deserts voisins des cataractes, ne sauraient par cela même former des preuves
suffisantes pour établir ce changement; et je ne sache pas qu’on en ait jamais
apporté dautres, tirées, du moins, de considérations géologiques.
Quant aux débris de plantes et aux coquillages dont les laisses se distinguent
encore vers les bords supérieurs du bassin, ils indiquent, j’en conviens, l’ancien
niveau des eaux ; ils prouvent bien que le bassin a été autrefois rempli, mais non
qu il ait communiqué avec la mer Rouge. J’ai déjà démontré la possibilité d’y
verser les eaux du Nil.La suite fera voir si l’on peut nier que cela ait eu lieu. D ’ailleurs
ces débris de plantes, ces coquillages, sont-ils précisément ceux que l’on trouve
sur les bords de la mer Rouge! Il est bien probable que ce ne sont que des
coquillages fluviátiles.
Au surplus, ni ces faits, m toutes les autres circonstances qui peuvent assimiler
a un fond de mer le fond des bassins, ne sauraient être tournés contre nous en
objection par ceux qui croient que, sous les khalyfes, la communication avec la
mer Rouge a été établie artificiellement : car, toutes les circonstances dont il est
question ayant pu résulter de cette opération, dès qu’on l’admet, on ne peut plus
les regarder comme les preuves péremptoires d’un état de choses antérieur à cette
epoque. Toutefois je nai pas dû me prévaloir de cet argument en faveur de mon
opinion, et l’on verra pourquoi dans la troisième partie de ces Mémoires.
Les raisons que jai exposées plus haut, subsistent donc dans toute leur force;
et, autant que l’on peut se fier à ce genre de preuves, je me crois en droit d’établir
qu’antérieurement aux temps historiques, antérieurement même à la formation
des terrains gypseux qui occupent le centre de l’isthme, et dont une partie au
moins remonte à une très-haute antiquité, il existoit déjà, dans l’intervalle qui
sépare les deux mers, un vaste lac rempli d’une dissolution principalement gypseuse,
dont les dépôts ont concouru à la formation du sol environnant : état de
choses qui n’a rien de fort extraordinaire; car c’est-là encore ce qui existe et se
continue aujourdhui, avec cette différence seulement, que, réduite à une quantité
tres-petite, 1 eau n’occupe plus que les parties les plus basses du bassin, au lieu
dun seul grand lac en forme plusieurs petits, et même, dans certains temps de
1 annee, achevé de s’évaporer, ou demeure entièrement cachée sous d’épaisses
voûtes salines et gypseuses.
C H A P I T R E IV.
S i la Communication artificielle a été entièrement établie entre le N il
et la M er Routre. D
J u s q u IC I j ai tâché, par des considérations tirées seulement de l’examen du
sol, de prouver que l’extension du golfe Arabique, dans les temps anciens, est une
hypothèse dénuée de preuves, et qui ne s’accorde nullement avec l’état physique
des lieux. 1 J *
L histoire ne peut fournir aucun renseignement immédiat sur ce qui existoit
aux époques éloignées que nous venons de considérer ; mais elle confirmera, d’une
maniéré indirecte, les indications que fournissent les faits naturels, en nous montrant,
dès ses premiers temps, de grands travaux entrepris par les rois d’Égypte
pouretablii artificiellement la communication dont il s’agit; ce qui rend assez vraisemblable,
suivant moi, qu’elle n’existoit pas naturellement (i).
Examinons donc, en suivant l’ordre des temps, à quelle époque cette communication
a commence d exister, et voyons de quelle manière cela s’est fait.
C ’est à Sésostris, parmi les anciens rois de l'Egypte, que l’on attribue les
premières tentatives pour établir une communication entre les deux mers (2) ,
ou plutôt entre la mer Rouge et le Nil. L ’un de ses successeurs, Nécos, suivit
avec ardeur (3) 1 exécution de ce projet, et ne l’abandonna qu’après beaucoup d’efforts
et de travaux, rebuté par les difficultés de l’entreprise, aussi-bien que par la
crainte de verser les eaux de la mer dans le lit du fleuve, et de couvrir d’eaux salées
des terrains arrosés par les inondations annuelles. Cette appréhension n’étoit pas
dénuée de fondement, quoi qu’en ait pensé Strabon ; car nous venons de voir
que cela aurait lieu encore aujourd’hui malgré l’exhaussement du sol cultivable,
si I on ne prenoit à cet égard aucune précaution.
Les rois Égyptiens qui régnèrent après Né cos, ne s’occupèrent point de ce
travail (4), détournés, sans doute, par les mêmes craintes et les mêmes obstacles,
dont le souvenir devoit s’être conservé fidèlement dans les annales de l’Égypte.
Ainsi point de communication entre la mer Rouge et les lacs amers sous les
rois Égyptiens connus par 1 histoire : on pourrait tout au plus opposer à cela une
objection spécieuse ; la preuve, diroit-on, que la mer Rouge s’étendoit dans l’inté-
neur de l’isthme au temps de ces anciens rois, c’est que sur les bords du bassin, au
milieu des déserts les plus arides, on rencontre encore les ruines de plusieurs villes
Égyptiennes posées sur les collines environnantes, et toujours à un niveau supérieur
à celui de la mer Rouge. Ce fait, que j’ai vu en effet rapporté parmi d’excellentes
observations (5), aurait besoin de quelques éclaircissemens ; mais, quand je
l’admettrais tel qu’il est présenté, j’en tirerais une conséquence tout-à-fait opposée
à celle qu’ on en a tirée.
En supposant le golfe Arabique ainsi prolongé, et le bassin rempli par les eaux
de la mer, comme cela ne changerait rien à l’état du désert voisin, l’existence
de tant de villes dans l’intérieur de l’isthme n’en demeurerait pas moins un phénomène
très-embarrassant à expliquer, une seule ville ayant toujours dû suffire
pour les besoins du commerce. Il faudroit inférer de là, au contraire, que le bassin
(1) J’adinetyois l’hypothèse que j'ai combattue jus- (a) Strab. G togr. iib. X V I I ; Plin. H i s , . ,mt. Iib. V I ,
q u ic i, je conviendrais que la mer Rouge a pu s’étendre cap. 20.
jusqu’au fond des lacs amers immédiatement avant les (3) Herod. Euterpi, c. 48; Diod . Sic . B i i l hm \ r
premiers temps historiques, qu’on n’en seroit guère plus (4) Herod. EuUrpt, c. 48 ; Plin. His t. na, I V I c aoavance
pour éclaircir les difficultés relatives à la géogra- Strab. Gcogr. Iib. XVII.
phie comparée. Les faits qu’il's’agit d’expliquer apparie- (5) Keyej un Mémoire très-intéressant de M. du Boisnam
aux temps historiques, on sent bien qu’ il faut, sur Aymé sur les anciennes limites de la mer Rouge dans
cet ancien état de la mer, des preuves fondées sur les le Recueil des Mémoires sur l’É gypte, r. I V , p. L idi,\
témoignages directs des écrivains anciens. de Didot. *