» moyennes, jusqu à ce qu en ayant saisi ie nombre, il leur donna à toutes et à cha-
» cune le nom d élément. De plus, voyant qu’aucun de nous ne pourroit apprendre
»aucune de cesdettres toute seule sans les apprendre toutes, il en imagina le lien
» comme étant un, et, se représentant tout cela comme ne faisant quun tout, il
» donna à ce tout, le nom dc grammaire, comme n’étant aussi qu’un seul art. »
Mais on doit sentir qu’un travail aussi abstrait,et une analysé aussi délicate et aussi
difficile supposent nécessairement de nombreuses observations faites précédemment,
une longue suite de tentatives et une grande expérience déjà acquise, que
la réflexion seule peut faire concevoir.
Essayons donc de jeter un. coup-d’oeil rapide sur les premiers essais qui
conduisirent à,la découverte que fit Tlieuth ou Mercure de f harmonie,,et de la propreété
expressive des sons : ce premier aperçu nous fera mieux comprendre les motifs
qui dirigèrent les Egyptiens danVla formation de l’art musical, dansée choix qu’ils
firent de ses moyens et dans l’usage auquel ils le consacrèrent.
La tradition en Egypte p j| étoit quë « les hommes menoiertt d’abord une vie
» sauvage ; qu ils alloient, chacun de son côté, manger sans apprêt dans les champs
” ,es fruits e*,es Ilerbes qui y naissoient sans culture ; mais quêtant souvent attaqués
» par les bêtes féroces, ils sentirent bientôt le besoin d’un secours mutuel; et
» s étant ainsi rassemblés par la crainte, ils s’accoutumèrent bientôt.lès uns, aux
» autres. Us navoient eu auparavant qu’une voix confuse et inarticulée; mais, en
» prononçant différens sons à mesure qu’ils se montroient différens' objets ’, ils
» parvinrent enfin a désigner ainsi tout. Comme ils erroient par petites bandes,
.» et que^ chacune prononçoit les mots suivant que les conjonctures l’y portoient,
» elles n eurent pas toutes le même langage, et c’est ce qui a produit la diversité
» des langues. » * ♦
Sans doute les premières observations de l’homme lui furent indiquées par ses
besoins; et, comme les rapports qui le lient à seS semblables lui font un besoin
indispensable d avoir sans cesse des relations avec eux, de’les entendre et de s’en
faire entendre, en le supposant, comme il est raisonnable de le faire,' parfaitement
constitué dès son origine et jouissant de toutes les facultés naturelles de ses organes
et de son intelligence, il dut faire beaucoup mieux ce que tous les jours
nous voyons faire aux enfans, avant qu’ils aient pu distinguer clairement les objets,
avec des organes foibles qui ne sont point encbre développés, des sens inexpérimentés
et une intelligence encore très-bornée : il dut écouter attentivement ceux
qui lui partaient le plus habituellement, afin de comprendre ce que signifioient les
diverses modifications de leurs voix, et ensuite remarquer 1 effet que produisoient
sur lui leurs cris et les siens sur eux. Ses premiers progrès durent être rapides, si
nous en jugeons par ceux des enfans, puisque ceux-ci, avant même de pouvoir
articuler un seul mot, parviennent très-promptement à distinguer, à la voix, leur
mère ou leur nourrice entre toutes les autres personnes; qu’ils en comprennent
expression, et se font aussi de bonne heure comprendre d’elles; qu’ils leur expriment
très-bien tous leurs besoins ; qu’ils les soumettent en quelque sorte par leurs cris à
( i ) Diod . Sic. Biblioth. hist. Iib. i , cap. 8 , pag. 26.
leurs volontés, souvent même à leurs caprices, et qu’enfin ils ne tardent pas à s entretenir
assez passablement avec elles : tant la sage providence a su établir une
correspondance intime et fidèle entre notre coeur et les accens de nos sentimens,
pour nous contraindre, en quelque sorte, à partager les plaisirs et les peines les
uns des autres et nous disposer à nous secourir mutuellement ! ‘
Les hommes, avant d’être parvenus à exprimer leurs idées par des mots et, à
désigner sans aucune équivoque.,les choses par des noms, durent donc aussi mettre
toute leur attention à distinguer ee'fiui, dans la voixj, exprimoit la bienveillance,
d’avec ce qui annonçoit de la haine; ce qui manifestoit la' Colère , d’avec ce qui
respiroit la joie et le contentement; ce qui caractérisoit les cris de la douleur,
d’avec ce ¿qui étoit propre aux accens du plaisir, &c. &c. Il fallut donc qu’ils étudiassent
les propriétés expressives des sons, qu’ils s’appliquassent même à les bien
connoître pour ne pas s’y méprendre, en faire usgge à propos et utilement dans
les relations qu’ils avoiént entre eux, enfin pouf réussir à transmettre vivement
les sentimens qu’ils vouloient inspirer à leurs semblables.
De cette étude se forma l’art de s’exprimer avec la voix, c’est-à-dire, l’art du
. chant, lequel précéda par conséquent celui de la parole. C’est pourquoi le premier,
: jouissant de ftoute la plénitude de ses droits sur le second , dirigea les premiers
; pas»du langage parlé, lorsqu’il se forma (1), et l’accompagna dans ses progrès; il
l’abandonna dès que le sentiment cessa d’être d’accord avec la pensée, et dès que
l’esprit eut un langage différent de celui du coeur.
C ’est un très-grand malheur, sans doute, qu’on puisse abuser ainsi des meilleures
choses ; mais ce malheur est inséparable de la nature humaine. L ’homme se sert
également de son intelligence pour corrompre tout et abuser de tout ce qui est à
son usage, coimne il s’en étoit -servi d’abord pour tout perfectionner; et en cela il
ressemble encore à l’enfant, quii quand il est las de s’amuser avec ses jouets, finit par
les jeter loin de lu i, par les'fouler aux pieds, et souvent par les briser.
L ’homme a donc besoin d’être dirigé jusque dans l’usage qu’il doit faire de ses découvertes,
aussi bien que dans celui de ses facultés physiques et intellectuelles;.et
voilà pourquoi les anciens Égyptiens avoient consacré par des lois (2) les principes
des arts de la musique et de la danse', avec le même soin quils avoient apporté a
établir ceux du gouvernement de l’État et des institutions les plus importantes (3) ;
c’est ce que Platon nous assure de la manière la plus positive. Ce philosophe, au
rapport de Diodore de Sicile et de plusieurs autres (4 ) .avoit demeuré assez longtemps
en Égypte pour y étudier la philosophie, ia politique et toutes les sciences
sacrées : il s’en étoit instruit à l’école des prêtres de ce pays, sous le plus célébré
( i ) Plat. Cratylus, sive de recta nom. rat. Id. Protagoras.
Id:- Thecet. Id. de Legib. Iib. i , ix , VII. Id. de
Republ. Iib. III. Id. Charm. Aristot. de Rhetor, ld . de
Arte poet. Lucian, de Gymti. Lucret. de Rerum Nat. Iib. V,
v . 1029, 1030. Plutarque, de la Vertu morale, page 3 1 ,
F. Id. de la Musique t pag. 667, F, G . Athen. Deipn.
Iib. x i v , pag. 631, E. L’abbé Barthélémy, Voyage du jeune
Anacharsis, chap. 26.
(2 ) Plat, de Legib. Iib. II et lib. VII.
A.
(3) L ’auteur de I’E tymoIogique, sur le témoignage sans
doute.de quelque ancien , dit que la musique ne diffère
|pà s des mystères: ti yàp puvnxM ovJïv Sietipipu pwm&icny.
(4 ) Diod. Sic. Biblioth. hist. Iib. I , cap. 96. Plin,
Hist. nat. lib. x x v , cap. 1 , de orig. mag. art. Lucan.
de Bello civili, v . 181 et seqq. Propert. Eleg. Iib. I I I ,
eleg. 20. Clem. Alex. Strom, lib. V I , p. 629.
Æneæ G a z e i, Platonici philosophi christiani, Theophrastus
, sive de animarum immortalitate et cùrporum
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