
attachés au sol et accablés de travaux. Ils ne purent, sous le règne long et glorieux
de Sésostris, se soustraire à l’esclavage : mais, gouvernés sans doute avec quelque
humanité, ils se multiplièrent; et en s’habituant à leur nouvel état, il leur fut chaque
jour plus difficile d’en sortir. Phéron monta sur le trône, et fit peser sur les Hébreux
un joug de fer(i). Gémissant en silence, ces infortunés ne voyoient aucun terme
a leurs maux, lorsque parut parmi eux un de ces hommes extraordinaires qui
semblent destinés à changer le sort des nations. Moïse avoit en naissant été exposé
sur les eaux : Aménophis régnoit alors; sa fille sauva la vie du jeune Hébreu. Ne
bornant pas là ses soins bieniaisans, elle le fit instruire dans toute la sagesse des Égyptiens,
et l’on sait que les sciences et les arts briiloient alors chez eux du plus v if
éclat. Obligé, après la mort de sa bienfaitrice, de se sauver dans le désert pour
avoir tué un Egyptien, Moïse se retira près de la mer Rouge chez les Arabes
Madianites. Le genre de vie de cette tribu lui rappela sans doute le temps où les
fils d Abraham promenoient librement leurs troupeaux dans la solitude; l’indépendance,
malgré les dangers et les privations, lui parut préférable à l’esclavage
au sein de l’abondance et de la paix, et il forma le généreux dessein de rompre les
chaînes des Héijr.eux.
Au sommet du mont Horeb, au milieu des éclairs et de la foudre, à la vue
de la mer agitée et du désert silencieux, il médita long-temps loin des hommes ses
vastes projets (2) ; il revient enfin vers ses frères, il les engage à fuir, il prend auprès
du Pharaon le prétexte d’un sacrifice dans le désert. « Nous offrirons au Seigneur
30 notreÉ)ieu, lui dit-il, des animaux dont la mort paroîtroit une abomination aux
» yeux des Egyptiens ; si nous tuons devant eux ce qu’ils adorent, ils nous lapide-
» ront (3).»
L e prince hésite ; il accorde ou retire la permission qu’on lui demande, soulage
ou aggrave les maux des Hébreux, selon qu’il est plus ou moins effrayé des fléaux qui
ravagent ses états : de tout temps les préjugés de l’homme ont lié ses destins
avec l’ordre de l’univers.
Dans la partie des livres saints qui traite de cette'époque, il est rapporté plusieurs
faits q u i, bien qu’extraordinaires, s’accordent néanmoins avec le récit des
auteurs profanes (4 ) et avec Jetât actuel du pays. Ainsi les Psylies font encore
aujourdhui avec les serpens des choses qui tiennent du prodige; ils les appellent,
les endorment, les engourdissent au point qu’on les croiroit morts ; ils leur
apprennent à se dresser, et à suivre ainsi leurs maîtres ; ils les cachent dans les plis
de leur robe, se les nouent autour du cou sans craindre d’en être mordus.
Escamoteurs habiles, ils savent avec adresse substituer un objet à un autre. Les
plaies de l’Égypte peuvent se retrouver dans les eaux du N il, jaunes et vertes,
troubles et infectes à certaines époques, qui, à peu près fixes, peuvent, en variant
brusquement une année, désoler la population ; dans les insectes de tout genre,
qui, comme dans tous les lieux où il y a chaleur et humidité, abondent quelquefois
(1 ) £ W . chap. 3 , V. 7 . prophète. C e n’est pas le seul point de ressemblance qui
fet l i D ™ - Je MaI’ 0” 'ut présente une particularité seul- existe entre ces deux législateurs,
niable. Retiré dans une grotte du mont Ha ra, il passa (3 ) Exod. chap. 8 , v. 26.
quinze ans dans la solitude, avant de s'annoncer pour (4 ) Hérodote, D io d o re ,& c .
en Egypte d’une manière effrayante (i) ; dans la peste, qui, de temps à autre,
ravage cette contrée, et semble souvent s’attacher à détruire une race plutôt
qu’une autre; dans le tonnerre, dans la grêle, qui, pour être rares en Égypte
au point de ne pas se faire entendre, de ne pas tomber une seule fois dans un
siècle, n’en devoient être que plus effrayans ; enfin dans les nuées de sauterelles
qui sortent du désert, dans les ténèbres momentanées formées par les
tourbillons de poussière qu’élève et charie le khamsyn, et dans ce vent malfaisant
lui-même, qui ne se fait pas sentir à-la-fois dans toutes lés parties de
l’Egypte (2).
Que l’on écarte donc de la description des plaies de l’Égypte les exagérations
poétiques permises à celui qui décrit avec transport les phénomènes qui ont
servi à la délivrance de son peuple, et l’on verra tout prestige s’évanouir; mais le
concours de tant d’événemens extraordinaires quoique naturels, et leur résultat sur
le coeur endurci du Pharaon, pourront néanmoins être considérés comme une
preuve frappante de la protection divine.
Ce prince ne put, en effet, résister aux plaintes de ses sujets, qui, frappés
d’une peste cruelle, attribuoient leurs maux aux maléfices des Impurs, et crurent,
en les éloignant, se rendre les dieux propices.
H Et Pharaon ayant fait venir Moïse et Aaron , il leur dit : Retirez-vous
» promptement d’avec mon peuple, vous et les enfans d’Israël (3). »
Marche des Hébreux dans le Désert, ju sq u ’à l ’emlroit où ils traversèrent la
M er Rouge.
L es Israélites partirent de la terre de Gessen, et cette contrée ne peut être que
la vallée de Saba’h-byâr, qui s’étend à l’est de l’Égypte vers la Syrie; car on lit dans
( 1 ) Je pourrais citer, d’après les auteurs Arabes, plusieurs
années où les grenouilles, où les serpens furent si
abondans, que le peuple crut qu’ils étoient tombés du ciel:
mais je me borne à rapporter un fait dont el-Maqryzy
lui-même fut témoin; voici comment il s’exprime:
« L ’an 7 9 1 , et les années suivantes, les vers qui at-
» taquent les livres et les étoffes de laine, se multiplièrent
” d’une manière prodigieuse dans les environs du pré d’A l-
» Zàyat [le marchand d’huile], placé hors du C a ire,
» entre Matariah et Seriakous. U n homme digne de
j» foi m’assura que ces animaux lui avoient rongé quinze
» cents pièces d’étoffe, formant la charge de plus de
» quinze chameaux. Étonné d’un fait si extraordinaire,
je pris, suivant mon usage, toutes les précautions pos-
33 sibles pour m’assurer de la vérité, et je reconnus, par
33 mes propres y eu x, que les dommages causés par les
33 vers n’avoient point été exagérés; et qu’ils avoient dé-
33 truit, dans le canton dont nous avons parlé, une grande
» quantité de bois et d’étoffes. Je vis près de Matariah
» des murs de jardin sillonnés par de longues et pro-
33 fondes crevasses qu’y avoient formées ces petits ani-
33 maux. Mais, vers l’année ,821, ce fléau se fit sentir
33 dans le quartier d’Hosaïniah, situé hors du Caire. Les
>3 vers, après avoir détruit les provisions de bouche, les
33 étoffes, & c . ce qui causa aux habitans des pertes incal-
>3 culables, attaquèrent les murailles des maisons, et ron-
33 gèrent tellement les solives qui formoient les planchers,
33 qu’elles étoient absolument creuses. Les propriétaires
33 se hâtèrent de démolir les bâtimens que les vers avoient
33 épargnés, en sorte que ce quartier fut presque entière-
33 ment détruit. Ces animaux étendirent leurs ravages
33 jusqu’aux maisons qui bordent la porte de la Conquête
33 et celle de la Victoire. Ils rie causèrent pas moins de
» dégât à Médine et à la M e cq u e , où ils rongèrent le
33plafond de la Kabah. 3> (Traduction de M. Etienne
Quatremère. )
(2) Lorsque le khamsyn souffle, le soleil est d’un jaune
livide, sa lumière est voilée; et l’obscurité augmente quelquefois
au point que l’on se croiroit dans la nuit la plus
sombre, ainsi que nous l’avons éprouvé vers le milieu du
jour à Q en é , ville du Sa'yd.
Des auteurs Arabes rapportent que lorsque le sultan
Selym envahit l'Egypte, il obtint du ciel la mêmè faveur
que Moise: de grands nuages de poussière dérobèrent la
marche de son armée à son ennemi Toman-bey.
(3) Exod, chap. 12 , v. 31.