» vingt mille pas de circuit (i). » Comment Pline, qui vivoit dans le même temps,
semble-t-il supposer que le lac étoit desséché !
Quoi qu'il en so it, il paroîl bien que l’on avoit négligé l’entretien des canaux
depuis le temps où Auguste voyagea en Egypte (a). Pendant son séjour, ce prince
avoit pris, au rapport de Strabon et de Suétone (3), tous les soins possibles pour
augmenter la fertilité du pays, et réparer les malheurs causés par les derniers rois
d’Egypte. Il avoit lait nettoyer par ses troupes tous les canaux, qui, depuis long-
, temps, étoient obstrués par des amas de limon.
Vespasten et Titus allèrent en Egypte, où l’on sait qu’ils consultèrent les oracles,
mais non pas qu’ils se soient occupés de travaux d’irrigation. Adrien voyagea plus
long-temps dans ce pays ; il monta dans la Thébaïde, où l’on sait qu’il fonda une
ville en l’honneur de son iàvori; et l’histoire, qui mentionne les travaux et les
édifices qu’il a fait exécuter dans les provinces Romaines (4 ) , ne dit nullement
qu’il ait fait travailler aux digues ou aux canaux dans celle-ci (y).
Ptolémée, qui vivoit sous Adrien et Marc-Aurèle, ne dit rien de l’objet du lac
de Moeris; il se contente d’en désigner l’emplacement avec précision, comme nous
l ’avons dit.
Nous avons dans Aristide le rhéteur un passage sur le lac de Moeris, qui n’est
pas sans intérêt, et dont aucun critique n’a fait usage. Le voici tel qu’il est traduit
dans l’édition d’Oxford :
Qjioepropefluvïum et in Ægypto sampaludes, non à se quidem, verùm àfluvio ducunt
initium, rivulis in ipsas delatis. . . Nam et Moeris palus [ MoiesSbi Al/un ], et inferiores
ad Græciam (6), et quæ prias ultra Pharum, nunc post Alexandriam visitur, Maria,
citm N ili sam sinus, tum incrementumparticipant, fluminisparteper rivos delatâ (7).
(1) Pomp. Mêla, /. I , c. 9. ( V o y e z infrà, p . 114.)
(2) Suétone, Vie d ’Auguste. Le mal remonte encore
plus haut. Sous la dynastie des Lagides, comme sous le
gouvernement des Perses, rien n’annonce qu’on se soit
appliqué à l’entretien des canaux et du lac de Moeris.
L ’histoire garde, à cet égard, le plus profond silence ; et
c e qu’elle rapporte de Fétat de guerre continuel où les
Ptolémées ont v é cu , ne permet pas de croire qu’ils aient
donné des soins à la conservation des ouvrages publics,
entreprise qui veut tant de constance et tant de prospérité
intérieure. Les trois premiers rois qui ont le moins
démérité de l’Egyp te, ont été engagés dans des guerres
de famille ou des conquêtes lointaines : Philadelphe et
Evergète ont porté leurs armes à des distances immenses,
et dans des lieux jusqu’alors ignorés; presque
tous les autres se sont rendus odieux au pays, ou par des
vices ou par des crimes de toute espèce ( * ). L ’inscription
de Rosette, il est vrai, attribue quelques travaux de
ce genre au jeune Ptolémée Epiphane, alors âgé de treize
ans: mais c’est là une nouvelle preuve que l’inscription de
Rosette est un monument d’adulation. ( Voye^ Po lyb e,
Strabon, & c . )
(3) Suétone, ibid.
(4) Le Nain deTiiIemont,Hist. des Empereurs, t. I I ,
p. 281 et 260. — Cre vie r, Hist. des Empereurs, t. V I I I .
(5) Adrien avoit fait du bien aux habitansde l’Egypte;
il avoit rétabli et augmenté leurs privilèges, comme il
l’apprend lui-même dans une lettre qu’on a conservée.
Il leur reproche, à cet égard, l’insolence et l’ingratitude,
et porte sur eux le même jugement qu’Ammien Marcellin
a porté plus de trois siècles après. V o ic i les paroles de ce
dernier :
Hommes autem Ægyptii. . .ad singulos motus excan-
descentes, controversi et reposcohes acerrimi. Erubescit apud
eos , s i quis, non inficiando tributa , plurimeisin curpore vibi-
ces ostendat. ( Amm. Marcel. Paris. 1681, p. 346. )
Pollion, Po lyb e , Pline le jeune, Hérodien, Libanius et
d’autres auteurs s’expriment de même sur le compte des
Egyptiens de leur temps. Quant à la lettre d’Adrien, elle
est rapportée par-tout : elle lui fournissoit bien l’occasion
de parler des travaux dont il s’a git, s’il en eût fait exécuter;
mais elle n’en dit rien. Le canal de T rajan, attribué
par quelques-uns à A d rien , n’a rien de commun avec
cette question.
(6) II y a dans le texte, cù tpT? EmhotkcLtu>,£ & c ,
dont le sens offre quelque difficulté. Dans ses commentaires
sur la Notice d’HiérocIes, au mot EAEAPXIÁ,
Wesseling corrige ce passage, et lit td7ç ï\im, qui signifie
ad paludes ; mais on peut s’en tenir au texte.
(7) ÆI. Arist. Oxon. 1 7 2 2 , t. I I , p . j j o .
(*) Hist. Ptot. Æg. rtg. & Sebiit. Vaillant, Amstelod. 1701.
| Aristide voyageoit vers l’an 153 avant Jésus-Christ; il avoit quatre fois parcouru
lEgypte, et il avoit pris par lui-même des connoissances locales très-étendues.
Malheureusement ses livres ont péri, comme il nous l’apprend dans son discours
intitulé A.iyltrlioi, le seul qui traite de l’Egypte en détail, et celui d’où j’ai tiré ce
passage. Il est donc très-probable qu’Aristide ne se seroit pas exprimé si positivement,
si le lac de Moeris eût alors été desséché, si même il eût cessé de recevoir
les crues du Nil. Ce passage curieux confirme ce que nous avons dit de la nature
et de 1 objet dit la c, aussi-bien que de sa forme ; et il fournit encore cette remarque,
c’est que le Moeris, le Maréotis et les divers lacs d’Egypte, étoient tous, du moins
selon notre auteur, des épanchemens, des golfes du N il, 're NriXx xJmwi, destinés à
recevoir les eaux des crues au moyen des dérivations du fleuve.
Etienne-de Byzance, quon soupçonne avoir vécu dans le v .' siècle, et avant
Justinien, ne parle du lac de Moeris que pour placer auprès la ville des Crocodiles,
et raconter, à ce sujet, une ¿b le sur le roi Menés, qu’il est superflu de
rapporter ici (1).
Sous le Bas:Empire, on fut obligé de porter des lois très-sévères pour l’entretien
des canaux ; tant 1 on avoit négligé les anciennes pratiques du pays.- Le désordre de
cette partie de 1 administration étoit arrivé à un tel point, que sous Honorius et
Theodose, au commencement du v .e siècle, on décerna la peine de mort contre
ceux qui portoient la moindre atteinte aux digues du Nil et des canaux, comme
coupables d’un crime d’état. J’aurai occasion de revenir ailleurs sur cette matière;
ici je me bornerai à citer la loi rapportée au livre ix du Code Théodosien (2),
loi qui livroit aux flammes quiconque détourneroit à son profit une dérivation du
N il, avant que le fleuve eut atteint la douzième coudée , et qui condamnoit les
complices à etre déportés dans les Oasis. J’ajouterai que les corporati ou gens de
métier d’Alexandrie étoient chargés du curage du fleuvè et des canaux, et plus
particulièrement de ceux destinés au service de cette ville : ils étoient, pour cette
raison, dispenses du service militaire; une loi, portée sous Théodose et. Valenti-
nien (3), les affranchit de ces travaux. A cette époque, en effet, tous les yeux,
tous les soins, se portoient du côté de la capitale de l’Empire. La sédition écla-
toit à Constantinople, dès que les blés venoient à manquer; et l’on conçoit qu’alors
les préfets d’Egypte s’occupoient moins des canaux du pays supérieur que du canal
d Alexandrie, de la branche Canopique, et des diverses communications par eau,
qui servoient à l’approvisionnement de la métropole.
Au reste, à part quelques passages de S. Jérôme et d’autres pères de l’Église, on
peut dire que les histoires d’Egypte se taisent absolument sur les états successifs de
ce pays, depuis les Romains jusqua nos jours, quant à l’entretien des digues, des
lacs et des canaux destines à 1 irrigation des terres. Il en est à-peu-près de même
des auteurs Arabes (4 ). Ce beau pays a été si long-temps livré à la rapacité des
gouverneurs, et tellement en proie à la guerre et à mille fléaux, qu’il faut moins
(1) Stephan. Kçpxo<ki\av. woa/?. (3) Ibid. t. V , p. 305, Iib. XIV, tic. 2 7 , D e Alexan-
(2) Voyeç le Code Theod. t. I I I , p . 256, l, IX , t i t . j i , drioe primatibus.
DeNtliaggeribusproematurènonrumpendis. Leipsick, 1736. (4) Ebn el-Maqryzy a traité du N il et de I’Égypte