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tous ceux qui parient de cet art fussent convenus ‘unanimement de regarder ces
innovations comme ayant’été faiteë' originairement en Asie ou par des Asiatiques!
Nous ne connoissôns pas d’autre moyen de résoudre toutes ces difficultés, que
celui que nous avons adopté : il concilie tous les faits et se trouve appuyé'par
les témoignages de 1 histoire, en même temps qù’il s’accorde avec la marche et
les progrès de l’art musical.
En rappelant chaque fois l’époque où les diverses espèces d’instrumens reçurent
quelque augmentation dansleurs moyens d’exécution , nous avons mis chacun à
portée de déterminer dune manière exacte et positive les temps où ils étoient
encore inconnus en Egypte, et, par conséquent, celui où commença le second état
de 1 art musical feins ce pays; celui où, à l’imitation des Asiatiques, on y abandonna
les principes de cette musique qui consistoit uniquement dans la grâce et l’énergie
de l’expression des paroles, pour se livrer davantage à l’étude de la musique
instrumentale, dont le» genre, purement factice et arbitraire, se communiqua
promptement au chant, comme on va le voir.
Phérécrate (i j, ainsi qu Aristophane (2), poètes comiques, et Platon (3) Je philosophe,
tous trois contemporains, s’accordent à attribuer toutes les innovations en
musique introduites en Grèce depuis un siècle ou deux avant eux (ce qui correspond
au temps où Cambyse conquit 1 Égypte), et les désordres qui avoient corrompu cet
art, à 1 insuffisance des nouvelles lois qui avoient été établies lorsqu’on changea l’ancien
gouvernement d institution Égyptienne, lequel subsistoit encore environ quatre
ceri|s ans avant eux. Tous trois, ils se plaignent amèrement de ce quon n’avoit
pas conservé lys lois qui réprimoient toutes les licences et les innovations en
musique. Les mêmes causes auront donc produit les mêmes effets en Égypte,
lorsque les Perses, imbus de toutes les innovations qui corrompoient cet art,”
changèrent aussi Iancien gouvernement de ce pays, après l’avoir conquis.
Celui qui, suivant les anciens, porta au chant l’atteinte la plus directe et la plus
dangereuse, fut Mélanippide (4); ce qui donna lieu à Phérécrate (5) de faire
paroitre, dans une de ses comedies, la Musique en habit de femme, ayant le corps
déchiré par les mauvais traitemens qu’elle avoit reçus des musiciens, et se plaignant
sur-tout ^e ce que Mélanippide, en jouant sur une lyre à douze cordes,
l’avoit rendue m o lle ,’fâche et sans force. Cependant on voit des harpes d’un
nombre de cordes plus considérable encore, peintes dans un des tombeaux des
rois en Egypte;; dira-t-on que les anciens Égyptiens étoient moins difficiles et
plus tolérans que ne ictoient les Grecs en musique! Le témoignage de¿Platon
détruiroit cètte assertion. Il faut donc nécessairement placer dans le second état
de la musique en Égypte tous les instrumens de cette espèce.
( 1 ) Plutarque, Dialogue sur la musique ancienne, sont curieux de connoitre l’état de la musique ancienne.
, (3 ) D e Legib. lib. III. Plutarque, ibii. et des Propos.
ç a ) IVub. act. I I I , scen. 3. Nous regrettons que de table, iiv. V, quest. 2. '
la »crainte de devenir trop diffus ne nous permette pas (4 ) Mélanippide vivoit quatre cent soixante ans avant .
de mettre ici sous les peux du lecteur les passages J. C . et plus d’un demi-siècle après la cqnquête de
que nous indiquons de Platon , d’Aristophane èt de l’Égypte par Cambyse. "
Mutarque. Ils sont d’un grand intérêt pour ceux qui ( j ) Plut..iéù/,
D E L A N T I Q U E E G Y P T E .
On doit sans doute aussi, de même que l’a fait Platon, rapporter les écarts en
musique aux poètes ( i) , et sur-tout à ceux qui, ne songeant qu’à plaire au public,
au lieu de l’instruire, firent perdre au chant sa noble gravité.5’A insi, quand Thes-
pis (2), ou tout autre avantJui (3), changea en farces populaires les dithyrambes,
poèmes religieux par lesquels on célébroit originairement la naissance de Bac-
chus (4), il ne put se dispenser de substituer aux chants^graves de cette fête, des
chants plus légers et propres- à amuser le peuple ces ¿derniers chants n’étant
qu’une parodie des premiers, et devenant burlesques, les'-mùsiciens qui les exécu-
toient ne pouvoient être tenus de ne s’y permettre aucune licence; de la les abus
qui se glissèrent dans le chant.
Cinésias, Phrynis et Timothée sont aussi accusés par la Musique, dans la comédie
de Phérécrate, de l’avoir outragée. Le premier, musicien impie et débauché (5),
augmenta encore le désordre que Mélanippide avoit déjà fait naître* dans lart
musical par les ornemens et les broderies dont il surchargea derechef la mélodie.
Phrynis (6) fut encore plus hardi que les précédons ; fi osa imaginer de nouvelles
combinaisons de sons, de nouvelles difficultés; de nouvelles modulations qui dénaturèrent
le caractère primitif de la musique. Timothee vint ensuite, qui enchérit
sur ses prédécesseurs et mit le comble à la dépravation de lart : aussi fut-il condamné,
à Sparte par un jugement absolument conforme aux principes des Égyptiens,
dont les motifs étoient d’avoir enseigné aux enfans qu’il avoit à instruire,
une musique trop riche - qui .leur Jiusoit perdre la retenue qu inspire^ la Vertu, et d avoir
substitué le genre chromatique, qui est mou par lui-même, a l harmonie modeste qü il
avoit .apprise.
Ce jugement porté contre un musicien Asiatique (7), ainsi que4a censure des
comiques dont nous venons de parler, ne laissent donc plus subsister dincerti-
( i ) Nous répétons que Platon entend par ce mot
les auteurs en général, lesquels- étoient tou t-a - la -fo is
poetes et musiciens.
(2 ) Thespis florîssoit en l’an 536 avant J. C .
( 3 ) Platon, vers la fin du T raîté intitulé Minos, nous
apprend que la tragédie étoit très-ancienne à Athènes,
qu’elle avoit pris naissance dès avant le temps de Thespis
et de Phrynique. Il ajoute que , si l’on en voulojtjaire
la recherche, on trouveroit qu’elle existoit même avant
la fondation de la ville d’Athènes, que c’étoit un genre
de poésie qui plaisoit beaucoup au peuple. Aristote, dans
sa Poétiqu e, pense que la tragédie est née d’un ancien
genre de. ¿poésie appelé dithyrambe. Nous verrons, lorsqu’il
s’agira des diverses espèces de chants et de poésies
des anciens Egyptiens, que les d ithyramb es sont d’origine
Egyptienne, et que le nom lui-même est Egyptien.
(4) Plat, de Legib. lib. m.Ba cch us étoit chez les Grecs
la même divinité que celle qui étoit connue en Egypte sous
le nom d’ O/iris. Cette divinité Egyptienne, dont Orphée
t ran spo rta i culte en Grè ce , et dont il changea le nom,
suivant que nous l’apprennent D io d o r e de S icile, Bibl'toth.
hist. lib. I , cap. 33, et Lactance, defalsa Religione, lib. I ,
cap. 22 , n’ étoit autre chose qu’une divinité allégorique
représentant le principe fécondant.
( 5 ) Voyez les Mémoires de F Académie des inscript, et
belles-lettres, tom. X V , in-4.0, pag. 343, vers la fin. Platon
ne paroît pas avoir eu non plus une opinion favorable
de Cinésias, puisqu’il fait dire, par Socrate, dans son
G or trias : « Croyez-vous que Cinésias, fils d e ‘IVlélès,
» se soucie beaucoup que ses chants soient propres à
»rendre meilleurs ceux qui les entendent, et qu’il vise
» à autre chose qu’à plaire à la foule des spectateurs î »
Ailleurs, Platon en parle çom nw d ^ n homme de mauvaises
moeurs. Athé'néeg Deipn. lib. XII, cap. 13-,pag. 551,
dépeint Cinésias comme -un homme corrompu et un
auteur dangereux. ;;
(6) La manière' dg chanter,de Phrynis fut,long-temps
défendue dans llsaécples d’Athènes. Aristoph.^m Nub.
act. I I I , scène 3 , ^ < ÿ£ io , 1 1 , 12. C e t auteur parle souvent
de Phrynis et de Cinesias , mais jamais.'en bien.
(7 ) Timothée flor?ssbitv’en l’an 3-57 avant J. C . II
étoit de Milet en Io n ie , contrée de l’Asie mineure,
où les moeurs étoient le plus dissolues. Démosthène
parle avec le dernier mépris des peuples de ce pays ,
dans sa harangue sur le gouvernement de la république.
Eschyle appelle les chants Ioniens, des chants langoureux
et lamentables, <^ihéébpwnç} qui aime les pleurs.