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ravissent a lui-meme a un tel point, qu’il sèmerait contemporain des plus célèbres
législateurs et des plus grands philosophes de l’antiquité. Il se Jîgure qu’il les voit de
toutes parts s empresser encore de se rendre en ce pays fameux, pour y recevoir des
leçons de sagesse, pour y fixer leurs idées sur la religion et sur les lois,poury étendre
et perfectionner leurs connoissances ; il lui semble qu’il marche sur les traces de
Mélampe, de Musée, dOrphée, d’Homère, de Lycu-rgue, de ThaJès, de Solon,
de Pythagore, de Platon, dEudoxe, et de tant d’autres hommes illustres ( 1 ) qui
furent reconnus digjjg^l’être initiés aux sciences sacrées des anciens Égyptiens,
qui eurent la gloire d’en transmettre le fruit à leurs contenrporains, et de rendre
leur nom immortel ; il croit être dans leur société, assister à leurs entretiens
avec les" hiétophantes, les entendre discuter les points les plus importans de la
théologie, de la politique, de la morale, des sciences et des arts. Tout ce que
l’étude lui a appris sur les institutions aussi-bien que sur les moeurs des anciens
Egyptiens, se retrace à sa mémoire dans ces enceintes silencieuses, destinées à la
méditation des merveilles de la nature : il regrette de ne pouvoir entén%re aussi ces
chants divins, ces hymnes d une nuiodie si pure, dont, au rapport de Platon’, retentirent
jadis ces temples augustes et sombres consacrés à la célébration des mystères.
Il examine 1 une après 1 autre ces diverses représentations sculptées et peintes
qui ornent la surface entière de ces précieux monumens, tant au-dehors qu’au-
dedans,- il y cherche et y trouve en effet des notions plus exactes et plus sûres
que celles quil avoit puisées dans les livres, sur les usages religieux, politiques,
ciyils, ruraux, domestiques, et autres, de ce peuple dont l’ordre social servit
demrodèle à la plupart des anciens peuples (2). Ici il voit des scènes allégoriques,
des cérémonies religieuses, des processions accompagnées de musiciens, les uns
dans 1 action de chanter, les autres dans celle de jouer de divers instrumens de
musique, précédés et suivis de prêtres chargés d’offrandes qu’ils vont présenter
à la Divinité : là ce sont des exercices de gymnastique ou de palestre, ou bien
ce sont des danses; plus loin des assauts, des combats, où l’on distingue les
vainqueurs et les vaincus, les prisonniers ou les esclaves de guerre : autre part
ce sont des criminels jug£s, soumis à la torture, ou subissant la mort. Ailleurs,
on remarque des systèmes complets d’astronomie. Dans d’autres endroits, ce
sont les diverses cérémonies de la vie civile, des mariages, des pompes nuptiales,
des initiations, des embaumemens^ des^ lustrations, des pompes funèbres ; les diverses
occupations de la vie domestique, les travaux de l’agriculture, les labours,
les semailles, la moisson , les* vendanges , la chasse, la pêche, et les soins dé
la vie pastorale. Toute l’antique Egypte semble revivre pour lui: chaque objet
nouveau attire, arrête ses regards, et devient aussitôt un sujet d’étude qui fixe
son attention avec un intérêt sans cesse renaissant ; le charme qui y attache est
si puissant, quon ne peut plus quavec une peine extrême se résoudre à abandonner
celui-ci pour en aller voir un autre : on voudrait être par-tout à-la-fois,
I: ■ ) Plutarijue, d'Isis a d 'O s ir is , page 320, trad. Clera. A lex. Strom. Mb. I , pag. 302; Mb v i , pae. 620 ■
\dA,nyat, Paris, 1597, in-fol. Lutet. Paris. ,6 4,.
Drodor. Sic. Biblioth. hht. Iib. 1 , cap. 98, pag. 289, (2) D iod . Sic. Biblioth. hist. lib. I , cap. 1 3 , 14, ic
gr. et lat. B.ponti, ,7 9 J , ¡ „ .g . 2 8 , 2 9 , 9 6 , 9 7 , 9 8 .e d u .s a p .c n .
et
d e l ’ a n t i q u e é g y p t e . 3 5 9
et la curiosité, toujours insatiable, ne cède qu’à l’avide empressement qu’on a de
tout voir.
C ’est ainsi que, pendant le cours de notre voyage en Égypte, nous avons traversé
ce pays dans toute son étendue ; et, quoiqu’à peine en convalescence d’une longue
et cruelle ophtalmie qui avoit résisté à tous les secours de l’art, et très-foibles
encore, nous nous sommes avancés, guidés par nos savans et laborieux collègues,
jusqu’au-delà de la première cataracte du Nil, à peu de distance du tropique,
dans le coeur de l’é té , sans prendre un seul jour de repos,- sans songer même à
la fatigue extrême que nous éprouvions , sentant notre courage s’accroître dès
qu’il s’agissoit de visiter un monument antique, quelque pénible que fût la route
pour y arriver, soit que nous eussions à traverser une vaste plaine de sables brûlans
ou à marcher sur les aspérités d’une longue chaîne de rochers, soit qu’il fût nécessaire
de gravir des montagnes escarpées ou de nous frayer un chemin sur d’énormes
tas de ruines. Le jour, nous nous hâtions de prendre note de ce que nous
voyions, e t, sur-tout, nous avions grand soin de ne rien négliger de ce qui
concernoit notre objet : la nuit, nous repassions nos notes, nous les mettions en
ordre , ou nous les rédigions plus exactement. Nous sentions trop le prix d’un
pareil voyage, pour en laisser échapper inutilement un seul instant. Nous n’eussions
pas été portés à toutes ces choses par l’enthousiasme qui nous animoit et par
l’exemple de nos collègues, que nous l’aurions fait pour nous rendre dignes de
la mission honorable que nous avions acceptée.
Cependant, nous l’avouerons, nos recherches en Égypte ont été beaucoup plus
arides et plus ingrates à l’égard de la musique que relativement à toute autre
chose, et notre travail sur cet objet en est devenu d’autant plus difficile et plus
épineux. Il n’en est pas de la musique de l’antique Egypte comme de la plupart
des autres sciences et des autres arts. Les Grecs, qui furent les disciples et les
imitateurs des anciens Égyptiens, peuvent bien encore, dans leurs ouvrages, nous
donner une idée des connoissances de leurs maîtres et des modèles que ceux-ci
leur offrirent à imiter, en poésie, en philosophie, en physique, en mathématiques,
en astronomie, en médecine, en architecture et en sculpture. Les monumens
étonnans et nombreux que les Égyptiens élevèrent dans des siècles antérieurs à l’histoire,
et dont on voit encore de très-beaux restes, nous présentent aussi, dans les
divers tableaux de sculpture que forment toutes les faces de leurs murs, tant extérieurement
que dans l’intérieur, des témoignages non équivoques de leurs usages
religieux, politiques, champêtres et domestiques. Mais quels secours attendre de
ces monumens muets de souvenir, pour arriver à la parfaite connoissance d’un art
qui est principalement du ressort de l’ouïe, et dont il est impossible même de se
faire la moindre idée sans le secours de cet organe ; d’un art qui laisse si peu de
traces de son existence après le seul instant de son exécution, et à plus forte raison
quand il s’agit d’une époque très-reculée î
Si cet art en Europe a tellement changé, en moins de mille ans, de forme, de
principes et de règles, qu’il ne conserve plus rien de semblable à ce quil étoit auparavant,
et si tout y est devenu à peu près inintelligible pour le pfus grand nombre
A. Z l