principes de la bonne éducation qu’il avoit reçue, sans être obligé de se détourner
pour cela des occupations ordinaires de la vie ou de son état, on y avoit consacré
le temps qui restoit aux jours de fête, après qu’on s’étoit acquitté des devoirs religieux.
On avoit grand soin de ne faire exécuter ces jours7là que des danses et des
chants analogues au caractère ainsi qu’à l’objet de la fête, et conformes à la nature,
à l’âge,au sexe et à l’état des danseurs. Tout ce que la musique avoit delevé et dé
propre à échauffer le courage, étoit destiné aux hommes ; ce qu’elle avoit de relatif
a la modestie et a la retenue, étoit réservé aux femmes ( i ).
Toutes les cérémonies religieuses ou publiques, tous les devoirs civils, ayant
pour objet 1 ordre social lié aux phénomènes, de la nature, formoient une espèce
de drame suivi (2), où le génie du bien, Osiris (3), sans cesse attaqué et combattu par
le génie du mal,Typhon, étoit défendu par le génie de l’ordre et de l'harmonie,
Horus. C’est pourquoi les Égyptiens se faisoient un devoir religieux de concourir
par leurs travaux et par leurs vertus au maintien du bonheur social et de la prospérité
publique, persuadés que par ce moyen ils combattoient de leur côté, repoussoient
le génie du mal, et rendoient impuissans les efforts qu'il faisoit pour nuire : c’étoit-là
le but vers lequel, par leurs chants et leurs danses, ils s’encourageoient tous mutuellement
à parvenir.
Dans 1 antique Egypte, on ne reconnoissoit de chants beaux, que ceux qui
convenoient à la vertu ; les autres étoient rejetés, et leurs auteurs subissoient la
punition quils avoient encourue. C’est aussi ce que Platon se proposoit d’établir
par ses lois, a limitation des Égyptiens, dont il adopte sans restriction tous les
principes. «Pensons-nous, fait-il dire dans le second livre de ses Lois a un Athé-
» nien qui s adresse à Clinias et à Mégiile, l’un Crétois et l’autre Lacédémonien,
» qu’en quelque État que ce soit, qui est ou qui sera gouverné par de bonnes lois,
» on laisse à la disposition des poètes (4) ce qui concerne l’éducation et les diver-
» tissemens que nous tenons des Muses , et qu’à l’égard du rhythme et de la
» mélodie ou des paroles, on leur accorde la liberté de choisir ce qui leur plaît
” davantage > pour l’enseigner ensuite dans les choeurs (5) à une jeunesse née de
» citoyens vertueux, sans se mettre en peine si cela les formera à la vertu ou au
" VICeî C lin ias- N on - assurément. L ’A thÉn. C ’est cependant ce qui est abandonné
» aujourd'hui à leur discrétion , dans presque tous les pays du monde, exceptem Égvple.
» C linias. Comment les choses sont-elles réglées en Égypte à cet égard ! L ’A thén.
n D ’une manière dont le récit vous surprendra. I l y a long-temps, à ce qu’il paroît,
» qu’on a reconnu, en Égypte, la vérité de ce que nous disons ic i, qu’il fa ut dans
" P f H état accoutumer de bonne heure la jeunesse à ce qu’i l y a de plus parfait en genre
( i ) Plat, de Legib. lib . V I I .
( 2 ) Plat, de Legib. l ib . V I I .
{ 3 ) Plutarque, d'Jsis et d*Osiris.
( 4) Platon entend ordinairement par poëte, celui qui
f a i t , qui compose un ouvrage de littéral ure ou de musique/
enfin il entend par ce mot le musicien aussi bien que le
poëte, ou plutôt le poëte-musicien. Il donne à ce mot une
acception semblable à celle que nous avons donnée au
mot poème, ci-dessus ,pag. Les Grecs modernes, dans
leurs principes de musique, donnent aussi aux auteurs
ou compositeurs de leurs chants le nom de poète. Voyez
notre A7émoire sur l'état actuel de l'art musical en Égypte,
tom. I.cr, i . m. pag. 8 13 , note 6 , et pag. 8 16 , note 7.
f ç) On peut remarquer ici qu’à l’exemple des Egyptiens
, Platon regarde Tes choeurs, c’est-à-dire, la réunion
des diverses espèces de chorée, comme une espèce d’instruction
publique.*5^ '
» de
0 de figure [\] et de mélodie. C ’est pourquoi, après avoir choisi et déterminé les modèles ,
> ils les ont exposés aux yeux du public dans les temples. On n’y a jamais permis, et
> 1 on n’y permet pas encore aujourd’hui (2), ni aux peintres, ni aux autres artistes
> qui font des figures ou d’autres ouvrages semblables , de rien innover, ni de
! s’écarter en rien de ce qui a été réglé par les lois du pays (3) : la même chose a
> lieu dans tout ce qui concerne la musique; et si l’on veut y prendre garde, on trouvera
> chez eux des ouvrages de peinture et de sculpture (4) faits depuis dix mille ans
> (quand je dis dix mille ans, ce n’est pas pour ainsi dire, mais à la lettre), qui
> ne sont ni plus ni moins beaux que ceux d’aujourd’hui, et ont été travaillés sur
■ les mêmes règles. C lin. Voilà, en effet, qui est admirable. L ’A thén. Oui, c’est
■ un chef-d’oeuvre de législation et de politique. Leurs autres lois ne sont pas
* exemptes de défauts : mais pour celles-ci touchant la musique, elles nous prouvent une
' chose vraie et bien digne de remarque ; savoir, qu’il est possible de déterminer par des
■ lois quels sont les chants beaux de leur nature, et d ’en prescrire avec cortfiance i ’obser-
’ vation. Il est vrai que cela n’appartient qu’à un dieu ou à un homme divin ( 5 ) :
aussi les Égyptiens attribuent-ils à Isis (6) ces poésies qui se conservent depuis
si long-temps. Si donc, comme je le disois, quelqu’un étoit assez habile pour
saisir ce qu’il y a de plus parfait en ce genre, il doit sans crainte en faire une
lo i, et en ordonner l’exécution, persuadé que les sentimens de plaisir et de peine
( i ) C ’est-à-dire, les mouvemens et attitudes du corps.
(2) Il est bon de remarquer qu’alors l'ancien gouvernement
avoit été interrompu pendant plus d’un siècle ;
que le trône de l’Egypte avoit été occupé par des rois
Perses ; que les Egyptiens, ayant chassé ceux-ci, s’étoient
emparés de nouveau du trône, qu’ils ne conservèrent que
soixante et quelques années, et que c’est précisément
pendant ce même temps que Platon voyagea en Égypte
et qu'il composa ses Lois.
(3) II falloit qu’à cet égard les lois fussent bien positives
et bien précises, puisque, suivant ce que nous rapporte
Diodore de Sic ile ( Biblioth. liist. lib. I , cap. 98 ) ,
<e Téléclés et T h éod ore, fils de Rhoecus, qui avoient fait
» la statue d’Apollon Pythien de Samos, et qui avoient
» étudié leur art à l’école des sculpteurs Egyptiens, étoient
»parvenus à exécuter cette statue, de telle sorte, que
»T é lé c lè s en ayant fait la moitié à S am os , tandis
» que son frère Théodore faisoit l'autre à Ephèse, les
» deu x moitiés se rapportèrent si juste, que toute la
» figure ne paroissoit être que d'une seule m ain.» II ajoute
« que cet a r t , peu cultivé par les G re cs, étoit pratiqué
» avec le plus grand succès par les sculpteurs Egyptiens »
( ilfaudroit donc conclure d'après cela que tous les chefs-
d'oeuvre en ce genre qui ont été fa its antérieurement à
Diodore de Sicile, sont, suivant le sentiment de cet auteur,
l'ouvrage de sculpteurs Égyptiens, o u , du moins,
de Grecs qui s'étoient formés à F école des sculpteurs
Egyptiens)i « que ceux-ci ne jugeoient pas, comme les
» Grecs, d’une figure par le simplecoup-d’oeil ; qu’ils me-
» suroient toutes les parties l'une après l’autre ; qu’ ils tail-
» Ioient séparément avec la plus.grande justesse toutes les
» pierres qui devoient former la statue; qu’ ils avoient divisé
» le corps humain en vingt-une parties et un quart ; et que
A .
» quand les ouvriers étoient une fois convenus entre eux
» de la hauteur de la figure, ils alloient faire chacun chez
» soi les parties dont ils s’étoient chargés, et qu’elles s’ajus-
» toient toujours entre elles d'une manière qui étonnoit
» ceux qui ne connoissoient pas cette pratique. Ainsi, pour-
» suit-il, les deux pièces de l’Apollon de Samos se joignent,
» à ce qu'on d it, suivant toute la hauteur du corps ; e t,
» quoiqu’il ait les deux bras étendus et en action, et qu’il
» soit dans la posture d’un homme qui marche, il est
»par-tout semblable à Iui-mêrae, et la figure dans la plus
» exacte proportion. Enfin cet ouvrage, qui est fait suivant
» l’art des Egyptiens, cède peu aux ouvrages de l’E gypte
» même. »
Nous pouvons encore juger nous-mêmes de l'excellence
de cet ouvrage par la statue en bronze de l’Apollon
Pythien qu’on voit actuellement sur la terrasse des T u ileries,
du côté de la Seine; car on ne peut douter que cette
statue en bronze que nous possédons n’ait été coulée
d’après ce modèle, ou au moins d’après une excellente
copie de ce chef-d’oeuvre. C ’est à ceux de nos collègues
qui ont des connoissances approfondies en sculpture, à
juger s i, comme il nous l’a semblé, les torses et les divers
fragmens de statues en granit que nous avons rencontrés
en Egypte, confirment l’éloge que Diodore de Sicile
fait ici des sculpteurs Egyptiens.
( 4) On voit qu’au temps de Platon, il existoit encore
en Egypte des monumens de la plus haute antiquité.
( 5 ) Platon fait allusion ic i à T h eu th , c’e s t -à -d ir e ,
à Hermès ou Mercure, auquel il donne la même qualification
dans son Philèbe.
( 6 ) Isis étoit regardée par les Egyptiens comme la
première des Muses. Voyeç Plutarque, Traité d 'Is is et
d'Osiris, page 3 18 , E.
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