Recherchons si la mesure de la terre, par exemple, telle que Jes monumens
anciens de l’Egypte nous l’ont conservée, est un résultat du genre de ceux que l’on
peut appeler/orto;>j. D ’abord, étoit-il besoin d’un grand nombre de combinaisons
pour y arriver ! est-ce la compensation de beaucoup d’erreurs qui auroit pu y
conduire ! T e l seroit le cas d’un effet du hasard ; mais il n’y a rien de semblable.
Il suffisoit de deux élémens pour conclure la grandeur de la terre supposée sphérique
: l’un est l’arc céleste correspondant à deux points du globe sous un même
méridien ; l’autre est la mesure effective et actuelle de l’espace compris entre ces
deux points. Si cela est évident, n’est-il pas déraisonnable d’attribuer au hasard
une mesure de la terre qui seroit exacte !
On demandera comment les anciens ont fait une mesure telle qu’elle diffère
peu de la dernière, exécutée avec tant de soin, par des méthodes parfaites, et
avec le secours d’instrumens qui leur ont manqué. Pour bien répondre à cette
question, il faudroit connoître de quelle précision étoient susceptibles les moyens
qu ils ont eus pour obtenir les deux élémens de la mesure. Quoiqu’il soit téméraire
dassurer que, pour observer une hauteur méridienne, les anciens, n’ont
connu d autres moyens que ceux dont il est question dans les ouvrages qui nous
res tent, cependant, à toute rigueur, on peut tomber d’accord que cette espèce
d observation s’est faite au moyen du gnomon; de meilleurs instrumens n’ont pu
donner qu’une perfection plus grande : or, le style étant supposé cylindrique, bien
vertical, et terminé par un globe (1) afin d’avoir, au moyen d’une ombre circulaire,
la hauteur du centre et non celle du limbe du soleil, l’erreur possible sur la longueur
de l’ombre, et par conséquent sur la hauteur de l’astre, peut être réduite
à une quantité extrêmement petite (2).
Mais cette erreur, se roit-elle plus forte, affecte, également les deux hauteurs
méridiennes, observées le même jour dans les deux points extrêmes de l’arc; par
exemple, au jour du solstice : il en est de même sensiblemenf, quant à la réfraction.
L ’arc compris entre les deux zéniths, peut donc se conclure avec une rigueur suffisante.
Comment d’ailleurs pourroit-on assurer que les hauteurs méridiennes n’ont
pas été mesurées par les distances au zén ith , moyen qui, certes, étoit à la;portée
de l’ancienne astronomie ! J
L autre élément étoit, pour les anciens Egyptiens, encore moins difficile à déterminer
avec précision. L e perfectionnement des instrumens'géodésiques, nous
met en état de déduire avec justesse une grandeur inconnue et considérable, de
la mesure d’une très-petite base ; la nécessité nousy-conduisoit, l’Europe manquant
de très-grandes plaines. Mais, sans la précision et la perfection des instrumens à
prendre les angles, et du moyen mécanique même qui sert à mesurer la base, une
telle conclusion seroit fort défectueuse. Les Égyptiens étoient privés de ces ins-
trumens : mais, en quelque sorte, ils n’en avoient pas besoin ; on mesurait alors
(1) Ainsi que l ont su faire les Romains, les plus igno- du centre, ne peuvent ignorer qu’ils avoient mesuré le
rans des anciens peuples dans les sciences exactes. diamètre du soleil avec une certaine exactitude. D ’ail-
(2) C eu x qui prétendent que toutes les latitudes ob- leurs cette connoissance est inutile pour mesurer la
servées par les anciens sont défectueuses, parce qu’ ils ne différence de deux points en latitude, comme on le sent
distinguoient pas l’ombre du bord du soleil d’avec celle très-bien.
immédiatement sur le terrain les espaces dont on vouloit avoir la grandeur absolue.
Et si l’on se représente un pays dirigé du nord au sud, aboutissant à la mer, nivelé
comme une plaine d’un bout à l’autre; un pays où l’arpentage des terres étoit
exécuté depuis un temps immémorial, et vérifié chaque année avec la précision
qu’exigeoit l’importance politique d’une telle opération; un pays où l’on sait que
l’astronomie a été florissante, l’Egypte enfin, l’on concevra sans peine que la mesure
d’un espaçe égal à un ou plusieurs degrés a pu être effectuée avec une grande
exactitude, telle que, si l’arc terrestre étoit affecté d’une certaine erreur, cette
erreur étoit fort atténuée, quant à la valeur conclue d’un degré moyen. Un tel
pays présentoit plus de facilité que la France elle-même pour exécuter la mesure
du degré, à part l’avantage du parallèle moyen et de la détermination du pendule
qui bat les secondes.
Mais où étoient situés les points qui ont servi d’extrémités à l’arc terrestre à
mesurer, et qui devoient être sous un même méridien î Péluse, ou quelque point
aux environs, me semble avoir pu servir à ce dessein. La mesure, depuis Héliopolis
jusqu’à Péluse, c’est-à-dire, d’une grande partie de l’arc, avoit pu se faire sans
obstacle, aucune élévation n’interrompant cette vaste plaine, enfermée par les
derniers rameaux de la chaîne Arabique. Péluse est presque sous le même méridien
que Syène : ainsi la mesure de l’arc entier, en supposant qu’elle ait été effectuée,
n’étoit point sujette à l’erreur possible sur la détermination de la différence en longitude;
objection que l’on a faite avec fondement pour Alexandrie. Je ne prétends
pas dire que les Égyptiens aient ignoré la position de Péluse en longitude, et qu’ils
n’aient fait que la supposer : mais, se servant de cette donnée, ils ont opéré avec
justesse.
On demandera encore comment ils ont eu la mesure de l’arc total, dans l’hypothèse
que toute la longueur de l’Égypte ait été mesurée. J’ai déjà, dans le chapitre
x i l , §. 11, présenté des conjectures à ce sujet. Soit qu’ils aient fait une chaîne
de triangles, qu’ils ont calculés ensuite au moyen d’une ou plusieurs glandes bases;
soit qu’ils aient déduit cette grandeur de la construction de la carte par carreaux
orientés, à peu près comme nous faisons en rapportant les points à la méridienne
et à la perpendiculaire d’un même lieu , ils ont pu connoître avec exactitude la
longueur de l’arc, et en déduire celle du degré moyen (1).
L a découverte toute moderne de la figure de la terre a fait connoître que les
degrés du méridien terrestre ne sont pas égaux. Les anciens, dira-t-on, ignoraient
cette inégalité : leur mesure de la terre ne peut donc être que défectueuse ; ou bien,
il auroit fallu que la mesure eût été exécutée vers le parallèle de 4 î degrés.
Cette objection, loin d’attaquer l’existence de la mesure ancienne, fournit une
nouvelle preuve en sa faveur. Si la mesure qu’on a retrouvée en Egypte, étoit la
même que celle du parallèle moyen , c’est alors qu’on auroit pu douter de son
(1) Quoique le terme moyen déduit de la longueur dition d’une mesure de la terre, déduite d’une base de
de l’arc de Syène à Péluse donne au degré, par le fait, la 5000 stades, prouve que l’on savoit l’art d’atténuer les
même valeur que celle du degré de la latitude moyenne erreurs d’une opération, en prenant un moyen terme
de l’Égypte, je ne pense pas qu’on se soit borné à me- entre tous les résultats.
■ celui-ci dans la plaine de l’Heptanomidej la tra-
A. F f f f f a