une telle passion, que les Égyptiens, encouragés par l’exemple de leurs souverains
se livrèrent a la musique avec la plus grande ardeur, et y firent des progrès si
rapides et si grands, que bientôt ils acquirent la réputation d'être les meilleurs
musiciens du monde, suivant que le rapporte Juba, cité par Athénée (i); et remarquons
que c est précisément là l’époque où Diodore dè Sicile étoit en Égypte
celle ou il apprit que les Égyptiens rejetoient la musique, parce quelle n’étoit
propre qu a corrompre les moeurs. Cet historien, dont Pline le Naturaliste fait un
si grand cas (z)t, auroit-ij donc voulu nous abuser ! Ne lui faisons pas i’injure de
e soupçonner dun tel dessein : croyons plutôt qu’il a pu exister une époque où
es Egyptiens auront montré du dégoût pour une espèce de musique différente
de la leur et opposée au goût qu’ils avoient contracté de ce lle -c i, et qu’ils
■auront, par conséquent, regardé l’autre comme pouvant produire des effets nuisibles
aux bonnes moeurs. Mais, soit que les prêtres que Diodore de Sicile
■consulta, n eussent qu’une idée confuse de ce qui causoit précisément cette
aversion^des Egyptiens pour la musique dans des temps reculés, Ü qUe lui-
meme neut pas songé à demander à ces prêtres sur quoi portoit la répugnance
qu avoient eue les Egyptiens pour* cet art, et à quelle époque ils manifestèrent
une semblable opposition, il ne nous laisse pas moins incertains sur l’un et
1 autre de ces deux points; c’est aussi ce que nous nous proposons d’éclaircir,
et ce qui s expliquera de soi-même dans l’examen que nous allons faire de
l état de la musique dans l’antique Égypte.
Nous ne finirions poin t, si nous voulions nous arrêter à discuter l’une après
i autre toutes les opinions singulières, paradoxales et hasardées, qu’on Avancées
iu r la matière que nous traitons; cela seroit, d’ailleurs, au moins inutile, et ne
feroit que multiplier les motifs d’incertitude et fortifier peut-être encore davantage
les doutes des personnes qui n’auroient ni la volonté ni le loisir de s’atta
cher, autant et aussi long-temps que nous avons dû le faire, à comparer toutes
ces opinions diverses entre elles, pour s’assurer de la vérité : et puis le lecteur
seroit bientôt rebute, si, -au lieu de ne lui offrir que le fruit de nos recherches
et de notre etude, nous lui en faisions éprouver encore la fatigue
Ce qu’il importe le plus de savoir ici, c’est quel fut l’état de la musique chez
une des plus anciennes nations du monde; d’examiner quels furent ^caractère et
le prmcipal ob,et de fe t art; d’observer l’usage qu’en fit un peuple naturellement
a g prmClpCS Ct C° nStant dans ses ^bitudes,,qui , pendant très-longtemps,
subsista tranquille et heureux (3), à la faveur de fois simples, mais où
tout paroissoit avoir été prévu. Il est intéressant de savoir quel ràng la musique
occupa parmi; les sciences et les arts cultivés en Égypte, à une époque aussi
eloignee ; d apprécier le degré d’estime qu’il obtint chez un peuple renommé par
sa sagesse et dans un pays qui fut le berceau des sciences et des arts, où se
formèrent les poetes et les musiciens les plus célèbres de l’antiquit'é, qui devint
( 1 ) Deipn. Iib. iv .
h,m n an i s uam ¡„scripsi, C . P li„ ius Secundus, HUt. nau B a À ^ 7 . X - f i Î ' & V" ' M MJ
l’école où se rendirent les philosophes et les législateurs de la plupart des autres
nations pour s’y,instruire. Il importe enfin d’observer et de suivre toutes les
innovations" et tous les -changemens qui furent introduits dans la musique en
Égypte, et ce qui contribua le plus, soit à l’avancement et à la perfection de
cet art, soit à sa dépravation et à sa décadence : cette dernière considération
est peut-être celle qui peut le mieux nous faire apercevoir et sentir la liaison
intime et secrète de la musique avec les moeurs.
Quelque grande qu’ait toujours été l’opposition des Égyptiens pour toute espèce
de changemens dans leurs institutions et dans leurs usages, elle n’a pu néanmoins
les préserver des vicissitudes auxquelles tous les peuples sont exposés. Par-tout il
s’est opéré des révolutions qui ont renversé, anéanti des empires puissans; en tout
temps on a vu de nouveaux états se former et d’autres se dissoudre.
C’est une loi d’où dépend, sans doute, l’harmonie des choses sublunaires, que
rien de ce qui existe sur notre globe ne demeure stable; que les nations, de même
que les individus de tout genre et de toute espèce, y naissent et y périssent tour-à-
tour, et que la face entière de la terre se renouvelle saifs cesse. Les inventions des
hommes, les sciences et les arts, doivent donc être soumis aussi à cette même loi.
Telles sciences et tels arts qui étoient ignorés jadis, ou dont on n’avoit encore
que de très-foibles notions, sont maintenant cultivés avec le plus grand succès : tels
autres, au contraire, pour lesquels, dans les siècles reculés, on avoit la plus grande
estime, parce qu’ils étoient portés à un très-haut degré de perfection et qu’on en
retirait les plus grands avantages, sont tombés de nos jours dans le discrédit et
presque dans le mépris par leur dépravation, ou par les abus qu’on en fait et par
le peu d’utilité qui en résulte. La poésie et la musique sont incontestablement du
nombre dè «ces derniers, quoiqu’on en convienne difficilement.
En vain tout ce qu’il y a de plus respectable parmi les poetes et les philosophes
anciens atteste la perfection et la puissance de la musique dans l’antiquité
; en vain l’accord de tant de faits avérés et de témoignages authentiques
que la droite raison ne peut récuser, détruit ou prévient toutes les objections : tout
cela ne suffit pas encore pour dissiper les préventions de notre amour-propre.
Nous voudrions, pour être convaincus, des choses impossibles; nous voudrions
qu’on nous fît entendre de ces chants qui depuis plusieurs milliers d’années
ont cessé, ou, du moins, qu’on nous fit voir des modèles de ces chants quon
n’écrivit jamais, et qu’on ne permit même jamais de transmettre autrement que
de vive voix : comme si l’on pouvoit croire que, lorsque la musique et la poésie se
confondoient ensemble et ne faisoient qu’un seul et même art, l’une put avoir
une destinée différente de l’autre ! comme s’il n’étoit pas évident qu’alors les
siècles des meilleurs poètes et de la meilleure poésie durent être aussi ceux des
meilleurs musiciens et de la meilleure musique !
Pourquoi douterions-nous donc de l’excellence de l’antique musique, quand tout
nous prouve que les anciens nous ont non-seulement de beaucoup surpassés dans
tous les autres arts, comme en poésie, en architecture, en sculpture, &c. dont
nous avons encore sous les yeux des modèles admirables, mais encore y sont