
semble, être mis sur la même ligne que celui d’un naturaliste tel que Pline, l’un
des hommes les plus érudits de l’antiquité, sur-tout quand ce dernier donne,
comme ici, les renseignemens les plus positifs et les plus détaillés. Pline distingué
d’ailleurs le véritable murrhin de celui que l’on imitoit sur les rives du N il, et dont
les fabriques se trouvoient dans la ville même de Thèbes , renommée alors par
les vases de toute espece qui s y vendoient. Properce, mieux instruit de ce qui se
passoit dans l'Egypte, alors soumise aux Romains, que des usages des Parthes, de
tout temps peu connus, a pu croire que les deux espèces de murrhin, quoique
différentes en qualité, avoient une même origine : rien de plus naturel ; et le
rapprochement qu'il fait, autorise cette conjecture. Il est bon de voir ce qui précède
le vers que l’on a cité t
Séu qate palmifiroe minant m a l in T h t lt c ,
Aiurreaque in P a r th is & c .
E t les march an d ise s q u e n o u s en v o ie T h è b e s en v iro n n é e d e p a lm ie r s , e t les vase s mu rrhins & c .
Nous ne saurions non plus admettre, avec Christius (i) et quelques autres, que
cette matière fut un véritable albâtre, soit calcaire, soit gypseux, puisqu’elle ofïfoit,
avec 1 aspect vitreux, des couleurs variées et fort éclatantes; qualités qui excluent
également la pierre de lard des Chinois.
Christius avoit soupçonné encore que ce pouvoit être une espèce d’onyx.
Bruckman dit d’une manière expresse que c’étoit la sardonyx des Romains; et l’avis
du célèbre antiquaire Winckelmann, tout-à-fàit conforme au sien, a donné beaucoup
de poids à cette opinion : mais la sardonyx n’étoit qu’une agate rouge et
blanche, formée de bandes concentriques, dont les couleurs alternoient; orvcette
pierre étoit parfaitement connue chez les Romains. Pline a décrit non - seulement
la sardonyx, mais toutes les nombreuses variétés d’agates, avec tant de précision,
quant à ce qui concerne leur aspect, que les meilleurs naturalistes ne sauroient
gueie mieux faire aujourdhui. C ro ira -t-on qu’il n’eût pas reconnu la sardonyx
dans une matière aussi commune que celle des vases murrhins (2) ï
En vain objecteroit-on que les anciens ont quelquefois appliqué à cette matière
le nom d’onyx, comme dans ce vers de Properce :
E t crocino nares murreus ungat onyx (3).
Pour connoitre, en pareil cas, la valeur de ce mot, il faudroit avoir examiné
1 ensemble des connoissances minéralogiques des anciens. Ceux qui ne se sont occupés
que d’un petit nombre de questions isolées, ont toujours été trompés par cette
expression et quelques autres semblables. Chez les anciens, le mot onyx ne signi-
fioit le plus souvent rien de précis quant à la nature de la pierre; il indiquoit
seulement, par rapport aux couleurs, ordinairement rouge et blanche, une disposition
en zones plus ou moins vague, à-peu-près comme celle qu’on remarque
quelquefois vers 1 extrémité des ongles, d’où l’on a dérivé le nom d’anyx [ôW;,
' ¡‘1 D e maniais veteram, liber singularis. réunir cette matière à la sardonyx: son peu de dureté et
(2) Les couleurs rouge et blanche, disposées en zones bien d’autres caractères l'en séparent'd’une manière in-
concentriques, qu’affecioient quelquefois les vases mur- contestable,
rhins, ne forment pas un caractère assez tranché pour (3) Propert. lib. j j i , eleg.S,
ongle]. Aussi a-t-il été appliqué à des matières très-différentes des agates, à
certaines variétés d’albâtre, soit calcaire, soit gypseux, et à d’autres pierres qui
n’ont rien de commun entre elles que d’être disposées par couches concentriques (i)
et d’avoir été formées par concrétion.
Apres ce qui vient dette d it , nous pouvons nous dispenser d’entrer dans de
nouveaux détails pour prouver que la matière des vases murrhins n’avoit aucun
rapport avec l’obsidienne; car assurément cette dernière n’est pas communément
formée par concrétion. On se convaincra dailleurs de leur différence, par ce que
nous ajouterons plus bas sur ses couleurs, sa dureté, &c.
§. I I I .
S i la matière murrhine existe encore.
P r é t e n d r e , avec quelques auteurs, que cette matière nous est tout-à-fàit inconnue
aujourd’hui, et qu’elle n’existe plus, est sans doute une manière fort
commode de se tirer d’embarras; mais il est aisé' d’en faire sentir le peu de justesse.
On a déjà vu que cette matière étoit apportée en Egypte de plusieurs contrées
de l’Orient ; on en tiroit encore, suivant Pline (2), de plusieurs autres endroits peu
remarquables ou peu connus. C ’étoit donc une substance assez abondante dans
la nature ; et si elle fut très-rare à Rome jusqua une certaine époque, un seul fait,
que je choisis aussi dans Pline, prouvera combien elle y devint commune en peu
d’années ; il mettra aussi le lecteur à portée de juger si ce pouvoit être la pierre
dey u , si rare encore aujourd’hui à la Chine.
A la mort d’un personnage consulaire, célèbre entre tous les Romains par ce
genre de luxe, les vases murrhins qu il possédoit et que Néron enleva à ses enfâns,
étoient en si prodigieuse quantité, qu’ils gamissoient tout l’intérieur de ce même
theatre que 1 empereur avoit été flatté de voir rempli par le peuple Romain lors-
qu il etoit venu chanter en public (3). Qu il y ait, si l’on veut, de l’exagération dans
ce fait, on pourra toujours juger, par ce que devoit posséder un seul particulier
pour autoriser ce récit, combien cette matière étoit alors abondante à Rome.
Il est contre toute vraisemblance que tant d’objets diflërens aient entièrement
disparu par les invasions des barbares; et c’est un fort mauvais raisonnement que
celui que fait à ce sujet M. de Pauw, en alléguant l’exemple d’une statue en verre
apportée aussi d Egypte, qui se voyoit encore à Constantinople du temps de
Theodose, mais dont on ne sauroit, dit-il, trouver aucun fragment aujourd’hui.
Cette statue pouvoit être hrisée par un seul accident, et ses débris n’avoient rien
(1) Voilà pourquoi encore il est souvent employé chez murrhins, c’est qu’ils présentoient parfois cette dîspo-
les anciens pour désigner les vases à renfermer le nard et sition de couleurs et ce tissu particulier qui font con-
Ies parfums, quoique jamais on ne les f it avec la pierre qui noitre qu’une matière minérale a été formée par concré-
a porté chez les modernes le nom à’onyx. (On rapportera tion, comme les agates; mais il faut s’arrêter là.
les preuves de cette opinion en parlant des albatres mis (a) Inveniuntnr enim in pluribus locis, nec insignibus,
en oeuvre dans 1 ancienne Egypte.) T o u t ce qu’il est donc Plin. Hist. nat. lib. XX X VII, cap. 2.
possible de conclure de l’épithète onyx donnée aux vases (3) Idem ibid.