
N O T I C E S U R L E S E J O U R
découvrir entre eux la plus grande ressemblance, et leurs mouvemensréguliers, qui
dévoilent leurs positions à venir, paraissent bientôt le résultat d’une volonté
supérieure et constante.
Les dieux que 1 homme se créa en fixant les yeux sur la terre, furent donc
bons ou mechans, aimables ou tristes, mais toujours nombreux, et bornés dans
leur pouvoir. En élevant ses regards vers le ciel, il conçut un seul Dieu, infini
en force et en sagesse ; pensée sublime, qui, plaçant tous les hommes à la même
distance de 1 Etre suprême, rend l’esclave libre au milieu des fers, lorsque la
superstition et le despotisme n’ont point encore assez avili son ame pour lui faire
voir dans ceux qui se disent ses maîtres, l’image de la Divinité.
Abram, Abraham ou Ibrâhym, comme on voudra l’appeler, paraît être celui
qui proclama avec le plus de zèle chez les Arabes et les Syriens l’existence d’un
Dieu unique, dont il substitua le culte à celui des corps célestes (i). Une gloire
immortelle a été la récompense de ce bienfait; et lorsque les Attila, les Gengis-
kan, et tous ces rois qui ont cru remplir l’univers de leurs noms, sont à peine
aujourdhui connus de quelques personnes, un simple pasteur du désert est,
malgré les siècles qui ont passé sur sa cendre, vénéré chez presque tous les peuples
de la terre : l’enfant qui commence à lire; bégaye déjà son nom ; le Chrétien, le
Juif, le Musulman, nomment le Dieu qu’ils adorent, le Dieu d'Abraham.
Des savans distingués croient, il est vrai, que la plupart des personnages célèbres
des temps héroïques, les Alcide, les Jason, et jusqu’à Abraham, Moïse et Jésus-
Christ lui-même, sont des êtres allégoriques; ils ne voient dans leur histoire que
celle des corps célestes. Quelqu’ingénieuses que soient leurs hypothèses, nous
ne pouvons les admettre, parce qu’elles nous paroissent contraires à la marche de
1 esprit humain et à ce que nous voyons journellement. On a eu des légendes
avant d avoir des traités d’astronomie ; et c’est presque toujours en mémoire d’évé-
nemens passés sur la terre, que les constellations ont été et sont encore nommées.
Enfin, lorsqu on a déifié de simples mortels et couvert leurs actions du voile de
1 allégorie, si on leur a attribué des travaux qui ne pouvoient être que l’ouvrage
de la nature, c est un résultat nécessaire de la crédulité religieuse, qui amplifie toujours
les actions des hommes dont elle a fait des dieux, des santons ou des prophètes,
et qui attribue à leur pouvoir ou à leur intercession une foule d’événemens
imaginaires ou réels.
Par-tout les fables se sont mêlées à l’histoire. Le merveilleux a toujours plu aux
hommes, et les séduira encore ; nous en avons chaque jour mille exemples.
Sachons donc l’écarter avec sagesse de tout récit; mais évitons, en même temps,
de tomber dans un autre extrême, en niant trop légèrement les faits qui se
trouvent mêlés à des événemens surnaturels. Que dirions-nous de celui qui, se
refusant a croire que le Labarum ait paru dans les airs lorsque Constantin mar-
choit contre Maxence, en conclurait que ces deux princes n’ont jamais existé!
Quant a Abraham, ce qui s’oppose sur-tout à ce qu’on le regarde comme un
( i ) D éjà quelques tribus adoroient le T r è s -h a u t ; Abraham donna un éclat particulier à ce dogme, en le
témoin le peuple de Saiem ( Genèse, chap. 14). Mais débarrassant de tout cequi pouvoit en altérer la simplicité.
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être allégorique qui, clans une ancienne cosmogonie, aurait représenté quelque
qualité de la matière, ou quelque attribut de la suprême intelligence, c’est que nulle
part on n’en a fait un dieu, ni même le descendant d’aucune divinité, bien que
l’orgueil de plusieurs peuples y fût intéressé, et que l’idolâtrie, dans laquelle ils
étoient plongés, eût favorisé une semblable opinion. Le nom d’Abraham enfin
attire à la Mecque, depuis les temps les plus reculés, les peuples de l’Arabie. Le
tombeau de Mahomet à Médine n’est, pour les Mahométans eux-mêmes, qu’un
objet secondaire de pèlerinage, en comparaison de la Caaba. Ce temple, selon les
Arabes, fut le premier que les hommes élevèrent au vrai Dieu, et ils en attribuent
la fondation a Abraham et à Ismaël. Diodore de Sicile paraît en avoir eu connois-
sance, lorsqu il rapporte que, sur les bords de la mer Rouge, il existe un temple
célèbre, révéré de tous les Arabes : dyia>7nrmv 'itywntit'TîfA.d[¿evov vid Wvtov’A^î^ûjv .
7re&ri?oreey* ( i j. Mahomet, en détruisant le culte des étoiles et les idoles (2) qu’on
leur avoit élevées dans les murs sacrés de la Caaba, respecta l’ancienne tradition
relative aux deux patriarches; et le Coran, en mémoire de leurs noms antiques
et vénérés, et peut-être aussi dans la vue politique de lier par des assemblées
solennelles les nations qui sè soumettraient à l’islamisme, consacra l’antique pèlerinage
de la Mecque. Il en fit, pour tout Musulman, un devoir religieux.
Abraham est aussi regardé par les Hébreux comme le chef de leur race;.ce cpii
s’accorde avec le témoignage des Arabes, dont les Hébreux composoient, selon
nous, une des plus anciennes tribus (3). Plusieurs autres nations de l’Orient se
vantent, à la vérité, décompter Abraham parmi leurs ancêtres ; mais, loin que ce
soit une preuve que ce personnage n’a point existé, ainsi que quelques écrivains
l’ont donné àentendre, nous y voyons, au contraire, le témoignage d’une célébrité
qui ne se seroit point répandue chez tant de nations, si elle n’avoit eu un fondement
réel. Plusieurs villes se sont disputé la gloire d’avoir donné naissance à Homère :
ce poëte pour cela n’a-t-il point existé! Qui ne connoît la vanité humaine! Les
( 1 ) Bïblioth. hist. lib. n i .
( 2) La pierre noire qui est aujourd’hui enchâssée dans
le mur à un des angles de la C a ab a , est la s'eule de ces
idoles que Mahomet respecta, sans doute parce qu’elle
ne présentoit aucune image d’homme ou d’animaux,
i l est probable qu’avant l’islamisme cette pierre brute
etoit consacrée au Soleil; on sait que cet astre fut adoré
sous cette forme en Sy r ie, et que Rome v it, sous Hélio-
gabale, une simple pierre noire prendre, sur le mont
Palatin, la première place parmi les dieux de l’ Italie et
de la Grèce que représentoient les chefs-d’oeuvre de la
sculpture.
Le motif qui a pu faire adorer le plus magnifique, le
plus éclatant des astres, sous la forme la plus grossière,
sous la couleur la plus sombre, seroit curieux à rechercher.
Peut-être ces pierres étoient-elles des aérolithes :
alors on concevroit comment un globe enflammé, descendant
du ciel avec un bruit effrayant, a pu être regardé
comme une portion du soleil, et recevoir les hommages
des mortels ; de même qu’on les adresse dans
plusieurs religions aux objets les plus vils, lorsqu’on croit
qu ils ont appartenu à un dieu ou à un saint.
A .
La pierre noire de la Caaba est encore aujourd’hui
l’objet de la vénération des dévots musulmans. Les
hâggy, ou pèlerins, doivent en faire sept fois le tour ;
et ceux qui ne peuvent la baiser, tâchent au moins de la
toucher de la main. C ’est de toutes les idoles connues
la plus ancienne, et celle qui a reçu les plus constans
honneurs.
( 3 ) On voit dans la Bible que la plupart des peuples
nomades qui habitoient les déserts de la Syrie et de l’Arab
ie , avoient, par L o t , Ismaël ou Esaü, une origine commune
avec les Hébreux, ou leur étoient unis par les liens
du sang. Les bords de l’Euphrate, comme ceux du N il
et du Jourdain, voient encore de nos jours des tribus de
pasteurs, connuessouslenom générique à’A ’ rab Bedaouy,
mener exactement la vie des anciens patriarches. Les
Hébreux, pour avoir habité quelques parties de. la Chal-
dé e, n’étoient pas plus Chaldéens que les Bédouins dont
nous venons de parler, ne sont Persans, Egyptiens ou
Syriens. Peu nous importe, au surplus, de savoir si les
Hébreux descendent des A rab e s, ou les Arabes des
Hébreux; il nous suffit ,de leur reconnoître une origine
commune, des moeurs et des usages semblables.
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