article Canaux de l ’antiquité (7), et qui a rappelé cette opinion
dans son ouvrage sur les Canaux de navigation (8).
1 .° « Le P. Sicard, dit-il, a montré le Moeris dans la trace d’une lagune qu’on
» nomme Bathen, qui signifie en arabe ce que B«.0oç signifie en grec (9). »
Bâtit, (et non bathen, qui ne se trouve pas dans les dictionnaires) signifie
intérieur; /3i 0o? veut dire profond: quel rapport y a-t-il entre ces deux significations!
et quand il y en auroit un, que pourroit-on en conclure en faveur du Bathen !
2 ° « Son étendue est du nord au sud. » Mais cela lui est commun avec le
Bahr-Yousef et beaucoup.de canaux.
3.° ce La longueur du canal de communication entre son ouverture dans le Nil
» et son entrée dans le Bathen près de Tahâ, est la même que celle du canal par
» lequel le Moeris recevoit le Nil, suivant Diodore. » .
Nous avons vu que cette longueur étoit de quatre-vingts stades : or il n’y en a
que vingt-quatre entre Tahâ el-A’moudeyn et le Nil. A Tahâ, l’on voit en effet
( .) Traduct. d’Hérod. .786 J . u , n o n 482. . _ (6) M . de Pauw, Recherches philosophiques sur les
(2) Herod. /. / / , c. 14g. (V o y e z in frà , p . n o .) Egyptiens, &c.
(3) Mémoires des missions dans le Levant. (7) Encyclopédie méthodique.
/ \ 3ee CIj ,y^te‘ (8) Canaux de navigation, art. 80r.
( j) Mémoires de lA ca d . des inscript, t. X X V I I I . (9) D ’A n ville , Mémoires sur l’Égypte,/*, f i
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un canal assez large; il se continue parallèlement au Nil, mais se perd à quelque
distance. Il y a encore d’autres canaux, de là jusqu’au Fayoum ; mais ces diverses
émanons sont a sec dans 1 été, et ne peuvent répondre à la recherche d’un lac
unique et continu : s’il y a en effet dans cette partie de la vallée un bas-fond qui
ait donne au P. Sicard 1 idée d’une lagune de vingt .lieues de longueur, il doit très-
probablement sa formation à l’affluence des eaux du fleuve, d’une part, et aux eaux
du canal de Joseph, de l’autre : on sait que les rives du Nil et celles des canaux
sont plus elevees que les terrains qui en sont éloignés (i).
( i) T e lle est l’idée que j’nvois conçue du Bathen, avant
d’avoir été sur les lieux; depuis, j’ai eu occasion de parcourir
pas à pas cette partie de la vallée, en levant la
carte géométrique du pays, dans un espace de vingt-
cinq lieues de longueur. C e voyage a pleinement confirmé
mes idées. Bâtin n’est pas un nom qui appartienne
à tel lieu ,à tel canal déterminé; c’est un nom générique,
donné par les habitans de l'Egypte moyenne aux bas-
fonds qui occupent le milieu de la vallée (plus large dans
cette région du Sa’yd que dans aucune au tre ), et qui résultent
naturellement de l’exhaussement des bords du
N il et des canaux. On dit un bâtin et plusieurs bâtin
[ el-bâtin, el-baouâtenJ ; ce mot Arabe, qui signifie intérieur,
est parfaitement bien appliqué aux bas-fonds dont je
parle, puisqu’ils forment la partie la plus basse et la plus
intérieure du pays : ils conservent de l’eau presque toute
l ’année, et ils offrent, par endroits, l’aspect d’un canal
continu; ce qui aura trompé le P. Sica rd , qui paroît en
avoir vu à Tahâ une large branche, connue sous le nom
d’ed-Dafa’. La largeur de ces bâtin varie extrêmement
d’un temps à l’autre, ainsi qu’on doit le concevoir- et
dans un même temps, cette largeur n’est pas moins variable
suivant les lieux etsuivantles accidens du terrain. En février
18 0 1 ,1a branche principale avoit tantôt cinquante mètres
de largeur, tantôt cent et beaucoup plus. Sa profondeur
alloit d’un à trois pieds,; ce qui est presque insensible sur
une telle largeur. Enfin rien n’est plus variable que la
direction de ces bas-fonds, qui suivent mille contours;
ce ne sont en effet, que les traces des courans qui sillonnent
la vallée pendant le débordement.
Il est donc manifeste qu’il n’y a jamais eu là de canal
ni de lac creusé par les anciens, ni aucun travail de cette
espèce; il ne s’y voit d’autre ouvrage que celui même
qu’opèrent les eaux de l’inondation : au reste, on ne con-
n o ît, dans tout ce cours d’e au x, aucune trace d'écluses
ou autres constructions pareilles , quoi qu’en aient dit
Granger et quelques autres. J’entrerai dans plus de détails
dans un autre Mémoire qui traitera du canal de Joseph
et de tout le territoire de I’Heptanomide; ic i je me bornerai
à quelques observations.
Bien que 1 Egypte soit une plaine fort é g a le , on en
auroit une fausse id ée, si l’on croyoit que cette p lan e est
par-tout de niveau. L a masse des eaux de l’inondation
exerce sur le sol une pression variable, qui dépend des
accidens du terrain , et elles y causent des changemens
annuels : ici elles creusent la vallée, là elles l’exhaussent
suivant qu’elles ont plus de courant et qu’elles sont moins
chargées de limon,ou bien, qu’avec un courant moindre
elles sont au contraire plus limoneuses. II se fait ainsi,
çà et là , de petites dépressions ou de petites élévations
A . '
de quelques pieds; et quand une autre inondation répand
de nouvelles eaux, elles suivent la pente qui résulte de
ces mouvemens du terrain. D e là , de petits canaux irréguliers
, qui s’élargissent ou se comblent d’une année à
I autre, ou qui se modifient d’une manière absolument
nouvelle; a quoi il faut ajouter les changemens qu’introduisent
la culture et le travail des digues et autres barrières
artificielles que l’on oppose à l’inondation. O n voit assez
par là de quelle réserve il faudroit user, si Ton vouloir
estimer par les dépôts de limon l’exhaussement annuel
ou séculaire de l’Egypte, e t, par suite, l’époque des monu-
mens enfouis sous le sol. En effet, dans une seule année,
le fleuve détruit souvent l’ouvrage de plusieurs j il entraîne
des portions de terre considérables : il arrive même’ que
des villages perdent leur territoire entier. Il y a des parties
de la vallée actuellement plus basses qu’elles ne
l etoientil y a plusieurs siècles, et d’autres qui sont plus
élevées qu’elles n’auroient pu l’ctre par le dépôt tranquille
du limon pendant quelques siècles de plus. Ces sortes de
calculs ne peuvent s’établir qu’en admettant deux principes
: 1 un, qu’il faut prendre pour terme de comparaison
des époques très-distantes ; l’autre, que l’intervalle de
temps écoulé, déduit de l’exhaussement moyen et de
^exhaussement d’un lieu donné, n’ est pas autre chose
qu’un minimum.
A ces observations générales, j’ajouterai quelques détails
plus particuliers à l’E gypte moyenne.
A quatre mille mètres au-dessous de M e y la o u y , sort
du fleuve un canal appelé Tera’t el-Sebakh .- son nom lui
vient des décombres tirés d'Hermopolis magna, et qu’on
y charie en barque pour les répandre comme engrais sur
les terres. C e canal, aujourd’hui large de cent mètres,
mais à peine profond de quelques pieds, n’existoit pas
il y a quatre-vingts ans; c’étoit alors un terrain bas formé
par l’exhaussement des berges du N il : son surnom el~
Ghouetah 'confirme la tradition que son emplacement
etoit jadis un bas-fonds humide. ( est traduit dans
les dictionnaires par ces mots, terra cava, depressiorque
terra mollior.) Les bestiaux alloient y paître dans le temps
des basses eaux. Peu à peu, ce bas-fonds a été fouillé et
approfondi par les débordemens, et il est devenu, dans les
hautes et moyennes eaux, un véritable canal; mais-il est
à sec dans le bas N il, ou bien il ne forme qu’un cours d’eau
vague et très-inégal. Près du village d’E chment, il communique
avec le Bahr-Yousef, et il forme ensuite plusieurs
ramifications q u i, aux environs de Minyeh, prennent le
nom de bâtin. E n fin , suivant les localités, il prend diverses
dénominations, occupant ainsi le milieu de la vallée jusqu’aux
approches du Fayoum.
Je renvoie à tin autre Mémoire de plus grands détails,
O