un temple; et ce ne fut qu’un peu plus tard, dit Pline, que les particuliers commencèrent
à faire servir les vases murrhins à leur propre usage.
La conquête de 1 Égypte, qui fit naître parmi les Romains le goût des pierres
rares et généralement de toutes les pierres travaillées, et le lutte effrayant qui se
développa à cette époque, firent accordera ces vases une valeur qui passe toute
croyance. L’empereur Néron paya une simple coupe de murrhin jusqu’à trois
cents sesterces : encore la plupart des éditions de Pline, et notamment celle du
P. Hardoum, substituent des talens aux sesterces; ce qui fcroit plus d’un million
de notre monnoie. La première estimation paroît déjà exorbitante : cependant,
maigre tout ce qu’a pu dire M. de Pauw, il est certain que le sens du passage de
Pline est favorable à la dernière. Néron par cette acquisition avoit surpassé tous les
Romains. Pline se récrie sur un luxe aussi désordonné : il lui paroissoit scandaleux
que e maître du monde bût dans une coupe d’aussi grand prix. Manoranda res ,
dit-il, mm, imperatorem patrcmquepatrioe ¿Hisse: Pétrone, favori de Néron , donna
trois cents sesterces d une cuvette [trulla] ou d’un bassin de murrhin ; et en la brisant
a 1 instant de sa mort, il crut s’être vengé de l’empereur, qui devoit en hériter.
Il faut croire pourtant que le prix excessif de ces deux vases et de quelques
autres que l’on cite encore, étoit dû à leur beauté singulière, et que la valeur
du plus grand nombre, sur-tout de ceux qui se fabriquoient en Égypte, étoit bien
moins considérable, puisque beaucoup de Romains en possédoient, et qu’ils devinrent
même d’un usage assez commun, comme l’indiquent plusieurs passages
e Martial, de Properce, &c. Christius a rassemblé tous ces passages avec.beaucoup
de soin, à l’exception pourtant d’un distique de Martial et d’un passage du
Code de Justinien que l’on trouve plus bas.
§. I I.
Examen des Opinions émises ju sq u ’ici.
« îl est à jamais étonnant, s’écrie M. de Pauw (t), qu’après les recherches
» entreprises par les plus 'savans hommes que l’Europe ait produits, on ne sache
» pas encore avec certitude de quoi se formoient ces fameux vases dont le prix
» étoit si considérable. » Cela devient beaucoup moins étonnant, lorsqu'on examine
avec attention de quelle manière se faisoient ces recherches. La plupart des
écrivains qui ont traité cette question et d’autres semblables, bien que des prodiges
d érudition en certains genres, étoient généralement fort peu versés dans l’histoire
naturelle. Ils commençoient par rassembler avec des travaux infinis tous les passages
relatifs à leur sujet, épars dans les écrits des anciens ; ce qui étoit, j’en conviens,
une excellente méthode : mais, satisfaits après cela d’avoir prouvé leur
érudition, ils se bomoient à comparer, pour ainsi dire au hasard, quelques-uns
de ces renseignemens avec les notions incomplètes qu’ils avoient sur un nombre
très-limité de substances naturelles. A cette insuffisance dans les données se
( l) Recherches philosophiques sur les Égyptiens et les Chinois, tome / . " , pa g e j} 7 .
joignoit une manière de raisonner qui n’étoit certainement pas irrépréhensible :
aussi les volumes écrits sur ces matières, loin de les éclaircir, n’ont servi très-souvent
qua les embrouiller davantage ; et dans la question présente, la divergence
des opinions est telle, qu’on croiroit que le pur caprice les a dictées.
Les uns veulent que la matière des vases murrhins ait été une sorte de gomme;
les autres, du verre; d’autres, une coquille de poisson. Jérôme Cardan et Scaliger
assurent que c’étoit de la porcelaine; beaucoup d’antiquaires croient que c’étoit
une pierre précieuse; d’autres ont soupçonné que c’étoit une obsidienne. Le comte
de Veltheim pense que cetoit la pierre de lard de la Chine; et le docteur Hager
a tâché de prouver, dans sa Numismatique et dans son Panthéon Chinois, que
c’étoit cette espèce de pierre fort précieuse connue à la Chine sous le nom de
pierre deyu. L auteur des Recherches philosophiques sur les1 Égyptiens et les Chinois,
qui tranche souvent, en quelques lignes, des questions délicates sur les sujets
les plus importans, a consacré à celle-ci un assez grand nombre de pages, et n’en a
pas beaucoup avancé la solution; il finit par assurer que cette matière n’étoit point
de nature calcaire, sans s’expliquer davantage.
Plusieurs des opinions que nous venons d’exposer, n’ont pas l’ombre de vraisemblance,
et les autres ne peuvent soutenir un examen sérieux : comment a-t-on pu
prendre pour un coquillage une matière d’apparence vitreuse, dont on faisoit des
ustensiles, des meubles de certaines dimensions et de formes tout-à-fait différentes!
comment a-t-on pu croire qu'on ait fabriqué avec une gomme des vases
destinés à recevoir des liqueurs spiritueuses et même des liqueurs chaudes ! usage
bien attesté par ce distique de Martial ;
S i calidum potas, ardenti murra fa lem o
Convertit, et melior f i t sapor inde mero.
Le comte de Caylus avoit adopté, ainsi que beaucoup d’autres antiquaires ,
¡opinion de Cardan et de Scaliger; il va même jusqu’à prétendre que les vases
murrhins étoient d’une porcelaine fabriquée en Égypte. Mariette, qui, dans les
Mémoires de l’Académie, entre, sur ce point, dans de grands développemens,
prétend prouver, au contraire, que cetoit de la porcelaine de la Chine (i). La
vérité est que la porcelaine d’aucun pays n’offre les caractères attribués aux vases
murrhins. C ’est, d’ailleurs, contredire formellement Pline, qui assure en propres
termes que la ihatière murrhine étoit une substance naturelle, une véritable pierre
que 1 on tiroit du sein de la terre dans le pays des Partîtes, et sur-tout dans la Car-
manie. Le chevalier de Jaucourt oppose, il est vrai, à l’autorité de Pline ce vers de
Properce :
Afurreaque in P a r th is pocula cocta fo c is .
E t les vases murrhins cu its dans les fou rn e a u x des Parthes .
Je conviendrai que s’il s’agissoit de l’aspect de ces vases ou de toute autre
circonstance que Properce eût pu observer par lui-même, son témoignage seroit
d un grand poids ; mais, lorsqu’il s’agit d’une particularité d’histoire naturelle,
qui suppose des informations précises et difficiles à se procurer, il ne petit, ce me
( i) Mémoires de l’A cadémie des inscriptions, tome X X I I I , p. 122.