quelques siècles ; et peut-être encore trouverait-on l’ordre de ces variations
interrompu par quelques lacunes.
On est naturellement conduit à regarder la coudée septénaire du nilomètre
d’Éléphantine comme la plus ancienne de toutes les mesures de longueur, puisque
sa division même rappelle le procédé de mesurage que l’on étoit obligé de suivre
avant l’invention des mesures portatives.
Cette invention, suite nécessaire des progrès de la civilisation et des relations
multipliées d’échange et de commerce qui s’étoient établies, fit bientôt imaginer
une nouvelle division de la coudée : on substitua aux vingt-huit doigts naturels
dont elle étoit composée, vingt-quatre doigts fictifs ; ce qui en rendit l’emploi
plus commode, par le plus grand nombre de diviseurs qu’elle présenta.
On dériva de cette coudée de vingt-quatre doigts l’ancien pied Égyptien, ou
le zérei/i des Hébreux. C e fut, selon toute apparence, le premier type de la
division duodécimale, laquelle a , comme on sait ; été jusqu’à nos jours généralement
appliquée aux différentes mesures usuelles. ,
Les successeurs d’Alexandre qui régnèrent en Égypte, y introduisirent l’usage
du pied royal ou philétéréen, de seize doigts, qui étoit à l’ancienne coudée du
pays ce que le pied du stade Olympique étoit à la coudée des Grecs.
Il faut avoir vécu dans un siecle où , pour la première fois, chez une nation
éclairée de toutes les lumières de la science, on a voulu établir sur une base
invariable un système de mesures universel, et avoir été témoin des obstacles
que l’habitude, plus forte que la loi, a opposés à cette heureuse réforme, pour
concevoir l’idée des difficultés insurmontables que l’on aurait éprouvées en
Egypte si l’on avoit entrepris de substituer une nouvelle mesure à la coudée des
nilomètres, dont l’usage remontoit au-delà des siècles historiques, et qui étoit
devenue, en quelque sorte, un objet sacré pour la multitude.
On parvint, il est vrai, a changer le mode de ses sous-divisions; mais on
n’essaya pas d’en altérer la longueur. Ce n’est qu’à l’époque où les empereurs
d’Orient, devenus Chrétiens, détruisirent les temples de l’Égypte, et proscrivirent
ses coudées sacrées, que les mesures Romaines y furent introduites, sans néanmoins
effacer le souvenir des anciennes, comme l’attestent les fragmens de l’ouvrage
de Héron qui nous ont été conservés.
Il paraît que les mesures Romaines étoient les seules employées en Égypte
lorsque les Arabes en firent la conquête. Les khalifes avoient aussi un système
métrique qui leur étoit propre; mais, plus tolérans que les princes Chrétiens,
ils se bornèrent à prescrire 1 usage de la coudée noire dans la construction des
nilomètres et l’arpentage des terres, sans user de violence pour la faire adopter
dans les relations commerciales entre les particuliers, qui ont continué, jusqu’à
présent, à se servir du pied Romain.
C e nest que depuis environ trois siècles que les Égyptiens ont commencé à
faire usage de la coudée de Constantinople ; encore en ont-ils borné l’emploi
spécial à mesurer les étoffés qu’ils tirent de cette ville et des autres parties du
Levant.
Je termine ici les recherches auxquelles la découverte du nilomètre d’Éléphan-
tine m’a conduit. Je crois n’avoir laissé subsister aucun doute sur la véritable
grandeur de l’ancienne coudée des Égyptiens. On a vu qu’ils conservèrent à cette
unité de mesure primitive le nom de la partie du corps humain qui lui servit
de type : il en est de même dans tout l’Orient. Si, au contraire, la base de quelque
système métrique eût été dans cette région du monde le résultat d’opérations
entreprises pour connoître la grandeur de la terre, ainsi que plusieurs savans l’ont
pensé, cette unité de mesure fondamentale nous auroit été transmise sous une
dénomination qui en auroit rappelé l'origine : mais on fut obligé de rapporter les
mesures de longueur à un étalon pris dans la nature et à notre portée , longtemps
avant de soupçonner la possibilité d’assigner les dimensions du globe ; et
quand dans ces temps reculés ces mesures devenues portatives eurent été consacrées
par l’usage, il auroit fallu, pour former et exécuter le projet de leur en substituer
de nouvelles dérivées de la grandeur de la terre, que les sciences exactes
se fussent élevées déjà à un degré de perfection qu’elles n’atteignirent jamais chez
aucun peuple de l’antiquité.
FIN.