entièrement son peuple du reste des hommes, il en rendit la dispersion facile, ia
destruction impossible: les Juifs vainqueurs ne purent accroître leurs forces de celles
des nations qu'ils soumirent; vaincus, ils ne purent se mêler aux vainqueurs.
La plupart des vices qu'on leur reproche aujourd’hui, tiennent à 1 état d’humiliation
où presque par tout ils ont été réduits : n’ayant aucun rang dans l’État, né pouvant ni
posséder des terres, ni jouir de la liberté des champs, qui élève lame, mais obligés,
au contraire, d’habiter dans les villes des quartiers séparés, d’y être renfermés chaque
son-, d y vivre entassés les uns sur les autres, de ne s’y livrer à aucun an libéral,
ils n ont eu pour subsister d’autre industrie que d’acheter et de revendre ; et l’or, qui
leur donnoit les moyens d’apaiser leurs oppresseurs ; l’or, qui pouvoir leur procurer
encore quelques jouissances, est devenu l’unique objet de leur ambition. Aucune
passion ne dégrade davantage l’hoimne au physique comme au moral.
C’est en vain que l’on soutiendrait que leurs défauts tiennent à leur organisation
ou a leurs lois. Que l’on considère un instant les Chrétiens soumis à la domination
Turque, les mêmes causes ont introduit parmi eux les mêmes-vices. L ’homme qui,
libre et honore, eût été généreux et plein de courage, sera par-tout, quel que soit
le sang qui coule dans ses veines, fourbe et lâche, s’il est esclave et méprisé.
Dans les pays où la philosophie et une religion douce et tolérante ont amélioré
le sort des Juifs, il s’est élevé parmi eux des hommes vertueux, des littérateurs
distingues ; et nous avons vu de nos jours de jeunes Israélites combattre avec gloire
sous les drapeaux de la France.
Ne méprisons donc point une nation qui n’a besoin que d’être estimée pour
devenir estimable, et dont la religion est la base de la nôtre. N’oublions pas sur-tout
que dans le malheur elle déploya souvent un grand caractère, et que si le pardon
honore la force, le ressentiment honore la foiblesse. J’en citerai un exemple mémorable.
Jérusalem osa combattre Rome, devant qui fléchissoient les plus puissans
rois de la terre; et les Juifs vaincus élevèrent dans Rome, de leurs mains chargées
de f e r , ! nnmense colisée et l’arc de Titus, dont les bas-reliefs rappeioient la chute
de la cite sainte. Eh bien! dix-sept siècles se sont écoulés, et leurs descendans
conservant toujours le souvenir de l’offense, ne passent point encore sous l’arc qui
consacra leur défaite. C’est par une issue qu'ils seraient frayée auprès de ce monument,
que, de ce cote, les Juifs sortoient du Forum, avant que les fouilles.et les
démolitions que l’on vient d’y faire, eussent ouvert d’autres communications.
Un jour que j’observois sur les bas-reliefs de cette porte le chandelier à sept
branches qui orne la marche triomphale de l’empereur, un Hébreu passa près de
moi; je le reconnus aussitôt à cette physionomie qu’aucun climat n’a pu changer,
et je crus lire dans le regard qu’il jeta sur ce monument, ces vers d’un grand poète:
D é p lo r a b l e S i o n , q u ’a s -tu f a i t d e ta g l o i r e !
T o u t l ’u n iv e r s a d m i r o it t a s p l e n d e u r :
T u n ’e s p lu s q u e p o u s s iè r e ; e t d e c e t t e g r a n d e u r
■ I I n e n o u s r e s t e p lu s q u e l a tr is t e m ém o ir e .
Esther, act. I , sc. a.
Combien, me d is -je , cet Hébreu me feroit de questions s’il savoir que j’ai
habité dans la terre d’Égypte, que j’ai dressé ma tente dans Gessen, traversé la
mer Rouge à pied, et erré dans le désert que bordent à l’horizon les monts d’Horeb
et de Sinaï !
Mais quel homme, quelle que soit sa croyance, ne questionnerait le voyageur qui
a foulé cette terre de miracles et de prestiges! Est-il une observation, si superficielle
qu’elle soit, qui, pouvant jeter quelque jour sur l’histoire des Israélites, ne
soit écoutée avidement! C ’est donc avec la certitude d’exciter l’attention, que je
dirai ce que l’inspection des lieux m’a suggéré sur l’établissement des Hébreux dans
la terre de Gessen, et sur leur fuite dans le désert : l’intérêt du sujet en jettera sur
ma narration.
D u Pentateuque,
L e Pentateuque est la réunion des cinq livres écrits par Moïse; la Genèse,
l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome.
Malgré les contradictions que les critiques ont cru y apercevoir (i), malgré leurs
opinions diverses sur l’époque de sa publication, tous sont forcés de le recon-
noître pour la plus ancienne tradition écrite qui soit parvenue jusqu’à nous, et ils
ne peuvent, quelles que soiènt leurs idées religieuses, refuser à cet ouvrage ce grand
intérêt attaché à l’histoiré d’un peuple qui fut nomade, cultivateur, puis esclave,
retourna à l’état de nomade, et devint conquérant. De semblables changemens
sèrvent à faire conrioître fespèce humaine; ils composent son histoire, autant que
celle d’un peuple en particulier.
Mais, en traitant une semblable matière, gardons-nous de blesser aucune opinion
; que le Chrétien, le Juif, le Musulman, le déiste, nous lisent sans s’offenser:
ce n est point ici un ouvrage de religion, mais des notes historiques, morales, géographiques.
Et pourquoi les personnes qui n’ont besoin que de leur foi religieuse pour croire
à tout ce que renferme le Pentateuque, ne verroient-elles pas avec plaisir l’incrédulité
forcée par d’autres voies à convenir des mêmes faits! Pourquoi ceux qui, dans
leur scepticisme, sont portés à rejeter dans la classe des fables tout ouvrage où ils
relèvent quelques erreurs, à regarder comme apocryphes les faits les plus simples
dès qu ils les croient mêlés à des événemens surnaturels, seroient-ils fâchés que l’on
essayât de diminuer leurs doutes! Pourquoi enfin les hommes qui, reconnoissant
Dieu à 1 ordre admirable dè la nature, se refusent à croire que des causes morales
puissent agir sur la matière, que des prières", que des larmes puissent changer
quelque chose aux lois constantes de la physique, et qui ne peuvent admettre que le
Dieu de lunivers, semblable aux divinités d’Homère, ait combattu pour les mortels,
blameroient-ils nos recherches, si elles tendent à éclaircir pour eux l’histoire d’un
( i) Quelles sont d’ailleurs la plupart de ces contradic- Syrie, à l’ouest du Jourdain, le texte du Pentateuque,
tions relevées avec tant d’emphase! Quelques erreurs a pu mettre en-deçà de ce fleuve ce q ui , dans l’original,
de copistes, quelques interprétations hasardées de la part étpit indiqué au-delà, et désigner d’anciens cantons- par
des traducteurs, et rien de plus. N ’est-il pas facile, leurs noms modernes et par les villes-que l’on y avoit
par exemple, de concevoir qu’un homme copiant en bâties depuis!